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L’araignée, le pigeon et les musulmans

Encore une controverse dont seuls les Arabes et les musulmans ont le secret. Il s’agit d’un sujet en apparence futile et qu’on élude depuis des lustres, alors qu’il sème souvent la zizanie dans les chaumières, les souks et les mosquées. De quoi s’agit-il ?
Nous sommes au début du VIIème siècle, à l’époque de la révélation de l’Islam au Prophète (saws) par l’ange Gabriel. Les historiens nous ont appris que les habitants de la Mecque, les Quraychite, étaient absolument hostiles à cette nouvelle religion et n’avaient de cesse de faire la guerre au Prophète de l’islam et à ses fidèles compagnons. Leur hostilité était tellement virulente qu’elle avait contraint le Prophète et ses compagnons à l’exil vers Médine en 622. Pourchassés par une armée de guerriers fanatisés, le Prophète Mohamed et son fidèle compagnon Abu Bakr furent contraints de se réfugier dans une grotte pour échapper à leurs poursuivants. Leur capture devenait donc inéluctable, mais c’était sans compter avec le miracle divin rapporté par de nombreux hadiths (paroles et gestes de l’Envoyé de Dieu), parfois sujets à caution, mais peu importe puisque le hadith le dit.
On apprend donc que deux espèces animales vont sauver la vie des deux célèbres fugitifs : l’araignée et le pigeon.
Quel est le problème ?
On raconte qu’à l’arrivée de l’armée de poursuivants, une araignée avait miraculeusement tissé sa toile, au pied levé pour ainsi dire, rendant ainsi la grotte inviolée en apparence.
Mieux encore, et pour mieux leurrer leurs poursuivants, un pigeon pondit tout aussi miraculeusement des œufs dans un nid déposé par miracle à l’entrée de cette fameuse grotte. Le tour était joué ; les poursuivants n’y virent que du feu, les deux compagnons eurent la vie sauve et arrivèrent enfin à Médine, où ils reçurent un accueil triomphal de la part des Ansars ( habitants de Médine, amis du Prophète ).
Happy end ! on connaît la suite.
Oui ! mais on ne voit toujours pas où est le problème.
En réalité, il n’y a pas de problème, mais il y a une anomalie.
Il faut savoir qu’en terre sainte, et dans la plupart des pays musulmans, on protège les pigeons et on les nourrit de grains à longueur d’année, à la grande joie des marchands de céréales, en hommage et par reconnaissance au columbidae qui, par sa présence, avait sauvé la vie du Prophète de l’islam (saws). La considération ainsi manifestée pour le volatile est certes louable pour autant qu’on n’en retienne que la signification symbolique. Mais alors pourrait-on objecter, on devrait réserver le même traitement aux araignées aussi pour services rendus ?
Or les araignées, comme chacun sait, sont comme tous les arachnides, suffisamment autonomes – d’aucuns penseraient orgueilleuses – pour ne pas attendre qu’on les nourrisse. Elles ne demandent rien et n’attendent rien.
Mais alors pourquoi on les tue, on les écrase, on détruit leurs toiles et on les accable de toutes sortes de malédictions, alors que le subterfuge de leur digne représentante était beaucoup plus convaincant que le nid de pigeon et que les spécialistes considèrent que leur leurre est plus trompeur que le nid de pigeon, même garni d’oeufs ?
Nous sommes donc là devant un cas flagrant et scandaleux d’injustice et de reconnaissance à géométrie variable ; autant dire assez éloigné des valeurs de l’islam en matière de justice.
Reste à suggérer très modestement à nos respectables savants religieux de bien vouloir rétablir l’araignée dans ses droits, sans diminuer pour autant les mérites du pigeon. Ou alors ranger cette histoire de miracle, de grotte, de pigeons et d’araignée au rang de l’imagination débridée qui accompagne souvent les crises de foi. Faute de quoi, et qu’à Dieu ne plaise, le risque de Fitna est tout à fait possible pour peu que le clan des colombophiles et celui des arachnophiles en viennent à en découdre.
Quand on pense qu’aujourd’hui on s’étripe pour si peu, il serait temps de mettre bon ordre à toute cette accumulation de malentendus et de non-dits, et de libérer l’énergie de nos jeunes pour des batailles beaucoup plus déterminantes pour leur avenir. Ne serait-il pas plus utile d’orienter leur intelligence vers les défis de leur époque et de les entendre débattre de robotique et d’intelligence artificielle, plutôt que de s’étriper pour savoir si on joue sa place au paradis en entrant du pied gauche dans une mosquée plutôt que du pied droit ?
Saad Khiari
Cinéaste-auteur

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