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L’Amérique menace le monde

C’est dans une déclaration traversée du souffle du lyrisme que le sénateur Jesse Helms déclara en 1996 « Les Etats-Unis doivent diriger le monde en portant le flambeau moral, politique et militaire du droit et de la force, et servir d’exemple à tous les peuples ». (1) Pour l’amiral William J. Perry, ancien secrétaire à la défense du président Clinton, si les Etats-Unis doivent régner sur le monde, c’est parce qu’ils sont « le leader naturel de la communauté internationale » (2).

Cette exaltation de l’Amérique triomphante vouée à dominer le Monde pour le bien et le bonheur de tous augure bien de l’euphorie impériale qui a gagné la classe politique américaine, depuis la chute de l’Union soviétique. Après la première guerre du Golfe, la prééminence des Etats-Unis sur la scène politique mondiale s’est accrue au point de consacrer un absolu unilatéralisme qui a atteint son point d’orgue ces derniers jours avec des déclarations ouvertement hostiles à l’ONU prononcées par des responsables de l’Administration Bush. De surcroît, la concurrence économique qui opposait les USA à l’Europe et au Japon s’est muée en une alliance stratégique tandis que sur le plan géopolitique leur influence a cru de façon marquante.

La naissance d’un Empire

Désormais, les USA imposent un nouvel ordre international en ordonnant leurs propres règles au jeu politique mondial. A cet égard, un rôle de première importance incombe aux think tanks (les « boîtes à idées ») dans la mise en oeuvre de la doxa néo-libérale et sécuritaire qui triomphe actuellement. L’Heritage Foundation, l’un des plus influents think tank qui a formé de nombreux responsables de l’Administration Bush a ainsi publié un rapport affirmant que les Etats-Unis avaient le « devoir » de dominer le monde. Son Président, M. Edwin Feulner déclarait en 1993 : « Lorsque nous avons démarré (en 1973), on nous qualifiait d’« ultra-droite » ou d’« extrême droite ». Aujourd’hui, nos idées appartiennent au courant dominant » (3).

Afin d’étendre toujours plus une hégémonie sans partage, le secteur militaire n’a cessé d’être développé. L’idéologie de la primauté se déploie ainsi dans toutes les sphères de la politique américaine, le secteur de la recherche est désormais mis au service de la puissance militaire américaine (4). En 2004, le budget fédéral des Etats-Unis consacrera plus de 50 milliards de dollars à la recherche militaire (soit plus de la moitié des fonds alloués au secteur « recherche et développement »). Les attentats du 11 septembre 2001 ont permis de justifier une hausse conséquente des programmes civils.

L’Administration Clinton avait tenté vaille que vaille de consacrer un certain multilatéralisme et de maintenir la préséance de la diplomatie dans les relations internationales. Le président William Clinton choisit dès son accession au pouvoir d’accorder la prédominance de l’économique sur le stratégique, mettant en oeuvre les accords de libre-échange avec le Mexique et le Canada en 1993, et la ratification de l’OMC en 1994. Il annonça aussi qu’il envisageait de remettre en cause le programme de développement d’armes antibalistiques développé par Ronald Reagan. Sous les coups de boutoirs du complexe militaro-industriel, il revint sur ses promesses. Pour M. Lawrence Korb, du Council on Foreign Relations (CFR), « C’est à partir de ce moment-là, que M. Clinton a décidé de caresser le Pentagone dans le sens du poil ». De fait, dès 1998, et sous la pression du Congrès, le président Clinton décida d’accorder au budget de la défense une enveloppe supplémentaire de 112 milliards de dollars sur une période de six ans.

L’Administration Bush opéra un tournant plus radical encore, ouvrant la voie à une domination sans partage. A peine parvenus au pouvoir, Bush et son gouvernement ont multiplié les mesures unilatérales : dénoncé le Traité sur les missiles anti-balistiques de 1972 et le Protocole sur les armes biochimiques, annoncé leur intention de militariser l’espace, remis en cause le protocole de Kyoto consacré à l’environnement et fait échec aux travaux relatifs au contrôle des paradis fiscaux mis en oeuvre par l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE). Enfin, Bush a clairement dénoncé la Cour pénale internationale (CPI) craignant que des citoyens américains ne viennent à y comparaître !

Où et quand ils le veulent

L’idéologie de la toute puissance a été décrite par Paul Wolfowitz, l’actuel secrétaire adjoint à la défense, qui proposait dans un document d’« empêcher toute puissance hostile de dominer des régions dont les ressources lui permettraient d’accéder au statut de grande puissance (..) et de décourager les pays industrialisés avancés de toute tentative visant à défier notre leadership ou à renverser l’ordre politique et économique établi » (5).

La mise hors jeu des Nations Unies et la dénonciation des traités multilatéraux ont pour objet d’étendre toujours plus l’hégémonie des Etats-Unis. Lorsqu’elles ne servent pas leurs intérêts, les lois et Conventions internationales dont ils sont pourtant signataires sont rejetées avec mépris, stigmatisées d’« arguties juridiques ». En fait, tout ce qui peut avoir pour conséquence de circonscrire leur suprématie est considéré par eux comme nul et non avenu.

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La précédente Administration Bush avait développé la notion d’« Etats voyous » (rogue states) désignant les gouvernements hostiles aux intérêts américains et qui pour cela méritaient des sanctions unilatérales ordonnées par les Etats-Unis. Lorsqu’en février 1998, le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan parvint in extremis à arracher un accord avec Saddam Hussein, William Clinton déclara que cela n’empêcherait pas les Etats-Unis de répliquer unilatéralement « quand, où et comment ils le décideraient ». Cette position semblait sans doute trop timorée au sénateur républicain Trent Lott qui reprocha à M. Clinton d’avoir abandonné la politique extérieure américaine « à d’autres », c’est-à-dire aux Nations Unies.

La stratégie américaine de contournement des traités internationaux consiste à faire appel aux instances internationales et notamment au Conseil de sécurité de l’ONU pour habiller des vertus du droit international leurs aventures impériales. Par contre, dès qu’il s’agit de se mettre en conformité avec ces mêmes directives, ils refusent de s’y soumettre en arguant de l’invalidité de ces lois.

Des décennies d’aventures impériales

Ainsi, lorsque la Cour internationale de justice de La Haye condamna les USA en 1986 pour « usage illégal de la force » contre le Nicaragua sandiniste, et exigea la cessation du soutien qu’ils dispensaient aux terroristes de la Contra, le gouvernement américain traita cet arrêt par le mépris et décida simplement…de l’ignorer. Non seulement cette décision que Washington qualifia de « ridicule » resta lettre morte mais l’Etat américain prit aussitôt la décision d’accroître son soutien aux extrémistes de la Contra ! Le secrétaire d’Etat George Shultz résuma ainsi la position américaine : « Le mot négociation est un euphémisme pour capitulation si l’ombre de la puissance n’est pas projetée sur le tapis vert ».

L’article 51 de la Charte des Nations Unies est régulièrement invoqué par les Etats-Unis pour justifier leurs expéditions punitives. Ce fut le cas en 2001 contre l’Afghanistan ainsi qu’en 1989 pour légitimer l’invasion du Panama. Une résolution de l’Assemblée générale condamnant « la violation flagrante du droit international et de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des Etats » et sommant les Etats-Unis de se retirer sans délai du Panama fut proposée au vote du Conseil de sécurité de l’ONU. Le gouvernement américain y opposa naturellement son véto. Contre les talibans, Washington parvint à imposer sa propre lecture des textes et à obtenir l’aval des Nations Unies pour ordonner une attaque armée contre l’Afghanistan. En violation du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies qui accorde au Conseil de Sécurité et à son état major la seule responsabilité des plans de guerre, les Américains ont conduit eux mêmes le commandement des opérations. Après avoir imposé un gouvernement à leur solde en la personne de M. Hamid Karzaï, les USA n’ont jamais réalisé les travaux de reconstruction qu’ils s’étaient engagés à mettre en oeuvre en Afghanistan.

En juin 1993, le président Clinton eut encore une fois recours à ce fameux article 51 pour justifier au nom de la « légitime défense » un énième bombardement contre l’Irak. En effet, il fut question d’un mystérieux complot ourdi par le pouvoir irakien deux mois plus tôt en vue d’assassiner l’ancien président George Bush ! Les preuves qu’il prétendait détenir étaient sans doute si irréfutables qu’il ne trouva jamais utile de les produire.

Le gouvernement américain salua l’accession au pouvoir du général Suharto en Indonésie. Clinton présenta comme « un ami de l’Amérique » le dictateur qui expliquait sa notion d’un bon gouvernement par ses mots « on laisse traîner les cadavres, comme une sorte de thérapie de choc » (6). Bien que les exactions massives, massacres et tortures systématiques du dictateur étaient connues de tous, les Etats-Unis lui accordèrent un soutien massif notamment militaire et cela même après l’invasion en 1975 (dénoncée par l’ONU) du Timor Oriental. L’Ambassadeur américain auprès de l’ONU, M. Moynihan se félicite dans ses mémoires d’avoir rendu les Nations unies « totalement inefficaces ».

Le Soudan fut aussi considéré comme un Etat dangereux car « soutenant le terrorisme ». L’attaque terroriste ordonnée au cours de l’été 1998 par Washington contre un laboratoire pharmaceutique soudanais décrit comme une fabrique d’armes chimiques ne souleva aucunement l’indignation de la communauté internationale. Pourtant, le gouvernement américain reconnaît aujourd’hui qu’il s’agissait bien comme l’affirmait alors le gouvernement soudanais d’une usine de médicaments. Le fait qu’une grande puissance ait sciemment détruit la moitié de la production de médicaments d’un pays du tiers monde en proie à une guerre civile n’aura pas fait l’objet de la moindre condamnation.
La course à l’armement relancée par le président Bush s’accompagne de l’octroi de nouveaux fonds pour la recherche technologique militaire ; ce qui n’est pas sans satisfaire les Lockheed-Martin, Raytheon ou Boeing. Pour l’expert Seymour Melman, « le but stratégique de cet effort est d’assurer l’hégémonie mondiale. C’est une arithmétique du pouvoir ».

Après la Yougoslavie de Milosevic, c’et au tour de l’Irak de subir une attaque non autorisée par l’ONU. Le politologue américain Chalmers Johnson (7) décrit ainsi la situation qui prévaut : « Depuis la fin de la guerre froide, les Etats-Unis ont largement abandonné les outils traditionnels de la politique extérieure – diplomatie, aide économique, droit international, institutions multilatérales – en faveur de rodomontades, de gesticulations militaires et de manipulations financières. Le monde n’en est devenu que plus dangereux ». Pour lui, les Etats-Unis ne pourront pas éternellement asservir et imposer leurs diktats au monde sans en payer un jour ou l’autre le prix. Et de prophétiser « un retour de bâton » dans un futur proche.

1) Jesse Helms, « Entering the Pacific Century », Heritage Foundation, Washington, DC, 1996.
2) Cité par Charles Glass, Prospect, Londres, 1998
3) Robin Toner, « Conservatives Savor Their Role as Insiders in the White House », The New York Times, 19 mars 2001
4) Le Monde du 18 mars 2003 « L’Amérique a fait de la recherche une machine de guerre ».
5) Philip Bowring, « Rogue States Are Overrated », International Herald Tribune, 6 juin 2000.
6) « Timor-Oriental, l’horreur et l’amnésie », Le Monde diplomatique, octobre 1999.
7) Chalmers Johnson Metropolitan Books, New York, 2000, 288 pages

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