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L’analyse de la ’lettre’ des terroristes

 

Lorsque l’examen de la ’lettre’ des terroristes du 11 Septembre 2001, retrouvée par le FBI en trois exemplaires semble-t-il, m’a été demandé par un quotidien français, je me suis d’abord interrogé sur l’authenticité d’une telle lettre, dont on ne dispose au demeurant que de la traduction en français à partir d’une version en anglais. Je me suis demandé si cette lettre n’était que l’artifice d’une manipulation pour ajouter au discrédit de l’islam en cette époque très trouble. Après réflexion, il m’a semblé néanmoins utile, quelle que soit la validité de cette lettre, de réfléchir aux éléments du Coran qu’elle invoque, car ce n’est pas en reniant l’authenticité de cette lettre ou en s’inscrivant dans une démarche obstinée de dénégation que l’on rectifiera le préjudice qu’une telle lettre peut causer sur la perception de l’islam en général. Cependant, je dois avouer qu’à la lecture attentive de cette lettre, il m’est apparu que si même il ne s’agit que d’une falsification, elle n’en reste pas moins troublante et elle semble refléter un état mental et un endoctrinement qui pourrait fort bien être celui des terroristes.

pour lire la traduction de la lettre

Donc, même si la validité de cette lettre pourrait être contestable, cela ne doit ni nous épargner un examen de conscience, ni nous éviter de pointer du doigt une certaine théologie qui a dû sciemment ou tacitement soutenir les intentions des terroristes qui étaient, faut-il le rappeler, bel et bien des musulmans selon plusieurs faisceaux de preuves.

Avant de tenter toute analyse critique de la lettre, il me paraît impératif de distinguer trois problèmes concomitants mais qui devraient être abordés isolément les uns des autres tout en admettant qu’ils sont interdépendants :

Premièrement, le problème de l’amalgame sur fond de racisme ordinaire qui concerne la confusion semée dans la précipitation du discours médiatique et de ses versions souvent réductrices qui assimilent dans une hâte presque convenue tout musulman avec un terroriste potentiel.

Deuxièmement, le problème de l’ambiguïté ou du jeu de la politique américaine, conjointement avec les incohérences de la politique israélienne, qui ont indirectement induit l’acte du 11 Septembre, comme une malheureuse conséquence du principe des ’deux poids et deux mesures’ et du cumul de tant de maladresses stratégiques.

Troisièmement, le problème d’une certaine théologie musulmane qui a nourri insidieusement, et depuis fort longtemps, des lectures tendancieuses et subversives du Coran, lui affectant une perspective déshumanisée, guerrière, complètement décontextualisée et propice à faire des émules terroristes en cherchant à occuper par un discours fanatico-ethnisiste l’espace vacant de la contestation économique et socio-politique.

Et ce n’est ni en se réfugiant derrière la confusion des médias et en criant à l’amalgame, ni en s’obstinant sur les méfaits de la politique européenne ou américaine et en criant à l’impérialisme, ni en s’acharnant exclusivement sur une théologie musulmane viciée, que l’on résoudra l’affaire dans son ensemble. C’est évidemment par une attitude détachée et une introspection non partisane, considérant dans leur ensemble les trois problématiques évoquées précédemment, que l’on parviendra à résoudre cet enchevêtrement, ce qui revient à changer véritablement ce monde.

Même si je peux renvoyer occasionnellement à l’une ou l’autre de ces problématiques citées, je m’en tiendrai juste ici à une tentative d’analyse critique de la lettre :

En dehors des hadiths sans valeur historique factuelle et qui se veulent édifiants, notamment celui évoquant Ali, le gendre du Prophète, et en dehors des recommandations de ’bénédiction’ et de multiples ’supplications’ qui traduisent une compréhension conventionnelle et fétichiste du Coran lui attribuant une force magique propice à toutes les superstitions, le contenu de la lettre des terroristes fait ressortir un choix déterministe de versets, mais systématiquement utilisés à contre emploi.

En effet, privés de leur contexte, les versets cités, et bien d’autres encore, peuvent être dangereusement instrumentalisés pour servir n’importe quelle cause fanatique.

Je propose d’examiner successivement les versets utilisés dans la dernière partie de la lettre (dite Phase Trois), car selon toute vraisemblance, la dernière partie de la lettre, et de ce fait la dernière à être lue et celle qui est censée rester gravée en mémoire, se devait de comporter les exhortations les plus fortes et les plus propres à galvaniser les terroristes. C’est bien ce que l’on observe dans le choix des versets.

Le passage suivant qui clôture la lettre des terroristes comporte le verset 22 de la sourate XXXIII (Al-Ahzâb ou Les Coalisés) :

 

Si tu vois l’ennemi comme fort, souviens-toi des rassemblements la coalition qui s’est formée pour combattre le prophète Mahomet. Ils étaient dix mille. Et souviens-toi que Dieu a donné la victoire à ses fidèles serviteurs. Dieu a dit : ’Quand les fidèles ont vu les rassemblements, ils ont dit ’Voilà ce que Dieu et le Prophète ont promis et ils ont dit la vérité.’ Cela n’a fait qu’augmenter leur foi.’

 

Ce verset se situe dans le contexte de la Coalition mecquoise ; en voici les éléments historiques :

Une Coalition mecquoise s’est formée contre les Musulmans de Médine en l’an 5 de l’Hégire (627 ap.J.-C.). Selon la Tradition, cette coalition bénéficiait dans Médine même de la complicité des Hypocrites (Al-Mounafiqoun), des païens et des clans juifs. Des versets les dénoncent et les exhortent à se joindre au Prophète et aux Musulmans. En mars 627, la Coalition mecquoise (al-Ahzâb) se dirigea vers Médine pour réprimer définitivement les Musulmans. Cette Coalition comprenait des Qorayshites avec leurs mercenaires, des Bédouins qui s’étaient ralliés par intérêt, et des tribus guerrières (Kinâna, Soulaym, Assad, Mourra etc.). Cette armée, évaluée à 10000 hommes, 600 chevaux et des chameaux, était sous le commandement d’Abou Soufyân ibn Harb, celui-là même qui conduisait la caravane de Badr (624) et qui avait dirigé l’expédition d’Ouhoud (625). A l’occasion de l’affrontement entre cette Coalition et les musulmans médinois une technique militaire fut mise en œuvre comme le relate la Chronique traditionnelle ou Biographie du Prophète selon Ibn Hishâm (mort en 833 ap. J.-C, soit 218 ap. l’Hégire).

L’empire byzantin de Justinien, qui régna de 528 à 565, fut souvent en conflit avec l’empire perse du Roi des Rois Chosroês. Ces deux puissances développèrent des stratégies militaires jusqu’alors inconnues en Arabie où l’armement et les techniques de combat restaient rudimentaires. C’est ainsi que Salmân al-Farisî, un affranchi persan qui faisait partie de l’armée musulmane, conseilla au Prophète de creuser une tranchée, technique non utilisée habituellement par les Arabes, pour entraver l’assaut des Coalisés. Un fossé (Khandaq) fut creusé en six jours, d’où le nom de « Bataille du Fossé ». Les troupes d’Abou Soufyân ne purent franchir cet obstacle. L’échange de flèches de part et d’autre de la tranchée dura deux semaines jusqu’à ce qu’une violente tempête vint disperser le camp des Mecquois qui durent enfin lever le siège. On déplora peu de victimes tombées au combat : six médinois et trois mecquois. La bataille du Fossé fut une victoire défensive pour les Musulmans. La conclusion à en tirer est la suivante :

Cette victoire contre les Coalisés fut proprement défensive et non pas offensive, comme en témoigne d’ailleurs le verset 25 de la sourate XXXIII : ’ Et Allah a renvoyé, avec leur rage, les infidèles sans qu’ils n’aient obtenu aucun bien, et Allah a épargné aux croyants le combat. Allah est Fort et Puissant.’

 

Utiliser dans une intention offensive et destructrice un verset relatif à un tel épisode est incongru.

Par ailleurs, mais sans chercher à insister sur ce dernier détail au sujet duquel on manque de données, s’agissant de Salmân al-Farisî, qu’Ibn Hishâm (entre autres) cite dans sa Sirah, il apparaît comme un personnage dont la filiation incertaine est réclamée par les Mouhâjiroun (Emigrants) de même que par les Ançar (Auxiliaires médinois). La Tradition, se voulant édifiante pour glorifier le personnage et pour lever l’incertitude, ajoute alors que le Prophète aurait dit que Salmân faisait partie de ’Ahl al Bait’. Mais à défaut d’évidence historique, rien ne permet d’exclure le fait que Salmân, fut probablement de confession zoroastrienne ou chrétienne avant d’être fait esclave puis affranchi, ce qui devrait rendre le choix du verset XXXIII-22 encore plus incongru dans la perspective des terroristes : quelqu’un d’origine zoroastrienne ou chrétienne aurait permis avec l’aide d’Allah de sauver Médine…

Dans cette Phase Trois, on trouve aussi le passage qui cite le verset 154 de la sourate II (Al-Baqarah ou la Vache) :

 

’Ne croyez pas que ceux qui sont tués pour l’amour de Dieu sont morts ; ils sont vivants…’

 

Une autre traduction complète en serait la suivante :

’ Et ne dites pas de ceux qui sont tués dans le sentier d’Allah qu’ils sont morts. Au contraire ils sont vivants, mais vous en êtes inconscients.’

 

Le tafsir selon Jalal ad-Din as-Suyuti (1445-1505 ap. J.-C) voudrait dater ce verset de l’époque de la bataille de Badr (en 624 ap. J.-C), et le commente en rapportant d’après une filiation de témoins dont le plus ancien est un cousin du Prophète &

Si l’on considère maintenant le tafsir de Ibn Al-Kathir (700 ap.l’Hégire), il semble esquiver ce verset et n’apporte aucun éclairage. Mais aucun des deux tafsir cités ne relève le fait que le verset II-154 pourrait se situer dans le contexte historique du verset proche II-158 qui parle sans équivoque du pèlerinage de la Mecque et cite les monts de Safa et al-Marwah. Or ce verset II-158 date certainement d’après l’entrée triomphale du Prophète à la Mecque en 630 ap. J.-C. L’islam était donc à son avènement et les versets qui précèdent (de 155 à 157, voir plus bas) font allusion aux souffrances et aux privations qui attendent les musulmans même après cette victoire décisive, c’est-à-dire la prise de la Mecque, et les exhortent à la patience et à l’endurance même en face de l’adversité. Donc le verset II-154 ferait plutôt allusion aux musulmans qui ont lutté et son morts pour cette victoire. Cependant comme la Mecque, le 11 janvier 630, à été prise avec quasiment pas de perte humaine parmi les musulmans et avec une très faible résistance de la part de leurs adversaires et également très peu de pertes parmi ceux-ci, il convient de dire que le verset II,154 rend plutôt hommage à tous ceux qui ont lutté aux côtés du Prophète depuis le tout début de l’Hégire jusqu’à la conclusion victorieuse et pratiquement pacifique de l’entrée à la Mecque. Donc le verset II-154 se situe chronologiquement dans un contexte plutôt favorable à l’Islam, et rassure les musulmans sur le sort de ceux d’entre eux qui sont morts sans avoir vécus l’entrée triomphante à la Mecque car cette victoire apparaît comme le couronnement de leurs efforts : l’avènement de l’Islam à la Mecque qui était païenne auparavant. Une autre explication plausible du verset II,154 est le fait que le Prophète depuis 628, et en particulier depuis les accords de Houdaybiyya avec les Qorayshites (qui gouvernaient alors la Mecque), exhortait les musulmans à la patience en face de leurs adversaires et s’opposait, comme en témoigne la Biographie de Ibn Hishâm (2eme siècle ap. l’Hégire), à toute affrontement délibéré avec eux. Donc à ce titre, on peut considérer aussi que les quelques rares pertes occasionnées par la prise de la Mecque donnèrent prétexte à contestation parmi les musulmans qui durent reprocher au Prophète son ’excès’ de pacifisme à cette période. Le verset II-154 serait bien à propos pour les rassurer sur le sort des tués.

En conclusion, pour en revenir à l’interprétation affectée par les terroristes au verset II-154, et eut égard aux circonstances diplomatiques et aux célèbres négociations de Houdaybiya qui ont précédé la prise de la Mecque et que le Prophète a menées avec brio deux ans auparavant avec ses adversaires mecquois, on voit mal comment on pourrait reconnaître la moindre similitude avec les circonstances des terroristes du World Trade Center. En effet, les événements dans lesquels s’inscrit ce fameux verset II-154 sont : négociations pacifiques avec l’adversaire, entrée en nombre et en armes mais quasiment sans victimes dans un lieu pour le sanctifier, et promesse de récompense divine à ceux qui supporteront patiemment les épreuves encore à venir.

Il est clair que l’extrapolation du verset II-154 hors de son contexte pour encourager ’aux affres du combat’ est une aberration par ignorance de l’histoire de l’islam et par volonté de manipulation. On peut légitimement insister sur la médiocrité du tafsir conventionnel et sur son absence totale d’analyse critique. Quant au commentaire de as-Suyuti, il manque amèrement d’argumentation.

II-155. Très certainement, Nous vous éprouverons par un peu de peur, de faim et de diminution de biens, de personnes et de fruits. Et fais la bonne annonce aux endurants,

II-156. qui disent, quand un malheur les atteint : « Certes nous sommes à Allah, et c’est à Lui que nous retournerons.

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II-157. Ceux-là reçoivent des bénédictions de leur Seigneur, ainsi que la miséricorde ; et ceux-là sont les biens guidés.

II-158. As Safa et Al Marwah sont vraiment parmi les lieux sacrés d’Allah. Donc, quiconque fait pèlerinage à la Maison ou fait l’Umra ne commet pas de péché en faisant le va-et-vient entre ces deux monts. Et quiconque fait de son propre gré une bonne œuvre, alors Allah est Reconnaissant, Omniscient.

En remontant progressivement la Phase Trois de la lettre on trouve le passage qui cite le verset 67 de la sourate VIII (Al-Anfâl ou Le Butin) :

 

Puis, suis le modèle du Prophète en faisant des prisonniers. Empare-toi des prisonniers et tue-les. Comme l’a dit le Tout-Puissant : ’Nul prophète ne doit avoir de prisonniers jusqu’à ce qu’il ait gorgé la terre de sang. Tu veux les bienfaits de ce monde en échange des prisonniers et Dieu veut pour toi l’autre monde, et Dieu est tout-puissant, Il est toute-sagesse.’

 

Ce passage de la lettre des terroristes soulève le problème de la traduction en anglais/français corollaire de la vocalise en langue arabe. En effet, le verbe arabe qui fut traduit par l’idée de ’jusqu’à ce qu’il ait gorgé la terre de sang’ se prononce dans le texte coranique comme ’youtkhina’ qui se décline ’youtkhinou’ à partir de ’atkhana’ qui signifie ’massacrer, meurtrir, cribler de coups’. Or le verbe ’takhouna’ qui a la même racine que le précédent, et qui se décline en ’yatkhounou’ signifie par contre ’s’affermir, épaissir’, un sens diamétralement opposé au premier ! Or les deux verbes comportent les mêmes lettres consonantiques et les mêmes signes diacritiques, et ne se distinguent que par leur vocalise. Quant on pense que cette vocalisation adoptée du Coran est tardive (à partir du 8ème siècle), on comprend le problème crucial et délicat que représente à la fois la traduction et surtout l’interprétation des théologiens musulmans et ses conséquences.

Par ailleurs, l’expression ’en échange des prisonniers’ ne figure pas du tout dans le texte coranique et ne peut être considérée tout au plus que comme un commentaire du traducteur pour expliquer que les prisonniers pouvaient servir de monnaie d’échange et ainsi procurer une certaine richesse ; Cependant, le traducteur aurait négligé le fait que les prisonniers puissent aussi servir d’esclaves qui, à outrance, permettraient à leur maître d’afficher de manière ostentatoire sa grande fortune ou son rang social. Revenons donc à l’interprétation du verbe en question dans le sens de ’affermissement’, le verset devient alors :

 

’Nul prophète ne doit chercher à posséder des esclaves jusqu’à ce qu’il affermisse sa position sur la terre. Tu veux les bienfaits de ce monde [en échange des prisonniers] et Dieu veut pour toi l’autre monde, et Dieu est tout-Puissant, Il est toute Sagesse.’

 

Autrement dit, le Prophète, autant que les autres musulmans, ne devrait pas guerroyer pour augmenter sa fortune ou s’enorgueillir en faisant des prisonniers car il est encore bien peu de chose (et en effet ce verset datait de l’époque de Badr en 624, avant que l’Islam ne s’affermisse en Arabie), et sa mission et de lutter contre l’idolâtrie et non pas de profiter de sa position de Prophète pour s’enrichir. Allah lui accordera des biens meilleurs dans l’Au-delà.

D’ailleurs, les deux versets suivants (VIII-68 et VIII-69) parlent clairement et sans équivoque de la fâcheuse tendance des Bédouins à la ’razzia’. Ils évoquent en effet la rançon et le butin et insistent sur la convoitise des compagnons du Prophète et les menacent même d’un châtiment s’ils ne cessent.

Il apparaît donc que l’interprétation attribuée à ce verset par les terroristes et leurs ’théologiens’ est viciée et ne traduit que la mentalité belliqueuse et triomphaliste de ceux qui ont infligé au Coran une telle sémantique se prêtant volontiers à une lecture guerrière.

En continuant à remonter la Phase Trois, on trouve alors la terrible recommandation suivante :

Dieu a dit : ’Frappe au-dessus du cou, et à toutes les extrémités.’

 

Il s’agit en fait d’une citation du verset 12 de la sourate VIII ((Al-Anfâl ou Le Butin).

 

 

Pour comprendre l’enchaînement des événements dans lesquels se situe la révélation de ce verset, il convient de relater certains épisodes de la genèse de l’islam :

Après l’Emigration à Médine en 622, les Musulmans se trouvèrent démunis. Ils ne voulaient abuser de l’hospitalité des Médinois (les Auxiliaires ou Ançar) et devaient trouver un moyen d’assurer leur subsistance. Le Prophète se résolut à renouer avec la tradition bédouine pour la survie de la communauté émigrée. Deux mois après le raid de Nakhlah, pendant le mois de Ramadâne de l’an 2 de l’Hégire (mars 624), il entreprit de s’attaquer à une riche caravane mecquoise de retour de Gaza vers la Mecque. Il en fit part aux Médinois. Beaucoup parmi les Auxiliaires furent intéressés par la perspective d’un butin important, alors que lors du raid de Nakhlah, c’était essentiellement des Emigrants qui étaient intervenus. Une armée de 300 hommes environ fut levée. Ces hommes étaient loin d’imaginer qu’ils allaient devoir affronter les troupes mecquoises en dehors de celle qui escortait la caravane. C’est ce que rappelle le verset VIII-7 : « Vous désiriez triompher de celle qui était sans armes ». Or Abou Sofyân Çakhr ibn Harb du clan Qorayshite de ‘Abd Shams, qui dirigeait la caravane, fut avisé (par ses espions probablement) des intentions des Musulmans. Il envoya immédiatement un coursier du nom de Dhamdham ibn‘Amroû al-Ghafârî avertir les Mecquois du danger que courait la caravane. Par sécurité, Abou Sofyân longea le bord de la mer Rouge et évita d’acheminer la caravane vers le point d’eau de Badr au risque de souffrir de la soif. Entre-temps, une armée de plus de 900 hommes fut levée à la Mecque (beaucoup de clans avaient des intérêts dans la caravane). Abou Djahl du clan de Makhzoum et le vieux ‘Otba ibn Rabî‘a du clan de ‘Abd Shams faisaient partie des chefs influents qui commandaient la troupe de secours. Mais Abou Sofyan, ayant atteint par la côte le territoire de la Mecque, s’estima en sécurité et envoya dire à la troupe de secours que la caravane était sauve. Le seul motif valable restant aux participants à cette troupe pour ne pas rebrousser chemin était de venger ‘Amr ibn al-Hadra‘mî tué deux mois plus tôt à Nakhlah. Des hommes de Banou Zohra et de Banou ‘Adi retirèrent leur détachement et retournèrent vers la Mecque privant ainsi la troupe de quelques 200 hommes. En effet, les clans étaient assez divisés au sujet de la politique d’Abou Djahl qui voulait saisir cette occasion pour en découdre définitivement avec le Prophète Mouhammad. Abou Djahl défia le courage du reste de la troupe qui accepta finalement de le suivre vers Badr. Pendant ce temps, le Prophète, averti par ses guetteurs de l’arrivée des renforts mecquois, se précipita pour combler tous les puits du point d’eau, sauf un, autour duquel il posta ses hommes en attendant l’arrivée des troupes Qorayshites assoiffées. Il obligea ainsi l’ennemi à se battre pour le puits. Une pluie providentielle avait durci le sol et permis à Mouhammad d’atteindre tous les puits avant les Qorayshites. Ce détail est rappelé par le verset VIII-11. La confrontation se produisit. Avant le combat, le Prophète implora l’aide d’Allâh par ses prières. C’est ce qu’évoque le verset VIII-9 : « Et rappelez-vous le moment où vous imploriez le secours de votre Seigneur, et qu’il vous exauça aussitôt et envoya un millier d’Anges déferlant les uns après les autres ». Ce verset suggère l’intervention d’Anges pour aider les Musulmans contre la troupe ennemie qui comptait presque trois fois plus d’hommes. Il y eut d’abord des combats singuliers entre les meilleurs guerriers des deux camps, puis une rafale de flèches et enfin une mêlée générale où les Musulmans, encouragés par le Prophète, montrèrent une ardeur au combat qui surprit les Mecquois. Le verset VIII-12 explique l’effroi des Mecquois devant les

Musulmans :’Et ton Seigneur révéla aux Anges : Je suis avec vous : affermissez donc les croyants. Je vais jeter l’effroi dans les cœurs des mécréants. Frappez donc au-dessus des cous et frappez-les sur tous les bouts des doigts.’

 

Finalement dans la débandade, les Qorayshites prirent la fuite. Plusieurs de leurs chefs furent tués lors des affrontements, parmi eux Abou Djahl et ‘Otba, le père de Hind, la femme d’Abou Sofyân, qui allait depuis lors détester le Prophète et promettre de se venger.

Le butin emporté fut important (d’où le titre donné à la sourate).

En conclusion, on remarquera d’abord que ’l’aide’ et la ’bienveillance’ apportées par les Anges sont évoquées à deux reprises déjà dans la Phase Deux de la lettre :

 

’Et les anges te protègeront sans que tu le sentes.’

’Dis ensuite les suppliques, et ne pars pas de chez toi sans avoir fait tes ablutions (car les anges demanderont ton pardon aussi longtemps que tu es en état d’ablution, et ils prieront pour toi).’

 

On voit manifestement la prétention d’utilisation pour ne pas dire d’asservissement des Anges au projet destructeur que suggère la lettre des terroristes. Or dans le passage coranique cité plus haut au sujet de l’ordre donné aux Anges (VIII,12), il affirme formellement la subordination des Anges à Allah et non pas aux hommes. Il s’agit même fondamentalement d’une attitude blasphématoire vis-à-vis des Anges en Islam que de les considérer comme subordonnés délibérément à l’homme ou au service de ses ’projets’.

Mieux encore, il s’agit manifestement pour les terroristes, selon les recommandations de la lettre, de ’mimer’ les Anges en accomplissant l’acte de ’Frappez au-dessus des cous et frappez sur tous les bouts des doigts’. A nouveau, il s’agit d’une attitude blasphématoire, mais dont on retrouve couramment l’équivalent dans la volonté de mimer les faits et gestes du Prophète tels que rapportés par les hadiths ou la Sunna, attitude que beaucoup de musulmans considèrent comme vertueuse.

On notera ensuite que le pouvoir ’protecteur’ des ablutions par l’intercession des Anges, si même on voulait bien l’admettre sans réserve, pose ici le problème de la rupture de l’ablution ou de l’état de sacralisation qu’elle représente symboliquement, et ceci suite à tout acte ou intention impurs. Les meurtres commis par les terroristes ne pouvaient que rendre caduques ces prétendues ablutions protectrices. Pire encore, l’intention formulée lors des ablutions doit être saine pour que de telles ablutions acquièrent leur valeur symbolique.

Mais sans entrer plus loin dans le décorticage de cette lettre, on peut franchement dire qu’il s’agit d’un monstrueux amoncellement d’aberrations théologiennes, de la pire des théologie, celle qui veut incarner l’Islam mais qui ne fait qu’usurper l’islam, celle dont les archétypes tentent d’occuper un certain espace de la mémoire collective. Aussi, si je puis me permettre cet excès, je dirais que mieux encore que d’éradiquer les terroristes, il conviendrait de contester la théologie viciée qui continue et continuera malheureusement de les abreuver. Toute âme honnête devrait comprendre que l’islam tant méconnu, tant honni, a besoin d’être sauvé et non pas d’être châtié plus qu’il ne l’est déjà.

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