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La République et l’islam : l’héritage colonial

Toutes les analyses qu’on a pu lire ou entendre jusqu’à présent dans les médias sur le problème du port du voile et plus généralement sur les rapports entre la République et l’islam, ont occulté une approche à notre sens incontournable, la lecture historique.

Le rapport Stasi ne lui consacre que quelques lignes.

Or la République depuis son engagement colonial en Algérie a toujours eu l’obsession permanente de contrôler les musulmans et de mettre leur culte sous une stricte surveillance.

Pour se faire, elle créa spécialement pour eux toute une série de lois et de règlements répressifs plus connus chez les historiens de la colonisation sous le nom du code de l’indigénat.

L’Algérie, à partir de 1870, notamment, et jusqu’à son indépendance, soit pendant presque un siècle, l’Algérie était un territoire français d’outre mer lui-même divisé en trois départements et personne parmi la classe politique actuelle ne peut contester son appartenance à la République pendant ces longues décennies. Le fait musulman, donc, n’est ni nouveau ni récent dans la République, il est seulement plus visible en France hexagonale.

La République, en l’occurrence, a eu tout le temps et le loisir d’appliquer aux musulmans les lois sur la laïcité et celles sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais elle préféra les soumettre aux lois scélérates de l’indigénat qui firent d’eux des sujets français, des êtres inférieurs, car la laïcité étant porteuse d’égalité ne pouvait leur être appliquée.

Il est intéressant de savoir comment à travers deux textes souvent cités en exemples pour marquer les moments forts de l’histoire de la laïcité, la République, par ses démissions et ses lâchetés, a raté maintes fois l’occasion de réaliser également pour les musulmans la séparation des sphères publiques et privés : les lois scolaires de 1881 et 1882 et la loi de 1905 sur la séparation du culte et de l’Etat.

En effet, au moment de la promulgation des lois scolaires, Jules Ferry qui voulait en fin stratège de la colonisation obtenir l’assimilation des musulmans par l’école, a obstinément essayé de généraliser leur scolarisation, mais en vain. Les colons d’Algérie lui opposèrent un refus catégorique. « Autant abandonner l’Algérie » menaçaient-ils.

La République finit par capituler et renoncer à la scolarisation massive des musulmans dans l’école républicaine et créa pour eux les « écoles gourbis » avec un programme spécial, un instituteur spécial et un diplôme lui aussi spécial, et les lois de 1881 et 1882 ne trouvèrent aucune application de l’autre coté de la Méditerranée1.

Si la République s’était affirmé pour imposer la scolarisation des musulmans, le visage de l’Algérie coloniale aurait été transformé, bien des drames auraient été évités, et sans doute la situation actuelle des citoyens français de confession musulmane dans l’Hexagone serait radicalement différente. Mais on ne fait pas l’histoire avec des “si”.

Deuxième moment fort de l’histoire de la laïcité, la loi de 1905 sur la séparation du culte et de l’Etat. Cette loi, plutôt conçu pour l’Eglise catholique, aurait pu être étendue à la religion musulmane, mais l’islam et les mosquées continuèrent à être strictement surveillés et régis par un ensemble de mesures administratives et de règlements spéciaux. Surveillance des mosquées, surveillance des imams, surveillance de l’enseignement traditionnel, rien ne pouvait se faire sans autorisation de l’administration coloniale.

Le Cheikh Abdelhamid Ben Badis (1889-1940), le leader du mouvement Ennahda (Renaissance) en Algérie, tenta pendant de longues années, notamment entre les deux guerres, pacifiquement – c’est important de le souligner- de convaincre la République, que sa politique « musulmane » en Algérie était en total contradiction avec la loi. Mal lui en prit. L’administration lui répondit par l’interdiction de ses journaux, l’intimidation et l’arrestation.

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La République bloqua ainsi toute possibilité d’épanouissement de l’islam dans un cadre sécularisé.

En définitive, la caractéristique principale des rapports entre l’islam et la République est, sans doute, l’attitude paternaliste de cette dernière, qui consiste à mettre sous tutelle et sous contrôle l’islam et les musulmans. Sévir quand elle l’estime nécessaire et récompenser pour « les bons et loyaux services ».

Cette politique a d’abord été initiée par l’armée française à l’occasion de la conquête de l’Algérie et des deux guerres mondiales où les soldats musulmans étaient massivement présents. Certains officiers français n’allaient-ils pas jusqu’à jeûner pendant le mois de ramadhan pour soutenir leurs soldats ? Ne veillaient-ils pas personnellement aux menus halal  ? N’étaient-ils pas les premiers à célébrer la fête de l’ « Aïd El Kebir » avec les soldats musulmans sous leur commandement ? 2

Quelques décennies plus tard, alors que l’islam s’est définitivement établi dans l’Hexagone, les propositions de la commission Stasi confirment, si besoin est, la persistance de cette thématique et la République essaye de réinventer le code de l’indigénat ; celui des temps postcoloniaux destiné aux enfants et petits enfants des anciens colonisés vivant en “Métropole”. Elle s’apprête à ressortir des vieux tiroirs les lois poussiéreuses d’exception appliquées jadis à leurs aïeux et instaurer un délit taillé sur mesure pour les citoyennes musulmanes : le délit vestimentaire.

Car les signes religieux dans les enceintes scolaires ne sont pas nés avec le « foulard ». En vérité ils n’ont jamais cessé d’être arborés dans les écoles, et sur les lieux de travail.

Sans doute que la loi en gestation dira aux citoyennes musulmanes : il faut renoncer à votre voile pour être admise dans l’école républicaine, comme autrefois, sous le régime de l’indigénat, il était demandé à leurs pères et grands-pères de renoncer à leur « statut personnel », c’est à leur religion, pour accéder à la citoyenneté française.

On peut dès lors se demander sous quel ciel vivons nous et en quels siècles oubliés.

Autrefois l’exclusion des musulmans de l’école républicaine et leur mise sous surveillance ont conduit à l’exacerbation du nationalisme algérien, avec toutes les conséquences que l’on connaît.

Notes :

1 Voir l’excellente étude de Guy Pervillé, Les étudiants algériens de l’université française 1880-1962, Ed. du C.N.R.S. 1984.

2 Voir pour les Algériens musulmans dans la Grande Guerre, le livre de Gilbert Meynier, L’Algérie révélée, la guerre de 1914-1918 et le premier quart du siècle, librairie Droz, Genève 1981, et pour la Deuxième Guerre mondiale celui de Belkacem Recham, Les musulmans algériens dans l’armée française 1919-1945, Paris, L’Harmattan, 1996, Collection Histoire et Perspectives méditerranéennes.

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