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La Révolution et l’Empire face aux religions

Les révolutionnaires entre religion civile et religion positive.

A l’égard des religions, la révolution française n’adopte pas une position immédiatement claire et déterminée. Pendant un certain temps, l’état révolutionnaire en France voudra demeurer confessionnel. En effet, le concept de “ religion civile ”, proposé par Rousseau dans son “ Contrat social ”, avait fortement marqué les esprits de l’époque. Cette “ religion civile ” représentait la base de croyances et de principes moraux communs susceptibles d’entretenir le lien social nécessaire à la vie en société. Or les révolutionnaires entendaient assumer la responsabilité de maintenir ce fonds commun et le lien social qu’il permettait. D’un autre côté, l’existence d’une “ religion positive ”, le catholicisme, avec sa doctrine spirituelle, ses dogmes, ses pratiques, avait assuré depuis des siècles les principes moraux de base et le lien social qui permettaient à la société française de perdurer, envers et contre tout. On vit donc s’opposer les tenants d’une articulation entre la “ religion civile ” et la “ religion positive ” qui voulaient voir l’état demeurer confessionnel et les partisans d’une désarticulation, pour qui la liberté de conscience primait tout, et qui désiraient voir se constituer un Etat laïque séparé des Eglises. Le débat ne fut pas tranché et l’on se contenta, dans l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme, de décréter : “ Nul ne soit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ”.

Du confessionalisme à la séparation.

En fait, à cette époque, l’état demeure encore confessionnel et institue, en 1790, la “ Constitution civile du clergé ”, qui organise l’église catholique de France sous la tutelle des autorités civiles. On sait en général quelles divisions introduisit cette initiative. En 1793 et en 1794, fut introduit le culte de la déesse Raison, de la déesse Liberté, puis de l’Etre suprême, promu par Robespierre. Enfin, le 18 septembre 1795, une loi établit une séparation complète des religions et de l’état.

Des progrès pour les juifs.

Cependant, si l’état révolutionnaire hésitait sur la question de la religion dominante, des progrès étaient accomplis à propos des religions minoritaires, du judaïsme en particulier.

En 1789, à l’occasion de l’élection des députés aux Etats Généraux les juifs portugais du Sud Ouest sont admis à participer au vote. En 1790 la citoyenneté française leur est reconnue et le 27 septembre le décret Duport étend cette disposition à tous les juifs de France. Les juifs d’Avignon profiteront de la mesure au rattachement de la ville à la France, en 1791. Cependant, malgré ces progrès, il restait à donner un véritable statut et une véritable organisation à l’ensemble des juifs de France dont les histoires et les conditions avaient été très diverses lors des siècles écoulés.

Les réglementations napoléoniennes.

REGLEMENTATION DES RELIGIONS CHRETIENNES.

Les choses allaient en rester là jusqu’à ce que Bonaparte établisse l’organisation religieuse sous laquelle la France allait vivre jusqu’en 1905 et sous laquelle vivent encore aujourd’hui les trois départements français occupés par l’Allemagne entre 1870 et 1918, à l’époque où fut votée la loi de séparation de 1905. Ces trois départements sont le Bas Rhin, le Haut Rhin et la Moselle.

L’état d’esprit dont était animé Bonaparte au moment où se consolide son pouvoir est clairement défini dans son “ Mémorial de Sainte Hélène ” où il raconte : “ Lorsque je saisis le timon des affaires, j’avais déjà des idées arrêtées sur les éléments qui cohésionnent la société. J’avais pesé toute l’importance de la religion. J’étais persuadé et j’avais résolu de la rétablir. ”

En conséquence, dès l’été 1800, tout est mis en œuvre pour réorganiser les religions en France et en priorité la religion dominante, le catholicisme. Pendant un an, de difficiles négociations avec la papauté vont être menées. Elles conduiront, non sans mal, à la signature d’un accord avec le pape Pie VII, un concordat, le 14 juillet 1801.(Cf lien http://oumma.com/article.php3 ?id_article=1883 )

Ce concordat comporte 17 articles, mais Bonaparte y adjoint, de sa seule initiative, une série d’autres articles qui constituent un règlement administratif des religions reconnues par l’état en France, c’est à dire le catholicisme, le luthéranisme et la religion réformée. Ces articles sont dénommés “ articles organiques ”, ils allaient plus tard régir également la communauté juive, mais il fallait d’abord en faire un partenaire visible et saisissable. (Cf lien http://oumma.com/article.php3 ?id_article=1884 )

ORGANISATION DE LA RELIGION JUIVE.

Or, l’occasion de rendre ce judaïsme saisissable fut donnée à Napoléon lors de son passage en Alsace, au retour d’Austerlitz, par les paysans alsaciens, souvent endettés auprès des prêteurs juifs. Il fut entrepris, dès ce moment, de travailler à la “ régénération ” des juifs.

L’assemblée des notables juifs.

A cette fin est réunie dans la Salle St Jean, derrière l’hôtel de Ville de Paris une assemblée de notables juifs choisis dans tous les départements de l’empire par les préfets. Ces notables sont au nombre de 111. Il y a 67 ashkénazes et 45 séfarades. Seize sont des rabbins, tous les autres sont des laïcs. Le bordelais Abraham Furtado, adepte des idées de la Révolution, représentant du judaïsme assimilé et privilégié du sud ouest est nommé président. Les travaux commencent le 26 juillet 1806 en présence de trois représentants du gouvernement, auditeurs au Conseil d’état. Ils consistent pour les notables à répondre à douze questions soumises par ces représentants, concernant principalement les mariages mixtes, l’usure et les sentiments des juifs vis à vis de la patrie française.

Les réponses apportées vont dans un sens très réformiste. Les mariages mixtes n’apparaissent pas comme interdits, l’usure est condamnée et l’amour de la patrie française exprimé avec enthousiasme.

Cependant les représentants du gouvernement et Napoléon lui même trouvent la mariée trop belle et ne croient pas que ces réponses reflètent les exigences de la Tradition et de l’orthodoxie judaïques. Aussi l’empereur prend il une décision originale et hardie et annonce, dans deux notes du 23 août et du 3 septembre la convocation d’un Grand Sanhédrin.

Le Grand Sanhédrin.

Le Grand Sanhédrin est, depuis le IIIe siècle avant J.C., le Tribunal suprême à Jérusalem. Fort de 71 membres, il siège traditionnellement, disposé en demi-cercle, dans l’enceinte même du Temple. Il ne s’est pas réuni depuis la destruction de ce dernier en 70 avant J.C. C’est dire l’audace de Napoléon à dénommer Grand Sanhédrin une assemblée juive au début du XIXe siècle.

Cette dernière est composée d’une majorité de 45 rabbins. Il y a les seize déjà présents dans l’Assemblée des notables. On leur en adjoint 29 autres, choisis par les préfets dans les départements. On complète avec 26 laïcs membres de l’Assemblée des notables.

Le Grand Sanhédrin se réunit en séance inaugurale, dans la même salle, le 9 février 1807. Son président est nommé par le Ministre de l’intérieur, c’est le Grand Rabbin alsacien David Sintzheim, déjà membre de l’Assemblée des Notables. Les travaux ont été préparés, dès l’annonce de sa réunion, par une commission de neuf membres.

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Huit séances eurent lieu, y compris celle d’ouverture et de clôture, entre le 9 février et le neuf mars 1807, date où le ministre de l’intérieur, satisfait des résultats, dissout le Sanhédrin. Au terme de ces huit séances, neuf articles constituent les Décisions doctrinales du Grand Sanhédrin. Ils concernent la polygamie (déjà !), la répudiation, le mariage, la fraternité à l’égard des non juifs, les rapports moraux avec les non juifs, les rapports civils et politiques, les professions utiles, le prêt entre israélites et le prêt entre Israélite et non Israélite (Cf lien http://oumma.com/article.php3 ?id_article=1885 )

Lors de la séance du 2 mars 1807, qui produit les deux derniers articles est également rédigé le préambule des décisions doctrinales du Grand Sanhédrin. De la sorte, en huit séances au long d’un mois, cette assemblée majoritairement constituée de rabbins peut produire un corpus réglementaire applicable aux juifs de l’Empire. Parallèlement, l’Assemblée des Notables, dont plus de quarante membres faisaient partie du Sanhédrin, continuait ses travaux sur la base d’un règlement du culte proposé par les commissaires du gouvernement qui avaient travaillé sur les premières réponses aux douze questions de départ. Ces travaux durèrent jusqu’au 6 avril 1807, date où l’Assemblée fut dissoute.

Les décrets d’organisation des communautés juives.

A partir de ce moment, la décision définitive appartient à l’empereur. Nous sommes dans un régime autoritaire et rien ne peut prendre effet en dehors de la signature de Napoléon. Sur la base des travaux des conseillers d’état, de l’Assemblée de Notables et du Sanhédrin les décrets d’application réglementant les communautés judaïques de France étaient prêts à l’été 1807 mais ils ne furent signés que le 17 mars 1808.

Le premier décret entérine les règles mises au point et le second fixe leurs modalités d’application. Le troisième décret que l’on appela le “ décret infâme ” réglemente de manière draconienne les prêts accordés par les juifs au point d’aboutir en fait à une quasi annulation des créances qu’ils pouvaient détenir. Il subordonne aussi l’activité commerciale et artisanale des juifs à l’obtention d’une patente renouvelée annuellement. Il leur impose enfin la conscription sans possibilité de se faire remplacer comme c’était le cas des autres Français et il interdit toute nouvelle immigration juive en Alsace.

Ce décret souleva la réprobation des juifs et le président de l’Assemblée des Notables alla visiter Napoléon en Prusse pour le faire revenir sur sa décision. L’empereur accepte simplement de limiter l’application dudit décret à dix ans et accorda des aménagements favorables aux juifs du Sud Ouest qui une fois de plus se trouvèrent dans une situation privilégiée par rapport à leurs coreligionnaires du reste de la France.

En complément de ces trois décrets un quatrième intervint le 20 juillet 1808. Il intime aux juifs l’ordre d’adopter des noms en conformité avec l’usage français et de les faire inscrire à l’état Civil.

BILAN DE CETTE ORGANISATION, LA QUESTION DE L’ASSIMILATION JUSQU’A NOS JOURS.

Le bilan de cette entreprise de “ régénération ” des juifs au début du XIXe siècle, sous le premier empire, a été bien entendu assez diversement apprécié par les juifs eux mêmes à l’époque et par les divers historiens du judaïsme. A l’évidence la démarche adoptée à cette époque, sous un régime autoritaire, à l’apogée de la puissance de Napoléon, relève de ce que l’on appelle le césaro papisme.

La majorité des analystes considère que l’empereur a, du début à la fin, imposé sa volonté et ses vues.Nombre de juifs ont reproché aux notables et aux rabbins d’avoir été complices de ce qu’ils considérèrent comme une ingérence dans leur vie et leurs communautés et comme une tentative d’assimiler à terme l’identité juive.

Le reproche n’est pas infondé. Les décisions venant de la puissance publique en France, à destination des minorités, sont à peu près toutes, au long de l’histoire du pays, entachées de visées assimilatrices. Le vocabulaire a beau ruser, du concept de “ régénération ”, issu de la rhétorique révolutionnaire, à celui d’intégration venu du jargon politique et sociologique, il cache mal, dans la longue histoire de la France, une forte demande d’assimilation malgré tous les discours qui ont pu florir sur le droit à la différence, avant que naisse la paranoïa anti-communautariste récente.

C’est pourquoi il faut considérer la fameuse notion de « modèle républicain d’intégration » comme une construction rhétorique et mythique. Il n’a jamais existé de modèle républicain d’intégration. Il a existé des mécanismes d’assimilation sous les régimes républicains, moins efficaces que le mécanisme d’assimilation de longue durée qui a fonctionné dans la France chrétienne pendant des siècles, un mécanisme qui passa la plupart du temps par une christianisation, pour tous les allogènes non chrétiens, morisques, prisonniers barbaresques, émigrés musulmans de toute origine dans la longue histoire, et bien entendu juifs.

L’organisation de longue durée de la société française fut en effet telle qu’il est impossible d’y relever autre chose que des mécanismes d’assimilation. Ces mécanismes avaient en France, à l’époque de domination idéologique de l’Eglise, la capacité de faire jouer avec efficacité la deuxième fonction du processus, après entrée des allogènes dans le corps social dominant ; la fonction de reconnaissance définitive et d’effacement des origines.

Ce deuxième mouvement, de consécration définitive, n’a pas aussi bien œuvré dans l’Espagne catholique, fortement peuplée d’anciens musulmans, et l’on connaît l’épisode tragique de l’expulsion des morisques, inscrit dans toutes les mémoires musulmanes.

Ce deuxième mouvement du processus n’a pratiquement jamais été garanti aux allogènes après le déclin de la puissance idéologique de l’Eglise, qui disposait d’un outil d’assimilation sacramentel sans équivalent et de tout un appareil de suivi et de contrôle. En effet, les doctrines d’appartenance élaborées par la nation et les régimes qui l’ont gouvernée ont toujours été moins claires et souvent inefficaces à maîtriser ce deuxième procès de la démarche accomplie d’insertion ; la démarche de reconnaissance définitive de l’allogène par l’ensemble du corps social comme membre à part entière dudit corps social. Le délire antisémite de la fin du XIXe et l’affaire Dreyfus montrent bien que l’intégration des juifs avait été incomplète par absence de ce deuxième procès, par incapacité culturelle de la société englobante d’agir sur elle même et ses valeurs. Il démontre la rémanence de l’ancienne exigence chrétienne d’assimilation dans l’opinion et l’état des esprits, alors que la société ne dispose plus du seul outil d’assimilation des allogènes non chrétiens dont elle avait disposé dans la longue histoire.

C’est ce déséquilibre et ce malaise qu’illustre l’interdiction faite aux musulmans, dans leur propre pays d’origine, sous la colonisation, d’accéder à la pleine citoyenneté française sans renoncer explicitement à leur statut personnel islamique. De ce déséquilibre et de ce malaise, la France d’aujourd’hui n’est pas sortie et il convient que la question actuelle de l’insertion des musulmans soit posée clairement dans sa logique et dans son cadre historique, en dehors des ergotages égocentriques sur le douteux modèle républicain d’intégration qui n’a rien ni d’une réalité historique, malgré ce que tout le monde ou presque s’obstine à croire et faire croire.

Ce que l’histoire nous a fait connaître du sort des minorités religieuses chrétiennes en France, ce qu’elle nous a fait connaître de celui des non chrétiennes et en particulier de ces populations qui étaient majoritaires chez elles, comme les musulmans du Maghreb, c’est que jamais l’Etat ni la société dont il est l’émanation, n’ont su insérer autrement qu’en assimilant. Lorsque cet Etat et cette société ont considéré insatisfaisante cette assimilation ou qu’ils l’ont jugée par avance impossible, en recourant à une grille d’appréciation implicite inscrite dans leur très longue mémoire, ils ont rejeté ceux qu’ils voyaient comme de perpétuels allogènes, par quelque chose comme le régime de l’indigénat, par l’antisémitisme exprimé à la fin du XIXe siècle et au-delà dans une part de l’opinion, par les lois antijuives de Vichy et aujourd’hui par un soupçon antimusulman latent. La question pour l’avenir est de savoir quel vrai procédé d’intégration réelle la France est capable d’inventer pour notre époque de différentiel démographique majeur entre nord et sud, une époque où la nécessité de construire des ensembles supra nationaux se fait de plus en plus sentir, où les transports explosent et où l’information circule comme jamais auparavant.

 


Cette analyse en sept parties, à partir de brefs rappels historiques, tentera de retracer l’évolution des manières d’administrer la différence religieuse dans notre pays, marquées par une très longue domination idéologique de l’Eglise catholique et par une exigence constante d’autonomie de l’Etat royal, et des régimes qui lui ont succédé, à l’égard des autorités centrales de cette Eglise.

  1. La minorité religieuse et son traitement au Moyen Age ;
  2. La Renaissance et les guerres de religion ;
  3. La dernière guerre de religion et Henri IV ;
  4. L’Etat royal et les minorités religieuses de l’Edit de Nantes jusqu’à la Révolution ;
  5. La Révolution et l’Empire face aux religions ;
  6. De Napoléon à nos jours ;
  7. Les structures de la relation entre spirituel et temporel en France.
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