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La Révolution algérienne : un préalable à la réconciliation franco-algérienne

Les youyous et les coups de klaxon sont de rigueur. Les bouteilles de Selecto peuvent être « sabrées », et les baklawas distribués en signe de joie. Sous la pression de la rue algérienne, Abdelaziz Bouteflika vient de démissionner, à 82 ans, du poste de président qu’il occupait pendant près de deux décennies. Une fonction, d’ailleurs, qu’il n’assumait déjà plus, à cause des lourdes séquelles d’un AVC l’ayant atteint en 2013.
Un constat limpide et une espérance
Le constat est limpide. Un peuple, la nation algérienne, a exprimé de manière pacifique sa ferme volonté de reprendre son destin en main. L’heure est aux réjouissances. Comme en Tunisie à partir du 14 janvier 2011, une Révolution populaire a eu lieu ce 2 avril 2019 (une date qui, à n’en pas douter, baptisera une multitude d’avenues et de boulevards des grandes villes d’Algérie).
L’histoire s’est donc accélérée dans le pays des fennecs. L’agression transphobe qui a eu lieu à Paris dimanche dernier, dans ce qui doit être considéré comme une sous-manifestation comparée aux mouvements de masse rapportés sur place, ne doit pas, chez nous en France, éclipser l’essentiel. Car même si cette agression se doit d’être condamnée, elle n’enlève rien aux résultats obtenus à force de persévérance par le peuple algérien (notons au passage, pour notre débat franco-français, que le terme « transphobie », qui était la tendance du jour sur Twitter avant l’annonce de la démission de Bouteflika, a rencontré chez les personnalités s’exprimant en France une unanimité d’usage, refusée à son frère étymologique que représente l’« islamophobie »).
Grâce à cette révolution pacifique, l’Algérie s’ouvre un avenir potentiellement radieux, qui peut amener ce pays à devenir un nouvel eldorado. Sa jeunesse foisonnante succombe à l’espérance démocratique. Elle a raison de céder à ce sentiment, cette jeunesse qui domine la démographie du pays et qui compte sur la manne des hydrocarbures… Les prochains jours seront cruciaux, avec en ligne de mire le rôle de l’armée qui, comme en Tunisie il y a 8 ans, a joué un rôle décisif dans ce dénouement.  
Cependant, pour imprimer cette attente dans la réalité, une véritable réconciliation doit s’opérer entre les deux rives de la Méditerranée. Les liens tissés sont en effet innombrables entre la France et l’Algérie. Leur resserrement ou leur relâchement auront un effet direct sur le développement durable des deux pays. Il faut donc travailler au pardon mutuel face à des maux nés dans le passé et subsistant aujourd’hui encore dans un souvenir furieusement vivace.
La Guerre d’Algérie, un épisode commun
Depuis 1962 et l’indépendance algérienne suite à une guerre qui ne disait pas son nom, des ressentiments lourds handicapent les relations franco-algériennes.
Pour ce qui est de la seule Guerre d’Algérie, ils sont nombreux. Pêle-mêle, il y la torture infligée par l’armée française aux militants algériens ; les attentats visant des civils dans les cafés fréquentés par la jeunesse française ; des tueries des deux côtés ; l’abandon par la France d’une part importante de la population harki, laissée sans protection face aux massacres commis par vengeance ; les déplacements de populations imposés par l’armée française ; le rapatriement douloureux de la totalité des pieds-noirs qui ont fait souche par millions en France (avec la minorité de harkis qui a pu s’échapper du bourbier algérien) ; la géante ratonnade organisée par le préfet de police Maurice Papon à Paris le 17 octobre 1961 ; la quasi-guerre civile entre factions du FLN et du MMA ; les Français disparus après les Accords d’Evian de mars 1962 ; la naissance de la Vème République en 1958, toujours en vigueur et qui fut une sorte de coup d’Etat organisé de manière opportuniste pour faciliter le retour au pouvoir du Général de Gaulle. Voici les sujets (et il y en a d’autres) sur lesquels la nouvelle équipe au pouvoir en Algérie devra travailler de concert avec les dirigeants français pour aboutir à une réconciliation franco-algérienne.  
Un travail gigantesque produit par une commission mixte
Pour ce faire, une commission mixte d’historiens devrait être mise sur pied, composée paritairement de chercheurs français et algériens. Sa création fut réclamée par plusieurs personnalités de premier plan, telles que Philippe Douste-Blazy alors ministre des Affaires étrangères en 2005, ou Benjamin Stora, historien spécialiste reconnu de la Guerre d’Algérie. Dans l’attente de son rapport, l’application de toute loi d’un pays heurtant la sensibilité de l’autre devrait être suspendue. Ainsi de celle votée en 2005 et imposant d’enseigner le rôle positif de la colonisation en France. Ou encore de cette autre empêchant l’ouverture intégrale des Archives algériennes liées à la guerre, dans un pays où le FLN a longtemps voulu garder, dans une optique nationaliste, la mainmise sur les expressions mémorielles.
La tâche de cette commission serait tout bonnement gigantesque mais vaudrait la peine d’être menée tant la teneur de ses conclusions, qui se voudrait scientifique, dépassionnerait les débats. Afin de ne pas alourdir inutilement la portée de ce texte, il ne nous est possible d’énumérer que quelques exemples de travaux que ce groupe d’experts prendrait en charge.
La commission mixte aurait, par exemple, à déterminer le nombre officiel de morts, qui ne doit ni être exagéré (par l’Algérie), ni minoré (par la France). Sur le plan symbolique, elle établirait le cadastre des sépultures des colons morts en Algérie avant l’exode des pieds noirs, afin que leurs familles et descendants puissent s’y recueillir (idéalement sans avoir à faire une demande de visa). Les torts commis par le FLN comme par l’armée française seraient recensés. Une entente bilatérale au plus haut sommet déciderait ensuite si cette recension peut déboucher sur une réparation réciproque, que cela soit de la part de la République algérienne en faveur des pieds-noirs et des harkis qui ont tout perdu, ou de celle de la République française pour dédommager les victimes de son action guerrière (encore que pour ce dernier aspect, un arrêt de la Cour constitutionnelle en janvier 2018 avait permis une première ouverture dans ce sens). Plus difficile encore, ladite commission tenterait de convaincre les acteurs politiques d’une dénomination commune (Guerre d’Algérie ou Révolution algérienne ; Guerre de libération nationale ou Guerre d’indépendance algérienne). Enfin, elle donnerait ses conseils pour qu’une histoire identique de la Guerre d’Algérie (et peut-être de la colonisation), établie le plus objectivement possible, soit enseignée dans les écoles des deux pays.
La politique des visas et la francophonie, deux voies de concorde possibles
Cette politique de réconciliation trouverait son paroxysme si, dans un futur plus ou moins lointain, les visas exigés réciproquement par les deux pays étaient définitivement abolis. Nous devons admettre, pour ne pas céder aux sirènes de l’angélisme, que cette réforme n’aura lieu que lorsqu’une égalité des niveaux économique et des droits humains sera atteinte.
Quoi de mieux, pour aider à cette logique d’égalisation de développement, que l’opportunité offerte par l’Organisation Internationale de la Francophonie (l’OFI) ? L’Algérie, qui est l’un des plus importants pays usant du français, manque en effet cruellement à l’OFI. Or cette dernière, si la France s’en donnait les moyens et la volonté, constitue un cadre idéal à partir duquel elle pourrait développer sa politique de puissance dans ce siècle durant lequel le nombre de locuteurs de la langue de Molière augmentera sans doute jusqu’à 700 à 800 millions de personnes à l’horizon 2070. La France et l’Algérie devront donc entamer ce chantier de l’adhésion de la seconde au plus vite, dès que le nouveau président sera installé dans le palais d’El Mouradia à Alger.  
Adel Taamalli

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11 commentaires

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  1. oui et que fait-on des 200 ans de piraterie et de la traite des des esclaves capturés en méditerannée par les musulmans de l’empire Ottoman (barbaresques) et dont le siège était Alger. ce qui entraîna à la longue, l’intervention de la France vers 1830…
    ch blondel

  2. M. Bekkadour
    Les Algériens dont vous parlez, et à supposer qu’ils soient musulmans, ne peuvent se retrouver dans ce que vous dites.
    Il n’y a pas de tort essentiel.
    Le musulman, en tant que musulman, est tenu de ne point imiter un impie en ses mauvais comportements ni de s’en prévaloir pour justifier ses propres comportements pervers. Mais l’Algerien, lui, n’a pas ces impératifs moraux.
    Par suite, la véritable solution est bien que ces Algériens cessent de l’être pour devenir véritablement musulmans. C’est en tant qu’ils demeurent des Algériens que le problème existe. Car cela les pousse à une certaine vengeance que l’Islam de toute façon condamne.
    De plus, quand l’on réclame l’indépendance, ce n’est pas pour pleurer ensuite en disant que c’est de la faute du colon. En tout cas, j’ai beau voir l’état de différents pays anciennement français, ce discours de victime (et que je trouve assez juif dans le sens où il y en a qui sont toujours à se plaindre de crimes passés) est massivement retrouvé chez les Algériens en France. Les Marocains, Ivoiriens, Sénégalais, Laos : ils ne se plaignent pas.
    Et dans le lot, des non musulmans en plus !!!! Lol
    Au final, on pourrait presque conclure à la non-islamité de certains ? Mais je laisse cela à Dieu.

  3. Souaréba DIABY GASSAMA, vous avez raison dans votre réponse à Bekaddour. L’outrance et l’intransigeance ne mènent à rien sauf à l’absurdité. Heureusement, il y a des esprits éclairés de chaque côté de la méditerranée. J’ai confiance sur ce point dans la jeunesse algérienne.

  4. Je pense l’inverse de cette article .Les français voient les immigrés algériens de la première à la 4 générations comme des envahisseurs qu’il faut renvoyer.Depuis 20 ans la france n’a fait que voter des lois islamophobes.Le gvt algérien n’a fait que piller les ressources et provoquer l’émigration .Macron prévoit une initiative méditerranéenne pour rattraper le coup .
    Il n’est plus possible de faire semblant d’être réconcilier,il faut une rupture sèche et définitive entre l’afrique et l’europe .L’avenir de l’Algérie se jouera désormais avec le Maroc la Tunisie et le reste du continent africain .

  5. Je vais préciser pour les lecteurs que mon post a retenu. Un haut diplomate français m’a dit en 1990 à Alger, “Ce n’est pas blanc d’un côté et noir de l’autre”. Évidence avec laquelle je fus d’accord. Mais l’histoire qui a pris naissance en 1830 reste vivante ne serait-ce que par la présence sur le sol français de millions d’Algériens, peu importe la double nationalité, qui par leurs personnalités culturelles et linguistiques attestent, sont les témoins vivants de l’en cours d’une problématique grave, de civilisation, d’un tort essentiel toujours pas reconnu au sens d’accoucher d’une attitude politique féconde, vers Le Mieux, Le Vrai qui sont indispensables pour mettre fin au je t’aime moi non plus, qui sont le régal des journalistes en panne…

  6. Moi qui suis panthéiste (revu par la modernité : Spinoza) je pourrais avec le même raisonnement réclamer des excuses de l’Italie les Romains ayant éradiqué la riche culture celte et sa langue.
    Ces romains ont finalement aggravé les choses en utilisant la religion catholique contre les religions qui existaient avant …
    On peut aussi parler et voire s’il n’y a pas matière à excuses du côté des enlèvements sur les côtes méditerranéennes (mariages forcés pour les filles et esclavages/rançons pour les hommes).
    On peut aussi parler des pieds noirs disparus car enlevés autour de 1962.
    http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2018/05/24/36433879.html
    Ce type de préalables politiciens n’a pas de fin puisque chaque homme porte en lui la violence qui ne demande qu’à s’exprimer … Au plan collectif chaque peuple dès qu’il le peut en violente un autre etc et chaque homme son voisin voire sa femme !
    Tout cela est contre productif car la colonisation n’était pas qu’externe mais aussi interne voir Germinal de Zola, voir les grèves de 1906 réprimées par l’armée (fusils, sabres, canons) et pas avec de “gentils” lacrymos ! etc. etc. etc.

  7. j’ai bien apprécié dans les grandes lignes cette volonté d’apaisement de M. Taamalli. dommage qu’elle ne provienne d’un individu originaire d’Algérie, mais il doit sûrement y en avoir qui soient sur la même ligne.
    mais la condition de M. Bekaddour est-elle admissible ?
    on a eu de même avec le Mexique qui réclame des excuses à l’Espagne alors que les moeurs étaient différentes (même si les conquistadors se savaient en tort)…
    qu’en est-ils des Algériens qui devraient alors aussi s’excuser pour leurs crimes de piraterie ?
    Rome qui devrait demander pardon aux Allemands pour avoir tenté de les intégrer dans la République ?….
    on dirait certains juifs qui exigent des excuses perpétuelles alors qu’il conviendrait bien mieux de refermer la plaie surtout que les temps ont changé ainsi que l’a fort bien souligné Mitterrand devant Elkabbach (je ne suis pas sûr)…

  8. @”Quoi de mieux, pour aider à cette logique d’égalisation de développement, que l’opportunité offerte par l’Organisation Internationale de la Francophonie (l’OFI) ? (….)
    ————————————————————————————————————
    Il y a une condition de base, sine qua non, pour que La Bonne Porte s’ouvre, la France en a la clef, il s’agit pour “Elle” de reconnaître solennellement son tort historique durant la période 1830-1962, tort sur tous les plans, linguistique, spirituel, culturel, économique, bref un tort contre une vérité de “Civilisation”. ETC.
    L’OFI sait ça…

    • La France a tort d’avoir créer l’algérie ??? Il est impératif de réviser votre histoire… Aucune raison de s’excuser. Ou alors il va falloir s’excuser pour l’invasion de l’Espagne et du sud de la France aussi. L’histoire ça n’est pas uniquement quand ça t’arrange… Donc oublie. Pas d’excuses ni de regrets et encore moins de remords. L’histoire c’est l’histoire. Tu ferais mieux de penser à l’avenir. Nous on s’en fout de l’algérie. Notre problème c’est l’immigration arabe actuelle.

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