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La Tradition musulmane : Le dernier livre indispensable du Professeur Ali Mérad !

Les doctrines islamiques en matière de « Sources » (Usûl) s’enracinent dans une tradition religieuse qui remonte au IIe/VIIIe siècle. Durant les douze siècles écoulés, ces doctrines ont évolué au rythme socioculturel des grandes aires constitutives du monde musulman. Dans cette longue durée, peu d’avancées doctrinales significatives, à part le grand moment de la théologie dogmatique, autour, de la puissante personnalité d’Ibn Hazm (m. 456/1064), comme le sera, au siècle suivant, le grand moment de la pensée philosophique, incarnée par son compatriote Ibn Rushd/Averroès (m.595/1198). Mais les changements prendront une certaine ampleur, à partir de la fin du XIXe siècle, sans toutefois aboutir à des ruptures radicales. Pour caractériser cette évolution, on notera les faits suivants :

1.a / C’est tout d’abord la permanence de l’enseignement orthodoxe, conformément à la conception originelle du savoir islamique, dont l’Imâm al-Shâfi’î a défini le schéma fondamental, dans un double souci d’authenticité et d’intelligibilité ; car ce schéma répond à une scrupuleuse fidélité dogmatique, en même temps qu’il vise à satisfaire aux exigences de la rationalité.

1.b / Cette permanence reflète un donné de culture plutôt qu’elle n’exprime une doctrine vivante, universellement reçue et réellement opérante. On enseigne le concept des « Quatre sources », comme s’il faisait partie des matières de foi ; mais nul ne s’inquiète de constater que l’Ijmâ’ est pratiquement tombé en désuétude ; et que l’Ijtihâd, si largement célébré par ailleurs, demeure en déshérence. Les initiatives proposées, à ce titre ont rarement la chance d’aboutir, car elles sont immédiatement dénigrées ou récusées par les instances conservatrices.

2.a / A l’examen des différents paliers historiques, on note que la quadrinôme Coran-Sunna-Ijmâ’-Ijtihâd a d’abord subi une érosion au niveau de ses références humaines (Ijtihâd, puis Ijmâ’). Tout se passe comme si la conscience communautaire s’était progressivement accoutumée à relativiser la portée normative des instances humaines, à commencer par la plus fragile, l’Ijtihâd, toujours discutable, pour en arriver à l’instance collective, qui, elle aussi, ne saurait être tenue pour infaillible.

2.b / Mais, suite aux transferts culturels dans le sens Europe-Orient, dès le siècle des Lumières, puis sur une plus large échelle, depuis la fin du XIXe siècle, l’esprit critique a fini par investir le domaine -jusque-là tabou- des « sciences de la Tradition ». On entend par là non pas l’apport de l’orientalisme européen, mais l’œuvre novatrice des élites musulmanes elles-mêmes, celles de l’aire centrale (monde arabe-Empire ottoman) comme celles des périphéries (dont le sous-continent indo-pakistanais).

3.a / La question de la Tradition est donc au centre d’un vaste débat qui porte la pensée musulmane moderne à réévaluer globalement la méthodologie traditionnelle des Sources. Grosso modo, ce débat met en présence deux tendances apparemment inconciliables :

L’une entend assumer la pure dogmatique traditionnelle, qui confère à la Sunna une pleine valeur normative et la tient pour fondatrice de la Foi et de la Loi de l’Islam, au même titre (quoique à une moindre échelle) que le Coran.

– L’autre tendance définit le Coran comme unique source normative (« L’Islam, c’est le Coran seul ») ; mais elle reconnaît à la Sunna son éminente valeur comme source d’inspiration, dans la mesure où elle illustre, en terme d’éthiques et spirituels, la voie même de l’Islam (1).

Par ailleurs, le débat sur la portée normative de la Sunna met en évidence un clivage au niveau des mentalités :

3.b / La mentalité marquée par la nostalgie des valeurs de tradition ; la prudence devant l’innovation (tajdîd) ; l’attachement atavique aux « guides » (cf. le thème du taqlîd, argument d’autorité, tant décrié dans la culture de la réforme moderne en Islam) ; le besoin de normes sécurisantes (obsession du pêché, hantise de l’interdit). Ce type de tendances est conforté par le discours des ‘ulamâ’ « officiels », qui cherchent à légitimer leur pouvoir, à sacraliser leur magistère, en se présentant comme les légataires universels de la mission prophétique.

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3.c / A l’opposé, c’est l’émergence d’une conscience islamique revendiquant l’autonomie et la responsabilité personnelles ; l’aspiration à vivre l’Islam comme message libérateur, à l’annoncer comme une miséricorde universelle (cf. Coran, XXI : 107), et non comme la résurgence d’un système théocratique privilégiant les méthodes oppressives, les anathèmes et l’intolérance.

Ce débat apparaît en définitive comme un révélateur de crise culturelle. Après le thème du retard islamique, qui a donné lieu à de vives controverses, depuis la fin du XIXe siècle (2), le thème de la crise du monde musulman occupe une masse considérable d’essais et de recherches. En ce début du XVe siècle de leur histoire (1er janvier 2001= 6 shawwàl 1421 de l’hégire), les sociétés musulmanes sont loin d’assumer librement la modernité (autrement qu’en ses retombées matérielles et gadgets). Les comportements s’y ressentent encore de survivances aliénantes ; les projets novateurs y sont trop souvent dénoncés a priori comme signes d’ « invasion culturelle » (de l’Occident), au lieu d’être accueillis comme promesse de progrès dans les domaines de la pensée et de l’action.

Ali Mérad

La Tradition musulmane ‘’Que Sais-je’’

Copyright Editions PUF

Pour vous procurer ce livre, cliquer ici (40,50 F)

Notes :

1. Cf. l’essai du penseur tunisien, le regretté Mahjoub Ben Milad (1916-1999), Fî subul al-sunna al-muhammadiya (‘’ Les voies de la Sunna muhammadienne’’) , Tunis, 1962.

2. Cf. L’Islam contemporain, ‘’Que sais-je ?’’, chap IV.

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