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Le 15 mars 2004 : le vote d’une loi entre caprice et illégalité républicaine

Au moment où nous célébrons le centième anniversaire de la loi de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ce principe suscite encore un vaste et houleux débat notamment à travers les signes religieux au sein de l’espace scolaire français.

La laïcité est généralement définie comme étant « un principe d’organisation et de fonctionnement des services de l’Etat et de toutes les autres personnes publiques, selon lequel l’Etat est non-confessionnel. Toute une série de conséquences en sont tirées. Notamment, il ne doit favoriser ou défavoriser la propagation des croyances ou des règles de vie en société d’aucune religion, spécialement, s’accorde-t-on à penser, dans le cadre de l’enseignement primaire et secondaire. Pour des raisons historiques (loi 1901 portant statut concordataire), ce principe ne s’applique pas dans les départements d’Alsace-Lorraine plus large qu’ailleurs… Expression signifiant que l’Etat adopte à l’égard des Eglises et des religions une attitude sinon d’ignorance, du moins d’impartialité, de neutralité. »1 C’est justement ce dernier élément qui est à l’origine de toutes les difficultés et qui est généralement retenu par le Conseil d’Etat comme première approche de la laïcité.2

A la suite d’un certain nombre d’affaires concernant le foulard depuis les années 803, et à la suite d’un certain nombre de circulaires prises par les ministres de l’Education Nationale successifs 4 le législateur est intervenu à travers la loi du 15 mars 2004. Le contenu de cette loi n’est rien d’autre que l’inversion de la règle dans la mesure où l’exclusion qui en droit est une sanction disciplinaire devient à présent le principe et la liberté religieuse devient l’exception. Ce qui est à l’inverse de la jurisprudence classique du Conseil d’Etat selon laquelle sont censurées les interdictions générales et absolues. Ce texte dispose que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en oeuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève. »5

Voté dans la précipitation ce texte est loin d’être parfait mais surtout il est incohérent et en complète opposition avec la neutralité de l’Etat. Mais le plus étonnant est que la seule réponse que le législateur ait pu trouver aux attentes et interrogations de la communauté musulmane en particulier à travers cette question du foulard a été l’exclusion.

La question qui se pose ici est de savoir si cette loi du 15 mars 2004 reste dans la lignée de la conception de la laïcité ou si elle est une exception dans la législation française et dans ce dernier cas il est important de savoir si cette même loi n’est pas en contradiction avec les principes fondamentaux reconnus au niveau constitutionnel et conventionnel.

C’est pour répondre à ces interrogations que nous envisagerons dans un premier temps, la loi du 15 mars 2004 : une conception restrictive du principe de laïcité (I), et dans un second temps, la loi du 15 mars 2004 : une violation des droits fondamentaux (II).

La loi du 15 mars 2004 : une conception restrictive du principe de laïcité

La laïcité, telle qu’envisagée au regard du droit et de la doctrine, est une notion abstraite et très générale. C’est pourquoi, il serait plus judicieux de parler de neutralité qui est par ailleurs la définition de la laïcité donnée par le Conseil d’Etat.

A) Le principe de laïcité et les doctrines en présences

La laïcité telle que prévue par le législateur, est une notion mal définie. C’est pourquoi elle a suscité de nombreux débats doctrinaux.

a) La laïcité : une conception textuelle et prétorienne abstraite

La Loi du 9 décembre 1905 établissant la séparation des Eglises et de l’Etat dispose dans son article 1 :

«  La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées (ci-après) dans l’intérêt de l’ordre public. »

On peut dire que cette loi est l’une des plus importantes sinon la plus importante législation établissant le principe de laïcité en France. Cette notion de laïcité a fait l`objet de vifs débats, notamment à partir du moment où l’islam est apparu au grand jour sur l’espace républicain, en particulier, dans le cadre scolaire. C’est ainsi que le Conseil d’Etat dans son avis du 27 novembre 1989, rendu à la demande du Ministre de l’Education Nationale, est venu préciser les choses en estimant que « le principe de laïcité de l’enseignement public, qui est l’un des élément de la laïcité de l’Etat et de la neutralité de l’ensemble des services publics, impose que l’enseignement soit dispensé dans le respect, d’une part, de cette neutralité par les programmes et par les enseignements, et, d’autre part, de la liberté de conscience des élèves ». Eu égard à cet avis, les pouvoirs publics doivent rechercher les compromis permettant d’assurer l’équilibre entre neutralité et liberté de conscience. Il affiche donc une notion très abstraite dans son principe autant que son application.

Si l’on s’aperçoit que la définition telle que donnée par la loi de 1905 ou par le conseil d’Etat est loin d’être satisfaisante, elle est également loin de faire l’unanimité au niveau doctrinal.

b) La laïcité au regard de la doctrine : une séparation stricte ?

Dans un paysage européen bigarré, la solution française de 1905, sans être totalement isolée, est assez fortement spécifique. Certain prétendent qu’elle institue une séparation stricte entre l’Etat et la religion historiquement dominante. Mais la faible connaissance des termes du compromis laïc de 1905 a été fortement soulignée lors de divers colloques. Si la loi se réfère en son intitulé à ” la séparation des Eglises et de l’Etat “, son contenu est loin de correspondre à cet énoncé.

En effet les textes ne visent pas les « Eglises », mais l’ensemble des cultes (y compris non chrétiens). Il ne vise pas seulement l’Etat mais l’ensemble des institutions publiques (notamment les collectivités locales). Enfin, on peut douter qu’il s’agisse vraiment d’instituer une séparation stricte compte tenu d’une part de la mise à disposition d’édifices entretenus par l’Etat ; d’autre part de l’existence de diverses modalités d’aide financière publique non seulement à l’enseignement confessionnel mais aussi, plus ou moins directement, à la construction de lieux de culte ; enfin des jugements portés par l’Etat sur les ” bons ” et les ” mauvais ” cultes à travers la notion floue de ” secte “6 . Dans ces conditions, on serait plutôt porté à qualifier le régime de 1905 de régime de ” privatisation ” ou de ” libéralisation ” que de ” séparation ” au sens strict du terme7 , ce qui nuance l’image d’une ” exception française ” en Europe.

Mais la laïcité, c’est plus encore, c’est un idéal de concorde. « Le principe de laïcité, qui exprime les valeurs de respect, de dialogue et de tolérance, est au cœur de l’identité républicaine de la France où tous les citoyens ont à vivre ensemble. La laïcité est à la fois un idéal politique et le dispositif juridique qui le réalise. L’idéal vise à la fondation d’une communauté de droit mettant en jeu les principes de liberté de conscience, d’égalité, de priorité absolue au bien commun. Le dispositif juridique assure et garantit la mise en œuvre de ces principes en séparant l’État et les institutions publiques des Églises, et plus généralement des associations constituées pour promouvoir des particularismes. »8. La distinction juridique du public et du privé est essentielle car elle permet de concilier, sans les confondre, le sens de l’universel qui vivifie la sphère publique et la légitime expression individuelle ou collective des particularités qui se déploient à partir de la sphère privée.

La laïcité recouvre ainsi l’union de tout le peuple sur la base de trois principes indissociables (triptyque républicain) qu’elle explicite et spécifie au regard de la diversité spirituelle des citoyens : la liberté de conscience que l’école publique entend asseoir sur l’autonomie de jugement ; l’égalité de tous sans distinction d’options spirituelles et sans aucune discrimination ; l’universalité d’une loi affectée exclusivement à la promotion du bien commun. Elle constitue le cadre qui rend possible la manifestation de la diversité, préservé à la fois comme fondement de paix et comme horizon d’universalité. Attentive à l’émancipation de la personne humaine sur les plans intellectuel, éthique, et social, la laïcité l’est aussi, et par là même, à la justice de l’organisation politique comme fondement d’un monde commun à tous par-delà les différences.

Il convient à présent de préciser la notion de neutralité à travers ses avantages et ses inconvénients et envisager comme solution aux limites de la neutralité la théorie de la tolérance.

B) Le principe de neutralité : une notion méconnue

par la loi du 15 mars 2004.

A travers la loi du 15 mars 2004, le législateur a institutionnalisé et légalisé une politique d’exclusion systématique du système éducatif d’élèves portant un signe religieux. A travers cette loi, le législateur ne fait rien d’autre que d’exprimer une intolérance manifeste.

 

 

 

 

a) Le principe de neutralité et la loi du 15 mars 2005 : un grand pas vers l’intolérance religieuse.

« La neutralité est la loi commune de tous les agents publics dans l’exercice de leur service »9. Cette phrase résume très bien l’avis du conseil d’état n°309-354 du 21 septembre 1972. De même, si l’on conçoit la neutralité comme l’un des aspects de la laïcité, le code de l’éducation prévoit dans son article L141-1 que « dans les établissements du premier degré public, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïc »10 au bénéfice d’élèves libres de leurs croyances. Il est donc clair que c’est à l’école et aux agents de l’Etat d’être neutre et non pas à l’élève11.

Que recouvre réellement la notion de neutralité ? En réalité, ce n’est rien d’autre que le terme anglais de secularism.12 Plus précisément, la neutralité est envisagée, dans le droit français à travers deux principes : la protection de l’Etat contre les ingérences des religions ; la protection des religions contre les ingérences de l’Etat. C’est à travers cette notion qu’on dégage le principe de réserve des fonctionnaires. Par conséquent, la notion de neutralité implique qu’un agent de l’Etat n’a pas à interpréter une pratique religieuse dans la mesure où il contreviendrait justement au principe de séparation de l’église et de l’état13. De fait, l’Etat ne saurait s’identifier à une croyance religieuse ni l’interpréter. Or, la politique d’exclusion systématique des élèves sous le prétexte de port de signes religieux s’avère contraire au principe de neutralité des autorités publiques, dans la mesure où l’Etat exclu, il ne reste plus neutre en soit. Ainsi l’idée de neutralité au sens stricte du terme n’est qu’illusoire.

b) l’exclusion : un paradoxe au regard de la neutralité ?

La question qui se pose ici n’est rien d’autre que de savoir si le foulard ou le turban Sikh est en opposition ou en contradiction avec « la neutralité-laïcité » ?

Les partisans d’une réponse affirmative diront que le foulard est le « symbole de l’asservissement de la femme par la religion » mais cet argument n’en est pas un au point de vue juridique dans la mesure où il peut constituer un choix de la part de l’élève désirant exprimer ainsi son identité. Le cas contraire où le port du foulard serait imposé, l’exclusion de l’espace scolaire ne ferait qu’accroître l’illettrisme et la discrimination à l’égard des femmes mais ce qui est encore plus grave c’est qu’elle fait également porter la responsabilité sur la victime. L’exclusion serait paradoxale dans la mesure où elle méconnaît également la volonté d’un certain nombre de personne qui considère que c’est un choix libre. Si l’on établi une interdiction générale et absolue en considérant que le foulard aura une signification intrinsèque appréhendée en dehors d’un comportement objectif, les autorités publiques ainsi que le juge méconnaîtraient son impératif de neutralité vis-à-vis de la chose religieuse.

Par ailleurs, l’école publique ne peut ignorer toute une marge de la population et l’exclure du système éducatif au nom de la laïcité. Surtout que l’école est obligatoire jusqu’à l’âge de 16ans mais le plus paradoxal c’est que selon l’article L121-1 du code de l’éducation, l’école assure une « formation à la connaissance et au respect du droit de la personne » n’est ce pas une contradiction quand c’est l’école elle-même qui exclue des élèves à raison de leur tenue « religieuse » ? Par conséquent elle méconnaît son propre principe de respect du droit de la personne et de son obligation de formation de l’élève.

Si la laïcité doit gouverner à l`organisation générale du système éducatif public, elle ne saurait non plus prendre la forme d`une doctrine d`exclusion. Ce qui est malheureusement le cas depuis la loi du 15 mars 2004.

La neutralité classique signifiait une expansion de l’Etat par rapport à la religion qui à l’origine luttait contre elle pour s’affirmer. Aujourd’hui ce que l`on constate c’est un retrait de l’Etat par rapport aux différences culturelles.

Par conséquent l’incapacité de la neutralité à répondre de manière satisfaisante à la question posée sur le port du foulard incite donc à envisager d’autres champs de référence comme la théorie de la tolérance. « La tolérance est destinée à contrer les effets d’une norme qui, trop abrupte, ou trop discriminante, générerait les risques d’un arbitraire. » Cette notion de tolérance peut être envisagée comme une approche nouvelle de la laïcité, qui se détache non seulement d’une vision active ou stricte mais aussi d’une acception neutre qui, sans renier ses principes fondateurs, ferait de la laïcité une théorie attentive aux aspirations sociétales.

La tolérance peut s’envisager selon quatre concepts, à savoir, l’accommodement, c’est l’idée qu’il y a une sorte d`obligation pour les autorités publiques de prendre les règles particulières quand une règle générale fait un poids à l’égard d`une minorité. La deuxième conception n’est rien d’autre que le pluralisme, c’est l’idée qu’il faut gérer les différences en recherchant des solutions équitables. Troisième conception correspond à l’idée de reconnaissance (notion de cultes reconnus), à savoir qu’il peut y avoir un apport positif dans la religion pour la société civile. La dernière conception est celle des minorités, c’est-à-dire que les droits donnés aux uns et aux autres peuvent se compléter et la majorité comme la minorité peut en tirer profit.

La loi du 15 mars 2004 et notamment la commission Stasi ont totalement mis de coté ces aspects de tolérance et ont envisagé une loi qui ne fait que violer des droits fondamentaux.

C’est ainsi que Human Rights Watch rappelait « le projet de loi est une atteinte injustifiée au droit à la pratique religieuse… Pour de nombreuses musulmanes, porter un foulard, ce n’est pas uniquement manifester son appartenance religieuse, c’est aussi une obligation religieuse.

Le droit international impose aux Etats l’obligation de ne pas exercer de coercition en matière de liberté religieuse, et cette obligation doit être prise en compte dans l’élaboration des codes vestimentaires en vigueur dans les écoles. Le projet d’interdiction du port du foulard en France …viole ce principe… Protéger le droit à la liberté religieuse de tous les étudiants ne remettrait pourtant pas en cause la laïcité dans les écoles. Au contraire, cela prouverait que l’Etat français respecte la diversité religieuse et ce message serait tout à fait compatible avec le maintien d’une stricte séparation entre les institutions publiques et tout message religieux… Le gouvernement français a cependant poussé le raisonnement trop loin en suggérant que l’Etat remet en cause la laïcité en laissant les élèves porter des signes religieux… Les conséquences d’une interdiction des signes religieux ostentatoires, même rédigée en termes neutres, seront ressenties de façon disproportionnée par les jeunes filles musulmanes. Cette interdiction représente donc une violation des dispositions inscrites dans le droit international prévenant toutes discriminations ainsi qu’une violation du droit à l’égalité des chances dans l’éducation. Promouvoir la compréhension mutuelle et la tolérance face à d’autres valeurs est en effet un facteur clé de l’application du droit à l’éducation. Dans les faits la loi ne laissera aucun choix aux familles musulmanes : elles devront retirer les jeunes filles du système scolaire public… Le projet de loi a soulevé des questions importantes … mais interdire tout simplement le port du foulard ainsi que d’autres signes d’une croyance religieuse à l’école n’est pas la solution. »14

Cette loi en plus du fait qu’elle est restrictive de la notion de laïcité, elle est également une limite à certains droits fondamentaux.

La loi du 15 mars 2004 : une violation des droits fondamentaux

Deux principes fondamentaux garantis par nos plus hautes institutions sont malheureusement bafoués par la présente loi : le principe de la liberté religieuse et le droit à l’éducation.

A) Le principe de la liberté religieuse et de la liberté de conscience

Le principe de la liberté religieuse, est un principe garanti par l’article premier de la loi de 1905 mais également par un certain nombre de conventions notamment par l’article 9 de la CEDH et par un certain nombre de dispositions constitutionnelles.

Ce principe peut faire l’objet de limites et restrictions bien établies. Mais la loi du 15 mars 2004 va au-delà de ces restrictions et interdit tous signes ou tenues par lesquels l’élève manifeste ostensiblement son appartenance religieuse.

a) Un principe bien établi

Principe établi par l’article 9 §1 de la CEDH15 « toute personne a le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique … la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques … » Ce principe est réaffirmé également, par la Convention des Nations Unies du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, par son article 2, 12, 13, 14 … « les Etats parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion … la liberté de manifester sa religion ou ses convictions. »16 Ces deux articles ainsi énoncés sont confortés, d’une part, par l’article L. 511-2 du Code de l’éducation qui proclame le droit à la liberté d’expression de l’enfant. Cette liberté d’expression au sens large peut être une expression écrite, orale, vestimentaire, artistique, etc. et d’autre part l’avis du 27 novembre 1989 « Le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas en lui-même incompatible avec le principe de laïcité. » On peut observer dans la plupart des pays européens traditionnellement démocratiques, une approche identique à celle du Conseil d’Etat. Ainsi, le rapport préparé par le Sénat présentant une analyse comparative en matière de port de signes et de tenues religieux démontre que dans des pays tels que l’Allemagne, le Danemark, l’Espagne, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas le port du foulard par des élèves de confession musulmane est généralement admis dans les établissements publics.

Cette attitude est motivée en Allemagne par le respect de la liberté de croyance, au Danemark, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas par la volonté de ne pas prendre de mesures discriminatoires, et en Espagne par le souci d’assurer avant tout la scolarisation des élèves d’origine étrangère.

L’analyse des travaux préparatoires du projet de loi du 15 mars révèle en effet le souci du législateur de combler un « pseudo vide juridique » (expression délibérément choisie à raison du fait que l’on peut considérer qu’il n’y avait pas en réalité de vide juridique. Il existait un certain nombre de circulaire mais surtout le Conseil d’Etat avait élaboré une jurisprudence en la matière bien établie). Or, le rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi (N° 1378) relatif à l’application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics, du 28 janvier 2004 relève que « le juge administratif a estimé que «  dans les établissements scolaires, le port, par les élèves, de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses  ». Toutefois, il a assorti cette liberté de réserves fondées sur un certain nombre de circonstances, limitativement déterminées, dans lesquelles il admet une interdiction ponctuelle. Est ainsi prohibé, le port de signes religieux qui, soit par «  leur nature  », soit par « les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif :

– constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande ;

– porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres membres de la communauté éducative ;

– compromettraient gravement leur santé ou leur sécurité ;

– perturberaient le déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants ;

– troubleraient l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement du service public ».

Le Conseil d’Etat a ajouté que les modalités d’application de ce principe relèvent des règlements intérieurs des établissements scolaires et que les procédures disciplinaires incombent aux directeurs et chefs d’établissement. Ainsi, des sanctions disciplinaires, comme l’exclusion des élèves, peuvent être prises, sous le contrôle du juge administratif.

Il ressort de cet avis que la possibilité de porter un signe religieux à l’école est la règle et son interdiction, l’exception. Avec la loi du 15 mars 2004 il y a une inversion de ce principe dans la mesure où la loi interdit désormais le port de tous signes religieux ostensibles qui devient le principe et « tolère » un minimum de liberté religieuse puisque celle-ci est réduite au maximum. Ainsi la liberté religieuse devient l’exception.

D’autres part, le Conseil d’Etat établit une distinction très claire entre «  un signe religieux ostentatoire  » et « le port ostentatoire d’un signe religieux  ». Le juge refuse en effet de considérer qu’un signe religieux est, en lui-même, ostentatoire. Ce n’est pas le signe qui est ou peut être ostentatoire, mais bien son port et donc le comportement qui en résulte : prosélytisme, pression, provocation, trouble à l’ordre public, atteinte au bon fonctionnement des enseignements, non-respect de l’obligation d’assiduité. 

b) « Ostentatoire » ou « ostensible » ? Deux termes à interprétation variable : La porte ouverte à l’arbitraire

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Si le §1 de l’article 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme établi le principe, l’article 9§2 quant à lui établi la restriction au principe notamment en disposant que « La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »Mais à la lecture de ce paragraphe on ne peut conclure que le fait de porter un foulard porterait atteinte à l’ordre ou à la sécurité publique. De même ce n’est pas en retirant le foulard qu’on empêchera une personne ayant un comportement prosélyte d’arrêter de l’être.

Le législateur en adoptant le 15mars 2004 la loi interdisant des signes religieux ostensibles ne peut se justifier en aucun cas par une nécessité publique au sens de cet article 9§2 dans la mesure ou il n’y avait aucune atteinte à l’ordre public scolaire.

Egalement à la lecture de cet article on constate que l’obligation de l’Etat est une obligation positive et négative, à savoir c’est une obligation d’agir afin de protéger, de faciliter et de garantir la liberté religieuse et de s’abstenir de porter atteinte aux croyances. De même selon la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme, l’Etat doit permettre l’épanouissement des « pratiques normales d’une religion » qui sont par définition des pratiques indispensables à l’existence d’une religion. Mais la question et le problème qui reste posé est celui de savoir qu’est ce qu’une pratique normale d’une religion et qui est en droit d’établir ces pratiques normales ?

La réponse à cette question n’est pas évidente mais ce n’est sûrement pas à l’Etat à travers ses agents de donner une interprétation de ce qui doit être considérée comme une pratique normale d’une religion. Le juge, quant à lui, est démuni lorsqu’il doit définir ce qu’est une religion et ce qu’est un fait religieux, en estimant qu’il ne pouvait donner une signification aux signes religieux.17 Comme nous l’avions déjà signalé précédemment, le Conseil d’Etat a entrepris une approche pragmatique et prudente en conciliant le principe de liberté religieuse avec celui de laïcité : ainsi, dans son arrêt Kherrouaa le Conseil d’Etat a censuré le règlement intérieur d’un établissement scolaire interdisant d’une manière générale le port de tenues religieuses. Encore faut- il préciser que les expressions utilisées par le règlement en question étaient rédigées dans des termes à peu près identiques à ceux de l’actuelle loi. 18

Par ailleurs, cette jurisprudence est parfaitement conforme avec les dispositions de la Convention Européenne de Droits de l’Homme. Les restrictions au droit garanti peuvent être apportées afin de protéger l’ordre, la santé ou la morale publique, ou des droits et libertés d’autrui. De ce fait, l’interdiction générale prévue par la loi conjuguée avec un manque de clarté des termes employés augmentent considérablement le risque de provoquer des violations graves à la liberté religieuse. Ces craintes ont, d’ailleurs, été exprimées au sein même des organes chargés d’élaborer la loi. Ainsi, Monsieur le sénateur Gérard Delfau, s’est adressé au Ministre de l’Education Nationale dans les termes suivants : « Monsieur le ministre, que vous le vouliez ou non, et vous le savez très bien, l’adverbe « ostensiblement » comporte une part d’appréciation subjective. Il sera perçu comme pouvant donner lieu à des décisions arbitraires. (M. René Pierre Signé. sénateur. C’est exact !) Il conduira non seulement à des controverses dans les établissements, mais aussi forcément à de nombreux contentieux et recours devant les tribunaux. »19 Les craintes susvisées ont suscité de la part d’un certain nombre de sénateurs des réactions afin de proposer des amendements qui pourraient diminuer le risque d’arbitraire. Ainsi, le groupe des sénateurs : MM. Mercier, Arnaud,…20 ont proposé de compléter une interdiction prévue par les mots : “dès lors qu’il est de nature à troubler le bon ordre de l’établissement”. »21 En expliquant leur position, les sénateurs ont souligné que « par cet amendement, nous souhaitons aider les chefs d’établissement en précisant que ce qui doit les conduire à intervenir et à interdire le port de signes religieux en cas de contravention au règlement intérieur complété par cet article nouveau L. 141-5-1, ce sont les actes de prosélytisme, de provocation, qui ont pour conséquence d’empêcher le fonctionnement de l’établissement. Ce dernier ne peut plus remplir son rôle, qui est simple et unique : délivrer l’enseignement. Ce sont des actes qui portent atteinte au bon ordre public de l’établissement. La disposition proposée permettrait de préciser et de rendre plus opératoire le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, car, en l’état, il ouvre la voie à toutes les interprétations possibles. Il faut au contraire prévoir une rédaction sûre… ». 22

Dans le même sens est dirigée la proposition de M. le sénateur Chérioux, qui suggère de compléter l’article prohibant le port de tenues ou de signes « lorsqu’il a pour conséquence de troubler l’ordre public au sein de l’établissement”. »23 Le sénateur a fait valoir que cet amendement « vise à répondre au même souci : éviter toutes les interprétations éventuelles qui peuvent gêner les chefs d’établissement dans leur décision. Il faut qu’ils sachent clairement ce qui est interdit et ce qui ne l’est pas. Or, que signifie une tenue ostensible ou des signes religieux ostensibles ? Notre collègue Michel Mercier introduit l’expression « de nature à ». Celle-ci laisse encore une marge d’appréciation. C’est pour cette raison que mon amendement va un peu plus loin et vise à compléter le premier alinéa du texte proposé par l’article 1er pour l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation par les mots : « lorsqu’il a pour conséquence de troubler l’ordre public au sein de l’établissement »… Certes, il ne faut pas gommer les différences, refuser l’existence de signes à l’école. En effet, c’est à l’école que l’enfant doit apprendre à respecter les autres, à admettre les différences, à se soumettre à la loi. Ce n’est pas en gommant les différences qu’on apprend à les respecter. Il y a quelque chose de choquant à exiger d’un élève qu’il renonce, même temporairement, à sa religion, qui est un élément fondamental de sa personnalité. Il ne faut pas oublier que c’est à l’école que l’élève apprend à connaître la société dans laquelle il va vivre, à connaître cette République dont il sera citoyen. Quelle curieuse image lui donnerait-on de notre République, si dans l’école de la République, la notion de religion était bannie ? »24

Le terme « ostensible » a également fait l’objet de différentes interprétations que les sénateurs ont mis en avant. Ainsi, M. Michel Mercier, disait que l’adverbe « ostensiblement » implique forcément la recherche d’une intention. Selon la définition usuelle, « ostensible » désigne ce « qui est fait sans se cacher ou avec l’intention d’être remarquée » Le terme se distingue du qualitatif « visible » en ce que son adoption autoriserait le port des signes discrets. Il diffère également de l’adjectif « ostentatoire » qui témoigne d’une mise en valeur excessive et indiscrète d’un avantage ».25 C’est ce que le Premier ministre a souligné à l’Assemblée nationale en établissant une différence entre le terme « ostentatoire », qui est la constatation du port d’un signe religieux, et l’adjectif « ostensible », qui manifeste une intention de la part de celui qui le porte. C’est ainsi qu’il faut comprendre les deux mots. » 26 Cette interprétation, se concilie parfaitement avec l’interprétation donnée par le Conseil d’Etat dans ces décisions susmentionnées.

La loi du 15 mars 2004 a retenu le terme « ostensiblement », qui fait référence, comme nous venons de le voir, à une intention, à savoir une volonté de provoquer, ou d’avoir une attitude prosélyte. Cette interdiction n’est pas sans poser un certain nombre de difficulté d’application, puisque les tribunaux administratifs devront déceler quand un signe religieux manifeste une intention et quand il est porté par simple pratique religieuse. Par conséquent, si le Conseil d’Etat retenait l’interprétation précédente « un grand nombre de filles » se verrait réintégrer dans l’espace scolaire. Mais, malheureusement, telle que rédigée, cette loi est d’une part d’interprétation fragile et laisse une large place à l’appréciation du juge. D’autre part, elle prête à une interprétation arbitraire de la part du chef d’établissement qui va considérer d’office que le port d’un foulard est en lui-même la manifestation de l’intention.

Certains députés, ainsi que le Ministre de l’Education ont retenu une interprétation beaucoup plus large que celle de M. Michel Mercier qui n’est guère adéquate et équilibrée. C’est ainsi que, le rapport établi par le député M. Pascal CLEMENT au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation, et de l’administration générale de la République sur les projets de loi (N° 1378) relatif à l’application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics, révèle que : « L’article premier du présent projet inverse la logique d’appréciation en considérant que le port de certains signes religieux sera considéré, en lui-même, comme manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. Le terme « ostensible » qualifie les tenues ou les signes qui sont objectivement extériorisés. Ceux-ci seront interdits, même en l’absence d’actes de prosélytisme qui les rendraient provocants ou ostentatoires. La formule adverbiale, retenue par le projet de loi, est destinée à neutraliser les tentatives de contournement de la loi. Ainsi, ne seront pas seulement interdits les signes religieux à proprement parler, mais tous les signes par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Cela évitera les contestations au motif que le signe porté n’est pas, en lui-même, un signe religieux. Ainsi, le bandana, n’est pas à proprement parler un signe religieux. Cependant, s’il est porté pour manifester de façon ostensible son appartenance religieuse, il sera interdit, la formulation plus large retenue par le projet de loi permettant de l’inclure. » 

Ce sont ces dérives que l’on vient d’esquisser qui incitent malheureusement « les autorités scolaires, souvent hostile aux religions, à faire preuve de sévérité à l’égard des musulmanes désireuses de porter le voile. »27 Ceci était prévisible dès l’origine avec la circulaire Jospin qui renforçait ce danger en adoptant une interprétation qui limite considérablement le droit de porter les signes d’appartenance religieuse. La loi du 15 mars 2004 est l’aboutissement aujourd’hui d’une conception rigide de la laïcité ouvrant la voie au bannissement du foulard dont le caractère « exotique » suffit dans l’esprit de la plupart des responsables scolaires à faire naître un conflit qui n’a pour conséquence que de confisquer le droit à l’éducation à l’enfant portant un signe religieux.

B) Un droit à l’éducation remis en cause.

L’article 2 du protocole additionnel n° 1 de la CESDH « nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat …respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

a) Un principe fondamental au regard du droit

L’article 28 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant dispose également « les Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances… »

La loi du 15mars 2004 ne fait rien d’autre que d’exclure l’enfant de l’espace scolaire en lui confiscant son droit le plus élémentaire, à savoir le droit à l’éducation garantie par des conventions internationales que la France a ratifié et qui risque d’engager sa responsabilité au niveau international, mais ceci est encore une fois très peu probable. Cette loi prive l’enfant de l’instruction alors que le code de l’éducation lui-même dans son article L122-1 proclame ce droit. De plus, ce même code élève ce droit au rang d’obligation nationale dans son article L122-5 et pourtant, le législateur n’a que faire de ces règles et les viole en toute complaisance et en toute impunité. On peut également constater une rupture d’égalité des chances entre les élèves, dans la mesure où l’élève exclu ne pouvant suivre une scolarité normale au sein de l’école publique, devra se rabattre sur le CNED, parfois même il sera dans l’impossibilité de suivre une quelconque scolarité, dans la mesure où, cela a un coup financier s’il venait à s’inscrire au sein d’un établissement privé. Alors que l’enfant non exclu est à l’abri de ces inconvénients. D’autant plus que la jurisprudence du Conseil d’Etat établi une responsabilité sans faute de l’Etat lorsque ni la loi, ni les travaux préparatoires ne laisse penser que le législateur a entendu faire supporter à une personne particulière une charge qui ne lui incombait pas normalement. Cette charge devrait être supportée par la collectivité.28 Ceci en raison du préjudice spécial (puisque la loi dans ses conséquences ne vise qu’une catégorie particulière de personnes) subi par les personnes exclues. Tel est donc le cas des élèves exclus qui doivent payer le CNED ou un établissement privé afin de suivre une scolarité « normale ». Cette charge supplémentaire devrait être supportée par l’Etat.

b) Les dérives : une discrimination qui ne dit pas son nom

La loi du 15 mars 2004 permet et normalise l’exclusion d’élève portant un signe religieux ostensible mais permet le port de signe a contrario discret comme le port du bandana ou des petits foulards qui ne peuvent être considéré au regard du droit comme ostensible. De plus dans sa circulaire d’application du 18 mai 2004, la loi du 15 mars 2004 ne doit être « ni arbitraire »… ni vécu « comme un carcan abusif ou tournée contre la liberté de conscience. »

Pourtant l’exclusion des filles portant le foulard est systématique d’autant plus que la phase de dialogue n’est rien d’autre, en réalité, qu’un dialogue de sourd.29

Or, dans cette même circulaire le Ministre de l’Education Nationale nous rappelle que la mission de l’école « est de transmettre les valeurs de la République parmi lesquelles l’égale dignité de tous les êtres humains 30… est la liberté de chacun dans le choix de son mode de vie…. Il appartient à l’école de faire vivre ces valeurs … et de conforter le libre arbitraire de chacun, … » ainsi que « de promouvoir une fraternité ouverte à tous ». Mais comment en bannissant les filles portant un foulard et en les isolant aussi bien durant la période de dialogue (des filles généralement ont été isolées dans une salle à part au sein de l’établissement, les privant ainsi de leur liberté d’aller et venir) qu’après la sentence prononçant l’exclusion, peut-on considérer que l’école favorise la fraternité et son libre choix quant à son mode de vie ?

Ce que l’on peut constater c’est que cette loi a mis en place un système et un mécanisme d’exclusion qui viole deux droits fondamentaux :

Le droit de la défense qui s’applique au contentieux devant les juridictions civiles ou administratives mais également pour les autorités non contentieuses comme, en l’espèce, un conseil de discipline. Ce principe du droit de la défense implique conformément à la jurisprudence nationale et européenne un procès équitable, la présomption d’innocence et le principe d’impartialité.31 Mais ce que l’on peut constater, c’est que les membres du Conseil de discipline pouvaient très bien bafouer ces droits, se comporter comme des « voyous » et leur décision ne serait quand même pas contestée ou annulée devant les tribunaux administratifs dans la mesure où le seul acte qui pourrait être porté devant ladite juridiction est l’appel de la décision du Conseil de discipline émise devant le recteur de l’Académie.

Les conseils de discipline n’ont fait en réalité « qu’entériner des exclusions de fait ». Mais, le plus surprenant, c’est que le chef d’établissement était à la fois juge et partie puisqu’il est à l’origine de la procédure disciplinaire et en même temps membre du conseil de discipline d’autant plus qu’il participait aux délibérations.

Ce même chef d’établissement fait adopter le plus souvent des règlements intérieurs dans un sens plus restrictif que la loi elle-même, interdisant ainsi « tous couvres-chefs » (interdiction générale que le Conseil d’Etat sanctionne comme nous l’avons déjà signalé précédemment). Le Conseil d’Etat considère le règlement intérieur comme une mesure d’ordre intérieur qu’il accepte de contrôler la légalité dans la mesure où il modifie la situation juridique des intéressés, il devient une mesure exécutoire ( exemple : l’exclusion d’un élève d’un établissement) depuis un arrêt du 19 avril 1952, Veillard.

Cette loi ne fait rien d’autre qu’encourager et produire une discrimination manifeste à partir du moment où les personnes exclues sont de confession musulmane et généralement de sexe féminin. Cette notion de discrimination est définie par la convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement, adoptée par la conférence générale de l’organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, du 14 décembre 1960 : « la discrimination comprend toute distinction, exclusion, limitation ou préférence qui, fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion…ou d’altération de traitement en matière d’enseignement.. » tous les éléments de cette définition sont présents dans la loi du 15 mars 2004. Mais, la France en tant qu’Etat partie à cette convention s’était engagée à « abroger toutes dispositions législatives et administratives et à faire cesser toutes pratiques administratives qui comporteraient une discrimination…l’Etat doit prendre toutes les mesures nécessaires,….pour qu’il ne soit fait aucune discrimination dans l’admission des élèves dans les établissements d’enseignement ». De même, le code pénal, dans son article 225-1, considère que constitue « une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison…d’une religion déterminée ». Un agent public qui contreviendrait à cet article, se rendrait coupable d’une discrimination et serait poursuivi pour une peine de cinq ans d’emprisonnement et 75000 euros d’amende conformément à l’article 225-1 du même code.32

La France, en adoptant une telle loi, manque à ses engagements internationaux mais également à ses propres dispositions de droit interne et ne fait qu’ouvrir la voie à des pratiques exagérément restrictives des libertés religieuses des élèves. Paradoxalement le ministre de l’Education Nationale soulignait que « l’intolérance et les préjugés se nourrissent de l’ignorance, la laïcité suppose également une meilleure connaissance réciproque y compris en matière de la religion. »33L’adoption de cette loi n’est-elle pas l’expression d’une profonde intolérance et ignorance aussi bien vis-à-vis des religions que des réalités sociales ?

Notes :

1 Dictionnaire des termes juridiques, 11eme édition, Dalloz, 1998.

2 L’avis du Conseil d’Etat du 27 novembre 1989.

3 Notamment l’arrêt du Conseil d’Etat Kherrouaa du 2 novembre 1992.

4 Par exemple, la circulaire du 12 décembre 1989.

5Article 1er de la loi du 15 mars 2004.

6 Bruno Etienne : Professeur de sciences politiques et directeur de l’observatoire du religieux à l’institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence. Il est l’auteur notamment de « La France face aux sectes » Hachette 2002

7 Emile Poulat : Directeur de recherches au C.N.R.S., fondateur du Groupe de sociologie des religions, directeur d’études à l’E.H.E.S.S. 

8Henri Pena-Ruiz : Philosophe, membre de la commission Stasi.

9 Jean Rivero : Professeur émérite à l’Université Panthéon-Assas, auteur notamment avec Jean Waline de « Droit administratif » collection Précis Droit Public aux éditions Dalloz-Sirey, 2002

10 Loi du 30 octobre 1886 relative à l’enseignement primaire.

11 Et ce, même si l’élève fait partie de la communauté éducative.

12 « La laïcité, objet de toutes les passions, obsession des hussards de la République, se trouve dorénavant haussée au niveau de plus élevé de la hiérarchie des normes. Cette présence est assurément une spécificité nationale. Le mot laïcité, parfois difficilement traduisible en langue étrangère, est absent des autres Constitutions européennes », David KESSLER, » Aux sources de la loi, application du principe de laïcité dans les écoles, les collèges et les lycées publics » Editions des journaux officiels, 2003

13 C’est ainsi que Léon GAMBETTA disait « nous ne sommes pas les ennemis de la religion, d’aucune religion. Nous sommes au contraire, les serviteurs de la liberté de conscience, respectueux de toutes les opinions religieuses et philosophiques ». 18 septembre 1878.

14 Kenneth ROTH, Directeur Exécutif de Human Rights Watch, New-York, le 27 février 2004.

15 Convention Européenne des Droits de l’Homme, 1950. Egalement l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 « nul ne peut être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses ». De même l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 qui réaffirme ce principe et, enfin, principe consacré par le Pacte International relatif aux droits civils et politiques dans son article 18.

16 Convention qui n’est pas directement invocables par les particuliers dans son ensemble.

17 Tel que l’a souligné M. Remy SCHWARTZ, maître des requêtes au Conseil d’Etat.

18 Ainsi l’arrêt du 14 mars 1994 YILMAZ dans lequel le Conseil d’Etat a annulé une disposition du règlement intérieur d’un lycée d’Angers qui prévoyait qu’ « aucun élève ne sera admis en salle de cours, en étude ou au réfectoire, la tête couverte ».

19 Sénat, séance du 3 mars 2004.

20 Badré, Biwer, Blin, J. Boyer, Détraigne, J.-L. Dupont et Fauchon, Mme Férat, M. C. Gaudin, Mmes G. Gautier et Gourault, MM. Kergueris, Mantienne, Moinard et Moulinier, Mme Payet, MM. Soulage, Vanlerenberghe, Zocchetto, Amoudry et Arthuis et Mme Bocandé.

21 Sénat, séance du 3 mars 2004.

22 Sénat, séance du 3 mars 2004.

23 Sénat, séance du 3 mars 2004.

24 Sénat, séance du 3 mars 2004.

25 Le Robert.

26 Sénat, séance du 3 mars 2004.

27 Gilles LEBRETON « libertés publiques et droits de l’Homme » 6ème édition, Armand Colin, p. 424.

28 Conseil d’Etat, Assemblée, 14 janvier 1938, La Fleurette.

29 Phase de dialogue qui avait déjà été prévue dans la circulaire Jospin du 12 décembre 1989.

30 Le principe de dignité humaine peut également être rattaché à l’article 16 de la CIDE relatif à la protection de l’honneur de l’enfant en disposant que « nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée … ni d’atteinte illégale à son honneur et à sa réputation… » Principe que le Conseil d’Etat depuis l’arrêt DEMIRPENCE du 10 mars 1995 considère comme self-executing à savoir auto-exécutoire et qu’il accepte d’en connaître. N’y a t-il pas un lien à faire entre le fait de demander à une jeune fille d’enlever son foulard et l’atteinte à l’honneur. Mais ceci n’est pas la conception retenue en droit international de la notion de dignité, car la dignité au regard de ce même droit correspond aux « qualités inhérentes à l’homme » (CJCE, 14 octobre 2004 Omega Spielhallen und Automatenaufstellungs – GmbH contre Oberburgermeisterin der Bundesstadt Bonn), ceci correspond à un standard minimum faisant référence le plus souvent à la torture ou aux traitements inhumains et dégradants. Si l’on retient une interprétation large, on se rend très vite compte que le fait d’enfermer et de séquestrer une personne, d’autant plus mineure, dans une salle à part, en l’isolant de la communauté éducative, en lui imposant de retirer son foulard et de mettre de coté une partie de son identité n’est rien d’autre qu’un traitement inhumain. Il faut également tenir compte des aspects psychologiques et des troubles que de telles exclusions créeraient chez l’enfant. C’est ce que l’on peut qualifier de « torture psychologique ».

31 Article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, 1950.

32 Principe qui ne s’applique pas dans le cas de l’espèce, c’est seulement à titre d’exemple.

33 Circulaire du 18 mai 2004.

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