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Le cadre historique de la relation islamo-catholique en occident (du VIIIe au XVIe siècle)

Les relations actuelles de l’Eglise catholique avec l’islam sont inégalitaires. Face à une nébuleuse sans hiérarchies légitimes ni institutions assises, un ensemble d’organes ordonnancés, pourvus de personnels et disposant d’une doctrine, administre l’intelligence qu’il entend nouer avec une autre religion. Cette dernière, vécue au sein des populations pauvres et mal éduquées, exploitées et manipulées, entretient, comme elle peut, des contacts de personnes à personnes avec le corps le plus ancien et le mieux articulé qui demeure aujourd’hui.

Ce commerce entre des particuliers et un organisme complexe engendre maint mécompte. Les plus avisés le savent. Ils n’entretiennent que la chimère permettant de ne pas désillusionner ceux qui croient avec raison enchanter le monde de l’espoir et de la volonté de l’homme

Mais cette volonté ne peut s’animer de leurres. Trop de musulmans s’arrogent des mandats d’ambassadeurs quand nul peuple ne les a délégués. Aussi, la probité conduit à ne se permettre rien de notoire sur la matière. D’un autre côté, le cantonnement au témoignage subjectif est une sujétion peu convenable.

Dès lors, il faut donner à penser par ce qui est familier à l’empathie musulmane sur ce thème des relations de l’Eglise catholique avec l’islam. Il le faut par ce qui peut être saisi dans 1’héritage islamique. Il le faut : en retrouvant les moments où se nouent les choses.

Cela nous mène à solliciter nos mémoires respectives pour en faire peut-être un passé commun, sans apologétique ni controverse. Regarder ce passé nous conduit à relever les obstacles et imaginer les chemins les dépassant. Regarder ce passé nous fait éprouver le progrès des peuples et désirer toujours le continuer. Car enfin, ici comme ailleurs, tout commence par une histoire.

Des terres catholiques entrent dans la maison de l’islam : conquêtes et pressions musulmanes

L’annexion progressive de terres chrétiennes d ’Occident

Cette histoire est celle de guerres, comme trop souvent hélas ! Dès le milieu du VIIe siècle, des armées musulmanes ont conquis les territoires de la chrétienté orientale. Cinquante ans plus tard, les mêmes conquérants sont en Occident et annexent des zones de la catholicité occidentale. En l’an 700, tombe la métropole épiscopale de Carthage, capitale de l’antique province romaine d’Afrique avec ses nombreux évêchés.

Puis les musulmans se tournent vers les îles et pillent la région ecclésiastique de Syracuse en Sicile et de Cagliari en Sardaigne. En 711, leur élan les mène vers l’Espagne wisigothe dont les métropoles épiscopales entrent en terre d’islam pour des siècles. Beaucoup de paysans ou de montagnards sont encore imprégnés du paganisme agraire de leur région et une majorité se convertit très progressivement à l’islam. Des minorités chrétiennes protégées demeurent pourtant, dans les grandes villes et les districts ruraux du Sud. Ce sont les mozarabes, vivant et s’administrant dans un cadre de moins en moins latin et de plus en plus arabe.

L’Espagne conquise, les musulmans reprennent l’offensive contre la Sicile et la Sardaigne puis leurs difficultés internes les portent bientôt à cesser, au milieu du VIIIe siècle, la pression contre ces lieux peuplés de catholiques et proches de Rome.

La pression musulmane en Sicile et en Italie

L’offensive renaît en 827 quand les émirs de la Tunisie, les aghlabides, prennent la moitié de la Sicile aux Byzantins. Ils y annexent des populations catholiques dont beaucoup s’islamisent. C’est en Sicile que l’on trouve ces couples islamo chrétiens dont les enfants mâles sont musulmans et les filles chrétiennes. Des régions d’Italie du Sud deviennent de petits émirats éphémères. Des corsaires musulmans écument la mer Tyrrhénienne, des républiques islamiques de pirates s’installent en des points de la côte et Rome est saccagée par des troupes aghlabides en 846 sous le pape Sergius II. Son successeur, Léon IV, entreprend de fortifier la ville et les lieux saints, après cette offense, perçue comme une punition divine par la chrétienté occidentale.

Réactions et constructions catholiques

Les réactions de la papauté

Les papes dénoncent les musulmans qui les pressent jusque dans Rome. L’empereur d’Occident, protecteur du Saint-Siège est absent sur ce front. Certes, Léon III (795-816) avait pu compter sur Charlemagne. Léon IV fut soutenu par Lothaire, sous le règne duquel furent établies les constitutions de 824 qui soumettent l’élection du pape à l’aval de l’empereur. Mais seul Louis II, présent en Italie, avait mené une ferme lutte anti-musulmane avec le pape Hadrien II (867-872). A la fin du IXe siècle, Jean VIII (872-882) se lamente en vain auprès de Charles le Chauve contre les « agarènes » (qui sunt filii fornicationis) et contre les seigneurs, évêques et princes italiens qui ne craignent pas de s’allier à eux et les utilisent comme mercenaires. Ces princes et seigneurs finissent par assassiner ce pape qui avait été le premier à garantir l’absolution aux guerriers morts au combat contre les infidèles musulmans. C’est l’invention de la guerre sainte. L’année même de cet assassinat, des pirates musulmans s’installent à l’embouchure du Garigliano et menacent Rome pendant trente-cinq ans.

La dernière tentative aghlabide

La question musulmane est donc toujours posée en Italie et autour de Rome. Le Xe siècle s’ouvre de ce point de vue avec l’arrivée en Sicile de l’antépénultième émir de la dynastie aghlabide, Ibrahim II, décidé à prendre Rome au « Vieux Pierre » et arriver par voie de terre à Constantinople. Le souverain musulman, après avoir exécuté Procope, évêque de Taormina, qui refusait de se convertir à l’islam, commençait son périple dans la péninsule, au grand effroi de tous, lorsqu’il mourut de dysenterie en 902 à Cosenza, en Calabre. La chrétienté était sauve et les chroniqueurs ne manquèrent pas de crier au miracle. Tout de même, ce n’est qu’en 916 que le pape Jean X réussit à mobiliser des forces pour chasser les musulmans de l’embouchure du Garigliano.

Auparavant, l’émirat aghlabide de Tunisie avait laissé place, en 909, au califat des chiites fatimides qui se préoccupaient bien moins de Rome et de Constantinople. Leur rêve était de conquérir l’Orient et prendre la place du calife abbasside à Bagdad. Rome pouvait souffler.

La naissance d’une puissance catholique en France

La même date de 909 est celle de la naissance de Cluny, à l’époque dans le diocèse de Mâcon. Cette nouvelle abbaye dépendait directement du Pape et non plus d’un responsable émanant d’une hiérarchie féodale et contrôlée par elle. De ce fait, se constitue dans l’Eglise catholique d’Occident une autorité indépendante du temporel. S’établissent ainsi les bases d’un magistère spirituel et politique respecté dans une Eglise occidentale jusqu’alors étroitement dépendante de la féodalité et soumise à ses influences néfastes. Cette autorité se renforce pendant un siècle et demi et contribue à faire progresser des réformes dont procède, dans la seconde moitié du XIe siècle, une monarchie papale déterminée à combattre les musulmans et à organiser ce combat.

Survie et disparition progressive du catholicisme antique en Afrique

Des Africains catholiques et latins

Eh attendant ces temps, en Afrique, vieille terre de chrétienté devenue musulmane, les catholiques survivent. Ils parlent et utilisent le latin pour leurs rites. A certaines occasions, des populations monophysites d’Egypte ou de Syrie, spécialisées dans certains métiers ont pu être envoyées dans la région de Carthage. Des chrétiens de Sardaigne ont aussi été installés dans les environs de Kairouan et dans le Sud tunisien. Des mercenaires chrétiens ont de même fait partie des armées des souverains. Aucun de ces groupes ne laisse de trace en tant que tel. Le christianisme qui survit en Afrique est donc bien le catholicisme des autochtones évangélisés au IIe siècle et présents à l’arrivée des musulmans. Il n’est pas aisé d’en tracer une histoire précise, mais son affaiblissement est très progressif.

Permanence probable d’une hiérarchie cléricale

Il ne semble pas que le clergé, en ce temps-là, ait une reconnaissance dans la société contrairement à ce qui se passe en Orient et en Espagne, mais des textes laissent entendre qu’il y a des clercs et que la population chrétienne n’est pas négligeable : un évêque s’est maintenu sans interruption à Carthage. Les villes nouvelles fondées par les musulmans comportent des communautés chrétiennes à qui il faut des pasteurs et l’on peut voir le souverain de Bougie, nouvellement fondée, demander au pape Grégoire VII d’entériner la consécration d’un évêque pour la ville en 1076.

Ainsi, plus de trois siècles après la conquête musulmane, apparaît-il, par cet exemple comme par d’autres, qu’une hiérarchie catholique exerce toujours dans l’Africa devenue musulmane. Il est difficile cependant d’apprécier l’importance des communautés que ces pasteurs dirigent.

La disparition du christianisme antique d’Afrique

Ce n’est qu’au milieu du XIIe siècle que les chrétiens de ces lieux disparaissent. L’événement vient à la suite d’un enchaînement de circonstances. En effet, en 1148, les Normands, maîtres de la Sicile depuis les années 1090, parviennent à prendre pied dans les ports de l’actuelle Tunisie et y imposent leur domination. Mais les récents califes almohades, nouveaux maîtres du Maroc, réussissent la conquête de tout le Maghreb. Ils chassent les Normands de leurs positions et les derniers chrétiens d’Afrique jugent bon de fuir avec eux.

L’Espagne, lieu d’une relation complexe et tendue, un Etat des forces se met en place

L’islam domine l’Espagne du VIIIe au XIe siècle

Jusqu’au milieu du XIe siècle, l’Espagne musulmane suscite une floraison culturelle islamique et hébraïque. Les chrétiens du pays, moins nombreux qu’on ne le dit en général, profitent de cette floraison. Ils vivent en communautés et pratiquent la liturgie mozarabe de Tolède. Les cas d’affrontements et de polémiques sont rares et l’on ne connaît guère que le martyre de Saint-Euloge de Cordoue et de ses compagnons, au IXe siècle, qui cherchent délibérément le sacrifice en se livrant à des provocations et à des propos jugés blasphématoires par une autorité musulmane pourtant tolérante en général. Dans le Nord chrétien, réduit à la Galice au début, puis étendu au Sud pyrénéen et à la Catalogne, la situation d’affrontement avec l’islam conduit à un renforcement du christianisme et le Xe siècle voit les souverains catholiques du Nord se constituer en entités politiques de plus en plus assurées. Il n’empêche que l’islam domine encore à l’époque face à un catholicisme mal assis et sans autorité centrale puissante.

Cluny et l’état des forces au Xe siècle

Néanmoins, l’ordre de Cluny progresse, de même que l’idéologie de réforme catholique assure ses bases face au pouvoir d’un empire d’Occident qui s’éteint en 924. Mais la domination du temporel est relancée par la création en 962 du Saint Empire romain germanique, par le duc de Saxe, Otton 1er, qui renouvelle la mainmise de l’empereur sur la nomination du pape. C’est le siècle aussi où se trouvent des musulmans en France, dans la région des Maures. Leurs activités ne les font pas repousser. Mais en 972, ils rançonnent l’abbé de Cluny, Saint Mayeul, et suscitent la réaction des seigneurs provençaux et italiens qui les chassent dans les années qui suivent cet événement scandaleux pour la chrétienté. Saint Mayeul qui dirige Cluny depuis 948 décède en 994. Deux abbés, Odilon et Hugues lui succèdent et assurent au XIe siècle une stabilité miraculeuse et une fructueuse influence. Moins soumis à l’empereur que le pape, l’abbé de Cluny jouit d’une autorité incontestée dans le monde catholique occidental, même s’il est subordonné au Saint-Siège.

Les changements du XIe siècle

L’ordre est, à ce titre, une force au début du XIe siècle où le califat de Cordoue se dissout progressivement dans les luttes intestines et disparaît pour faire place à une Espagne musulmane atomisée en de multiples petits émirats. Dans les royaumes chrétiens de la péninsule, depuis les nouveaux prieurés clunisiens ibériques, diffuse l’idéologie de réforme de l’Eglise qui aboutit, dans la seconde moitié du XIe siècle, à la constitution d’un pouvoir papal indépendant et fort.

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Or, un des éléments de cette idéologie est la lutte contre l’islam, déjà au cœur des préoccupations des papes du IXe siècle menacés en Italie. Cette lutte prend forme par une expédition en juin juillet 1064, dans la vallée de l’Ebre, jusqu’à la ville musulmane de Barbastro. L’entreprise avait été inspirée par le pape, menée par un seigneur français, Guy Geoffroy d’Aquitaine, avec une troupe de chevaliers français, renforcés d’Espagnols et de Normands venus du Sud de l’Italie, tous pourvus de la promesse de la rémission de leurs péchés et combattant sous le gonfanon de Saint-Pierre.

Après Barbastro, la pression des chevaliers français sur l’Espagne se confirme ainsi que l’autorité du pape, reconnu comme suzerain par la Catalogne et l’Aragon. Toutefois, dans les terres prises à l’islam, les musulmans ne sont pas inquiétés, on les dénomme « mudéjares ». Ils se constituent en communautés, les aljamas ou morieras, et contribuent à la vie de la société.

Reconquista et statut des musulmans en terre catholique jusqu’au XVIe siècle

Résistance de l’islam d’Espagne et croisade chrétienne

A partir de la dernière décennie du XIe siècle, l’islam organise sa résistance en Espagne, pour tout le XIIe siècle, avec l’arrivée de dynasties marocaines, les almoravides et les almohades. Mais un coup décisif lui est porté en 1212 dans une expédition qui est une croisade par toutes ses caractéristiques. Dès 1210 Ferdinand, fils du roi de Castille, sollicite le pape Innocent III. Ce dernier charge l’archevêque de Tolède de rassembler de l’argent et des troupes. L’Aragon, la Navarre, entrent dans le projet. Le Portugal envoie des hommes. L’archevêque de Sens mobilise vingt mille chevaliers français conduits par les archevêques de Bordeaux de Narbonne et de Nantes. C’est donc une armée mobilisée au nom de la chrétienté par des autorités ecclésiastiques catholiques qui porte un des derniers coups à l’islam d’Espagne, le 16 juillet 1212 à la bataille de Las Navas de Tolosa où le calife almohade al-Nasir est battu. Le mouvement continue ensuite et toute l’Andalousie musulmane est annexée par la Castille et l’Aragon, à l’exception du royaume musulman de Grenade, qui survit jusqu’en 1492.

Les musulmans dans l’Espagne chrétienne du XIIIe siècle

Dans cette Espagne soumise à des souverains catholiques, les mudéjares vivent dans leurs aljamas. Les plus nombreux demeurent dans la vallée de l’Ebre et la région de Valence. Mais le roi d’Aragon se voit admonester par le pape Clément IV qui exprime le fond de la pensée catholique sur la question :

« … On a des exemples de la dangereuse affaire qu’est d’avoir des musulmans dans vos domaines… Il est certes aussi raisonnable de garder chez soi des ennemis si perfides et malfaisants, ou même de les avoir pour voisins que de se mettre un serpent dans le giron ou le feu dans son sein… Votre Créateur … souffre pendant que ces musulmans célèbrent le nom de Mahomet parmi les chrétiens… Vous devenez votre propre adversaire si vous persécutez les musulmans dans leurs propres terres, mais les protégez patiemment dans les vôtres. Une fois tout cela débattu… il est indubitable qu’il serait conforme à vos excellentes œuvres que vous exiliez ces gens hors des frontières de vos domaines  ».

Le Pape a parlé, il ne peut y avoir de musulmans en royaume chrétien. On voit pourtant encore une époque heureuse de cohabitation entre islam et catholicisme au XIIIe siècle dans la péninsule. Elle est illustrée par le règne du souverain de Castille Alphonse X le Sage (1252-1284), à la fois législateur, poète, savant et musicien qui garde des musulmans à sa cour.

Deux siècles de crise

Mais au XIVe siècle, peste noire, rivalités dynastiques, revendications des seigneurs et des bourgeois, tensions sociales, font disparaître la tolérance, même à l’égard des mudéjares qui se sont convertis et portent dès lors le nom de morisques. Dans une péninsule qui construit une société chrétienne, il s’élabore la notion de nouveau chrétien, converti ou descendant de convertis, par opposition à celle de vieux chrétien, assuré d’une ancienne généalogie catholique. Cette idéologie donne naissance à des « statuts de pureté de sang » selon lesquels les nouveaux chrétiens, anciens musulmans ou juifs, sont exclus de certaines professions ou dignités.

La situation se dégrade encore au XVe siècle. Ainsi, pendant deux cents ans, l’Espagne vit-elle une crise d’identité avec deux royaumes, des souverains impuissants, des cités agitées et des minorités musulmanes, exceptionunique en Europe occidentale. A ces minorités s’ajoutent des convertis, nouveaux ou anciens, soupçonnés de ne pas être les bons catholiques qu’ils paraissent.

La question morisque au XVIe siècle

Les rois catholiques et l’unification de l’Espagne

A la fin du XVe siècle en Castille, après vingt ans de règne d’Henri IV « l’impuissant », dont le surnom est explicite, c’est sa fille Isabelle qui monte sur le trône en 1474. Elle est l’épouse du fils du roi d’Aragon, Ferdinand, qui succède à son père en 1479. Tous deux entreprennent l’unification de leurs royaumes. Déjà, en 1478, la Castille se dote, par autorisation du pape Sixte IV, d’un tribunal d’inquisiteurs nommés par la reine. En 1492, le royaume de Grenade est vaincu et annexé. Ses musulmans sont autorisés à garder leur religion, mais sont livrés à un clergé qui tente benoîtement de les christianiser. Trop benoîtement sans doute car en 1499, le confesseur royal, Cisneros, trouve leurs conversions bien rares et les évangélise de force, brûlant leurs mosquées ou les transformant en églises. En 1502, tous les musulmans de Castille sont contraints à une conversion au catholicisme. L’Aragon reste plus tolérant et ses nombreux mudéjares ne sont christianisés d’autorité qu’en 1525, sous Charles Quint.

Charles Quint et Philippe II face aux morisques

Cependant les convertis continuent à pratiquer clandestinement l’islam. Sollicité par Charles Quint, le pape Clément VII, confie en 1533, à l’archevêque de Séville, le soin de créer une institution pour leur instruction.

Ce n’est pas à la satisfaction des clercs, qui ne cessent de se plaindre de ces nouveaux chrétiens qui : « Quand ils le peuvent, pratiquent les cérémonies de Mahomet  ». Mais le circonspect Charles Quint et plus tard son fils, le prudent Philippe II, résistent à la demande de solutions radicales. Ils laissent juste sévir l’Inquisition qui, à partir des années 1540, instruit des milliers de procès de morisques et en envoie plus de mille au bûcher sur une période de soixante cinq ans.

Pourtant, en 1567, Philippe II cède au pape Pie IV, prévenu contre les morisques par l’archevêque de Grenade. Les convertis de cette ville ne doivent plus parler l’arabe ni porter leurs vêtements spécifiques ; ni laisser leurs portes fermées le vendredi, les jours de noces et de fêtes musulmanes ; leurs bains sont détruits et le henné est interdit à leurs femmes. Ils se révoltent à Noël 1568 et sont dispersés à travers l’Espagne en 1571, après la confiscation de leurs terres.

L’expulsion des morisques

L’affaire est entendue. Il faut expulser les morisques. C’est le faible Philippe III, roi en 1598, qui se laisse convaincre par son favori, Francisco de Sandoval y Rojas, marquis de Denia, fait par lui duc de Lerme. La décision est prise au début du XVIIe siècle et la date fixée à 1609.

Sans autorisation du pape, une milice est créée, la « Confrérie de la Croix ». L’année 1609 se passe à concentrer secrètement autour du vice royaume de Valence, le plus peuplé de morisques, des forces terrestres et maritimes. Le 4 août le roi signe l’ordre d’expulsion. Le 20 août, le maréchal de la « Confrérie de la Croix », généralissime de toutes les forces militaires, se rend à Valence. Le 22 septembre l’édit d’expulsion est proclamé dans les villes, les bourgs et les villages du vice royaume. Le 23 septembre, la déportation commence et les morisques sont embarqués dans les ports de Denia, Alicante, Alfaques et Valence. Des résistances s’organisent et des réfractaires échappent aux soldats pendant des années. Les derniers d’entre eux seront exilés au mois de mars 1612.

L’édit d’expulsion des morisques de Murcie, Grenade, Jaen, Cordoue et Séville est signé le 9 décembre 1609 et le 12 janvier 1610 pour toutes les autres cités. Néanmoins, l’Inquisition continue à instruire des procès de prétendus apostats revenus à l’islam, jusqu’en 1621.

Après cette date, l’Espagne est rassurée. Il n’y a plus de populations musulmanes en terre catholique d’Europe jusqu’à une période récente où les mentalités ont considérablement évolué.

Il demeure que la mémoire musulmane comme la mémoire catholique gardent des traces de pressions réciproques qu’il convient au moins de connaître pour les dépasser. On ne règne pas impunément et les grandes civilisations impériales ayant exercé la violence légitime ont des parts d’ombre. Si l’on désire dialoguer, qu’au moins l’on évite l’amoncellement des dissimulations et des non-dits et que l’on sache que chacun, de son côté, a beaucoup à se faire pardonner.

Cet article est initialement paru dans le n° 68 des Cahiers de l’orient, consacré au thème : « Le Vatican et l’islam », au dernier trimestre 2002.

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