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La Tunisie, vaille que vaille

Il y a trois ans tombait le régime de Zine el Abidine Ben Ali, du moins était-ce la chute d'un président qui se voyait le rester à vie même si – on le savait déjà à l'époque – son intrigante d'épouse se voyait bien le remplacer. Trente-six mois plus tard, et après bien des péripéties, souvent désespérantes, la Tunisie est toujours engagée dans l'inévitable transition qui suit la fin brutale, d'aucuns diront inattendue, de la dictature. Mais l'espoir est toujours là de voir ce petit pays sans grandes ressources autres qu'humaines s'engager résolument dans un système politique plus moderne et garantissant le droit aux droits pour tous. 

Impatients, inquiets, accablés, les nerfs à vifs depuis ce fameux 14 janvier 2011, les Tunisiens n'ont pas cessé de s'interroger à propos de leur nouvelle Constitution. D'incidents en retards, d'attentats terroristes en « grèves des députés », de sit-in en suspension des travaux, il est vrai que l'on commençait à trouver le temps long et à craindre un retour musclé à l'ordre. Une restauration, faut-il le rappeler, souhaitée par les nostalgiques et l'ancienne clientèle du « zaïm » déchu. Mais, dans le même temps, il était évident qu'il ne fallait pas désespérer de la Tunisie et des Tunisiens. 

Ces derniers ne s'en sont peut-être pas toujours rendus compte mais leur volonté, parfois tortueuse, de privilégier le compromis et la négociation, a été leur atout essentiel. Cela leur a évité le pire comme par exemple répéter ce que l'on pourrait appeler « l'erreur de janvier », comprendre cette tragique interruption du processus électoral en Algérie aux premiers jours de 1992. Bien sûr, la tentation d'une solution forte a trotté dans la tête de nombreux Tunisiens inquiets de voir le parti Ennahdha remplacer un régime policier par une théocratie musclée. Bien sûr, il y a eu des chants de sirènes encourageant à la violence, suggérant un coup d'Etat ou une solution à l'égyptienne. 

Mais, encore une fois, la grande réussite des Tunisiens est d'avoir joué vaille que vaille la carte du dialogue et du compromis. Certes, il ne faut pas être naïf et il est évident que ce résultat est aussi le fruit de circonstances extérieures. En premier lieu, le bain de sang égyptien a fait réfléchir tout le monde à commencer par les islamistes d'Ennahdha qui savent désormais que ce qui s'est passé en Algérie il y a vingt ans peut se reproduire et que l'argument selon lequel le monde a changé depuis n'est guère pertinent. En second lieu, il est plus que probable que la communauté internationale a œuvré pour l'apaisement et pour calmer des passions susceptibles de déclencher l'incendie. Du coup, certains jusqu'au-boutistes de la banlieue nord de Tunis – pourtant abonnés aux réceptions des ambassades occidentales – crient à une ingérence inacceptable et leur colère est d'autant plus forte qu'ils pensaient que l'Europe, les Etats-Unis et, surtout, la France finiraient par applaudir (par s'associer ?) à une chasse aux islamistes. 

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La route est loin d'être terminée. A l'heure où cette chronique est bouclée, la Constitution n'est pas complètement adoptée et des amendements restrictifs, ou pour être plus direct, réactionnaires et liberticides continuent d'être proposés. Une chose est certaine, le texte fondamental final ne sera certainement pas idéal. Mais existe-t-il ailleurs une Constitution qui le soit ? Beaucoup d'observateurs se sont focalisés sur les questions de la référence ou non à la charia (abandonnée) et de l'égalité de droits entre l'homme et la femme (adoptée) mais là, n'est peut-être pas le plus important. Tout texte de référence ne compte que par la manière dont il est interprété. C'est cela qui va compter. Des lectures divergentes vont forcément exister. Des approches antagonistes vont s'opposer. Mais, au final, c'est l'empreinte politique qui a conduit à la naissance de cette Constitution qui va compter. 

En Allemagne, le recours à une coalition au lendemain des élections est en train de devenir un élément de l'identité politique de ce pays (chose qui serait impossible en France). Il ne tient qu'aux Tunisiens d'ériger le compromis et la négociation comme valeur politique intrinsèque voire comme repère premier pour ne pas parler de dogme. D'une part, cela leur garantirait une feuille de route pour l'avenir (laquelle sera indispensable quand il s'agira de faire des choix sur le plan économique). D'autre part, cela pourrait constituer un exemple à suivre pour nombre de pays arabes où l'on décide et où l'on cogne avant de se résoudre à discuter. 

A l'heure où il est de bon ton de décréter l'échec définitif du Printemps arabe, l'expérience tunisienne est un cas d'école en matière de transition politique. L'affaire est loin d'être terminée. Il y aura forcément des régressions, des pauses, des alertes. Mais l'optimisme commande de voir que des choses profondes sont en train de se passer avec, parmi elles, une dynamique réelle de la société civile qui ne cesse de se renforcer. Et c'est une très bonne nouvelle pour la Tunisie mais aussi pour le monde arabe dans son intégralité. 

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