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La série, l’imam et le profane (2)

[Question d’un profane : en observant les musulmans, j’ai la sensation que votre

foi est davantage une prison qu’une liberté. Alors, votre foi musulmane,

liberté ou prison ?]

 

Réponse de l’imam

L’école des libertins qui s’affranchissent volontiers des religions (c’est le sens du mot libertin au 16ième siècle) considèrent ceux qui y adhèrent, et font acte de foi, comme prisonniers et attachés à un dogme rigide et intolérant. Mais avant d’analyser cette perception qui perturbe la réalité des choses, il faut bien concevoir la notion de foi dans l’horizon islamique, car si les juifs appartiennent à « la communauté de la loi » et les chrétiens à « la communauté de la charité », les musulmans, eux, se disent volontiers représenter « la communauté de la foi ». Il a donc été vital pour un musulman, depuis l’origine de l’Islam, de savoir ce qu’elle est ; elle a été et restera une question de vie ou de mort spirituelle pour la communauté mohammadienne.

La foi se dit en arabe « imân ». Mot pas si simple à traduire car il porte plusieurs sens dont celui de charge, de responsabilité, de garantie, de fidélité ou de confiance. Celui qui a la foi, assume sa responsabilité d’homme et donc, suscite la confiance autour de lui, mais le Coran prévient que cela implique un sérieux engagement. C’est déjà une première signification que je peux proposer.

« Oui, nous avons proposé le dépôt de la foi aux cieux,

à la terre et aux montagnes. Ceux-ci ont refusé de s’en charger,

ils ont été effrayés par cette responsabilité. C’est l’Homme

qui s’en chargea, mais il est injuste et ignorant ». Coran 33.72

Mais la foi c’est aussi, donner son assentiment à une communication ou une information. Il s’agit de déclarer comme vraie une parole et de lui rester fidèle comme l’a dit le théologien impétueux Fakhr-al-Dine Al Razi, disciple d’Avicenne et de Ghazali selon ses propres dires. Le philosophe moraliste français Ollé-Laprune, le maître de Maurice Blondel, rejoindra (en partie) 7 siècles plus tard Al Razi, en écrivant : « J’adhère à votre parole parce que je me fie à vous, à mon assentiment qui s’attache, non aux choses mêmes, puisqu’ils sont hors de ma portée, mais à vous, à vous seul et à votre témoignage, mon assentiment est acte de foi ; il y a ici non pas connaissance proprement dite, mais croyance ». Pour le philosophe catholique Ollé-Laprune, la croyance est juste un (as)sentiment. Or, comme l’avait écrit Iqbal, « on ne peut nier que la foi soit plus qu’un simple sentiment. Elle possède une sorte de contenu cognitif » et cette idée « constitue un élément vital de la religion ». Le philosophe turc Topçû considérera même la croyance comme le fondement de la connaissance. On comprendra mieux certaines formules du Coran, incompréhensibles pour beaucoup de penseurs occidentaux, associant la foi à la connaissance :

« n’ont-ils pas cheminé sur la terre, ayant un cœur apte à

raisonner, des oreilles capables d’entendre ? Or, ce ne sont pas les

regards qui sont aveugles, mais s’aveuglent les cœurs qui

sont dans les poitrines » Coran 22.46

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Une des différences radicales entre l’Occident moderne et l’Islam traditionnel est dans cette compréhension de la foi, assimilée à la connaissance. Néanmoins, certains autres penseurs occidentaux sont arrivés au même résultat que l’Islam sur cette question. C’est le cas du philosophe Withehead qui « a remarqué avec finesse que « les époques de foi sont des époques de rationalité » ». « En vérité, écrira Iqbal, en raison du rôle qu’elle doit remplir, la religion exige un fondement rationnel de ses principes ultimes, davantage encore que les dogmes scientifiques. La science peut faire abstraction d’une métaphysique rationnelle ; en fait, elle l’a ignorée jusqu’à présent. La religion ne peut guère se permettre de s’abstenir de rechercher une conciliation des divergences de l’expérience et la justification du milieu au sein duquel se trouve l’humanité ». Car, effectivement, aucun être humain, « n’oserait s’aventurer à agir en se basant sur un principe de conduite douteux ».

L’Islam enseignera à l’Homme que la plus grande duperie consiste à ce qu’il se prenne pour la fin de ses actions. Il doit le savoir et Le (re)connaître. Le croyant accepte ses propres limites et a foi en Dieu qui, Lui, n’en a pas. La foi est donc bien au départ une connaissance. Or une connaissance n’emprisonne jamais mais libère toujours, ce sera donc notre première affirmation et réponse à votre interrogation.

Allons plus avant. Eu égard à ce que nous avons évoqué plus haut, celui qui porte et assume la foi, le mou’mine (croyant en arabe), déclare la parole du Coran et du Prophète (ç), comme véridiques. Mais pour cela, il faut avoir une aptitude à accepter la Vérité. Cette aptitude nous l’avons tous en nous et, ajoutent les maîtres, elle somnole comme potentialité et ne demande qu’à être réveillée. Le Coran, rappelle cette aptitude à croire dans le témoignage originel formulé par l’humanité.

« Ne suis-je pas votre Seigneur ? –

Assurément ! Nous en témoignons » Coran 7.172

Ce dernier point ouvre le champ de l’intime et va générer toute une littérature spirituelle (le soufisme véritable) pour comprendre ce qui au tréfond de l’Homme va lui permettre de raviver cette aptitude et nécessairement la perpétuer. Le croyant, grâce à sa foi, va chercher « à demeurer fidèle jusqu’au bout ».

Sur un autre plan, celui de l’histoire des idées, je vais vous démontrer que la foi musulmane n’est pas une prison. Savez-vous, quelle a été la première école théologique en terre d’Islam ? Réponse : l’école Mutazilite (née au 8ième siècle). Si l’on relit l’œuvre d’Ahmad Amin (m.1954) on apprend que cette école a mis au cœur de sa théologie la mise en valeur de la liberté humaine et il rappelle ce que ses penseurs écrivaient : « il vaut mieux exagérer dans le sens du pouvoir de la raison et de la liberté de la volonté que dans le sens contraire » (Doha al Islam ; p 70). Y a-t-il plus éclatante réponse à cette critique qui a été distillée par certains historiens, et dont le plus controversé est Ernest Renan ?

Maintenant, il y a un dernier point que je voudrais aborder. La foi chez beaucoup d’entre nous a perdu dans notre esprit sa véritable signification. Le propos du Prophète (ç) l’avait annoncé : « l’heure arrivera à partir du moment où la confiance/la foi disparaîtra » – Un compagnon l’interrogea : « Et comment elle sera perdue ? », le Prophète (ç) répondit : « quand la société confiera ses affaires à des gens qui n’en seront pas dignes ». Il est vrai qu’il y a des personnes qui dirigent la communauté sans pour autant en être dignes. Ils ont bien leur diplôme de sciences religieuses mais ils leur manquent souvent une science qui ne s’acquièrent pas dans les écoles. Et là, je rappellerai cette leçon de l’imam Chafi’i : « la connaissance est lumière divine, et sache que cette lumière ne vient qu’avec l’abandon des turpitudes ».

Si beaucoup parmi nous semblent prisonniers c’est sûrement par absence de foi et excès de mauvaises actions, et quand on prend le temps de bien approfondir la question ce que le Coran nous demande de faire, on reconnaitra que l’asservissement est toujours intérieur et que la libération véritable ne peut être que spirituelle. Alors, bien sûr, nous avons l’habit du musulman, le rite, mais nous n’avons pas goûter à la foi pleinement. Si vous, les profanes, avez le sentiment de voir la foi musulmane comme un emprisonnement c’est que vous n’arrivez pas encore à voir sa cause véritable et confondez l’habit et le corps qui le porte. Il faut éviter de se tromper sur les apparences. Idries Shah nous rapporte cette histoire :

« Un religieux pédant, acerbe, et qui manquait de sens de l’humour,

sortait de chez lui un jour lorsqu’il vit un soufi dans la rue.

« Chien ! » cria le soufi. Le religieux le menaça du poing, et

maudit tous les soufis. Et le chien contre lequel le soufi l’avait mis

en garde se précipita sur lui et le mordit… »

Voilà cher profane, une tentative de réponse à ta seconde question, et sache que le savoir absolu n’appartient qu’à Dieu.

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