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La voir, enfin

Sans la dimension sacrée, je suis convaincu que l’être humain est réduit à l’état d’un caillou. Né loin de tout courant religieux ou de tout dogme et éduqué dans ce chemin, j’ai embrassé l’Islam en novembre 1992. Le 13 juillet 2009 j’ai pu me rendre pour la première fois dans la maison sacrée (masjeed al haram) en compagnie d’Ali. Ma vie ne sera désormais plus la même autant que la libellule ressemble au cocon qui l’a engendré. Ce texte est extrait de mon carnet de bord tenu quotidiennement pendant les douze journées de ce voyage. Ali est président du CRCM de Normandie. Il vit plusieurs mois par an à La Mecque.

12 Juillet.

« Ali m’a demandé de le rejoindre après la prière d’Icha pour quitter Médine dans la nuit. J’ai prié à l’extérieur de la mosquée du prophète (pbsl). Un vent chaud soufflait. J’ai pris « Bab assalam » ensuite pour le saluer une dernière foi. Quitter Médine me pèse, cette ville exhale une piété tranquille. Les descendants des Ansars accueillent les pèlerins avec une bonhomie semblable sans doute à celle de leurs ancêtres. Cette qualité d’accueil est palpable. L’histoire se répète.

Nous quittons Médine dans un 4 roues motrices flambant neuf loué pour l’occasion. A dhoul al houdaifa (Bir Ali), nous prenons la douche rituelle et revêtons l’ihram, tissus blanc sans coutures. Nous reprenons ensuite notre route vers La Mecque en roulant toute la nuit dans ces quelques 500 km de désert.

En cours de route nous nous arrêtons dans un restaurant Yéménite pour déguster un succulent poisson grillé assis sur un tapis, en bordure d’autoroute. Malgré l’heure tardive des enfants regardent la télévision. Je répète la formule rituelle de la talbiya toute la nuit. Nous traversons un désert que la nuit m’empêche de distinguer.

13 Juillet.

J’envoie des SMS à Nathalie qui travaille à la clinique toute la nuit avec son amie Samira. « Je suis à 400, 300,200 Km ». Je devine l’émotion de l’autre coté du monde. Je les sens toutes proches, presque embarquées, et pourtant si loin, presque en embuscade.

Vers 3 heures, Ali me dit que les lumières que nous voyons sont celles de La Mecque. J’avertis par SMS que les messages se terminent alors. Fin de contact. Mes premières larmes arrivent.

Quelques temps après l’entrée dans la ville, un panneau indique : »Djebbel Kaaba », et une cote raide ensuite. Je suis toujours à l’arrière du véhicule, impatient, prêt au rendez-vous de ma vie.

Nous posons nos bagages dans un hôtel. Je n’ai pas l’esprit à scruter ma chambre. J’attends Ali devant la réception. Nous marchons en direction de la mosquée, qui s’offre à nous peu à peu.

La ville est en travaux, et à 3 heures du matin, il y règne une agitation stupéfiante : tracteurs au travail, marteaux piqueurs, le bruit est assourdissant. Il y a de la terre et de la poussière partout. On a du mal à penser que nous ne sommes pas en pleine journée.

D’immenses immeubles surplombent la mosquée, jonchés de 4,5, 6 grues. Nous entrons par bab al omra, elle semble immense et m’écrase de cette immensité. Des enfants jouent à cette heure tardive, et des adultes dorment, le nez dans un coran ouvert et usé.

Nous marchons longtemps, en direction de la Kaaba. Nous nous arrêtons pour boire un verre de zam-zam, et sur ma gauche, à 50 mètres, entre les colonnes de la partie ottomane, J’aperçois les premiers morceaux d’étoffe de velours noir, entre les colonnes.

J’oublie alors tout le rituel et m’approche, le regard aimanté. Ma vie se rejoue dans ma mémoire, de mon enfance à ma conversion, de la naissance de mes enfants à mon mariage. Des scènes de vie viennent se juxtaposer et donner du sens à cet instant unique.

Je redouble alors de larmes et perd tous mes moyens. Ali comprend vite que sans lui, je ne suis plus capable de terminer. Nous sommes en fin de nuit, et malgré tout, une foule immense perpétue le tawaf rituel. Je pleure comme je pleurais à l’âge de dix ans, j’ai dix ans.

Ali, comme le papa de 62 ans qu’il est, prend ma main gauche, qu’il cale sous son bras droit, et me dirige dans les rites du tawaf. Je n’ai même pas la force de répéter les invocations pourtant patiemment apprises pendant 4 mois. Mon regard est aimanté par la pierre noire.

L’ambiance est étrange : la foule bigarrée qui tourne autours de la Kaaba avec moi est à la fois electrique et silencieuse. Un mouvement perpétuel, un relais auquel chaque membre de la Oumma viendrait à son tour porter le flambeau, soucieux d’être aimé de dieu. C’est mon tour.

Je pense alors que derrière Safa et Marwa, il y a la lointaine Europe qui m’a vue naitre, et que depuis 17 années je me prosterne dans cette direction. J’y suis, enfin. Au troisième tour, je touche la pierre noire de l’index et du majeur de ma main droite.

Ali compte les tours à l’aide de son téléphone portable, à chaque tour il rajoute un 1. Il appuie sur la touche dés que nous passons l’angle Yéménite. Nous prions ensuite devant le multazem, et buvons du zam-zam à satiété, avant d’entamer le rite du say entre les collines de Safa et Marwa..Ces quelques kilomètres m’épuisent autant que tous les marathons courus dans ma vie.

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Je pense à Abraham, Ajar, Ismaël, et au messager de Dieu (pbsl). J’essaie de me représenter Ajar, courant entre ces deux collines, avec son fils, désespérées, craignant une mort de soif probable, et découvrant enfin la source divine. Nous terminons le rite à Marwa. Il nous faut maintenant couper au moins une mèche de nos cheveux pour sortir de l’état de sacralité dans lequel nous étions.

Nous avons oublié nos ciseaux. Un groupe d’Egyptiens est en train de se couper une mèche. Ils nous les prêtent. Ils m’interrogent sur ma nationalité. Je réponds que je suis Français. Ils m’embrassent et me serrent. Il n’est pas si fréquent que je sois fier d’être Français. Mais dans ces circonstances, j’en aurais presque porté mon drapeau pour montrer au monde une autre façon d’être Français.

Nous prions fajr avant de regagner l’hôtel avec Ali, bras-dessus, bras-dessous. J’avoue à Ali avoir fait beaucoup d’invocations pour son papa, décédé au Maroc il y a quinze jours. La naissance de mes fils n’aura pas été aussi intense, ni mes compétitions sportives passées aussi éreintantes. Dans mon lit pourtant, je cherche désespérément le sommeil, conscient que les plus beaux instants de ma vie viennent de s’achever. »

A la date du 22 juillet, fin du périple, mon carnet s’achève par ces lignes :

« J’ai vu l’homme à tête de loup,

Polyglotte, il parle en fait la même langue,

Seuls ses habits diffèrent.

Il lui suffit de dire, pour que le dit existe.

Il aime, il tue, il crache, marche et sourit, pleure et sommeille, et toujours

cependant il agit.

Croyant que l’agit lui épargne, la connaissance de l’agissant.

L’agissant s’en moque,

Et le veille,

L’enveloppant.

De sa bienveillance,

Tranquille…

Soubhannallah.* »

* : Gloire à Dieu.

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