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La réforme du calendrier musulman (partie 1 sur 5)

Les faiblesses du calendrier musulman

À Rachida Benchemsi
« Le soleil et la lune (évoluent) selon un calcul (minutieux) » (Coran, Ar-Rahman, 55 : 5)
« C’est Lui (Dieu) qui a fait du Soleil une clarté et de la Lune une lumière ; il en a déterminé les phases afin que vous connaissiez le nombre des années et le calcul du temps » (Coran, Yunus, 10 : 5)
« Le mois de Ramadan est celui au cours duquel le Coran a été révélé pour guider les hommes dans la bonne direction et leur permettre de distinguer la Vérité de l’erreur. Quiconque parmi vous aura pris connaissance de ce mois devra commencer le jeûne… » (Coran, al-Baqara, 2 : 185).
« Ce sont des êtres humains (avec toutes leurs faiblesses) qui interprètent la charia. » (Ali ibn Abu Talib)
« Les oulémas n’ont pas le monopole d’interprétation de la charia. Evidemment ils doivent être consultés au premier plan sur les questions de la charia. (Mais) ce ne sont pas eux qui font la loi religieuse, de même que ce ne sont pas les professeurs de droit qui font la loi, mais les parlements » (Ahmed Khamlichi, Point de vue n° 4)
« Le calendrier est intolérable pour le sage, une horreur pour l’astronome et une farce pour le mathématicien ». (Roger Bacon, 1267)

Introduction

Chaque année, au soir du 29 chaâbane du calendrier islamique, les musulmans du monde entier attendent fébrilement de savoir si la nouvelle lune a été observée en cette « nuit du doute » dans leur communauté, ou si le mois de jeûne du ramadan ne débutera que le surlendemain. La même séquence se déroule à l’identique le soir du 29 ramadan pour savoir quand s’achèvera le mois de jeûne.
En effet, depuis des temps immémoriaux, les Arabes se basent sur l’observation visuelle de la nouvelle lune, à la fin de chaque mois, pour déterminer le jour auquel débutera le mois lunaire suivant. Cette méthode était parfaitement adaptée à la culture et aux conditions de vie des musulmans au temps de la Révélation en Arabie. Le Prophète la conforta dans ce rôle, quand il l’indiqua à ses Compagnons, dans un hadith célèbre, comme le moyen par lequel ils reconnaîtraient le début du mois de ramadan. Mais, les conditions de vie des sociétés musulmanes ont changé en quatorze siècles, et cette méthode ne répond plus aux besoins des communautés musulmanes contemporaines.
Car, l’observation de la nouvelle lune doit être refaite chaque mois dans des conditions difficiles, entourées d’incertitudes. Dans la mesure où les données sont établies à la dernière minute, ne sont valables que pour un mois, et diffèrent d’un pays à l’autre (puisque chaque Etat se livre à ses propres observations), aucune programmation ne peut être faite au-delà du mois en cours ni en-dehors des frontières d’un pays déterminé. Une telle méthode ne permet pas d’établir un « calendrier » au sens strict du terme.
D’après les experts, pour que le calendrier lunaire musulman puisse répondre de manière satisfaisante aux besoins de ses utilisateurs, il faudrait qu’il soit basé sur le calcul astronomique. Un tel calendrier est préparé par des astronomes professionnels et ses données, qui sont valables de manière uniforme dans le monde entier, peuvent être établies avec la plus grande précision des années à l’avance. Il remplirait les fonctions qu’on attend d’un calendrier avec la même efficacité que le calendrier grégorien, par exemple.
Mais, est-il licite pour les musulmans d’utiliser un calendrier basé sur le calcul pour déterminer le début des mois lunaires ? Telle est la question-clé de cette problématique.  Les oulémas ont été quasiment unanimes à considérer, depuis le temps de la Révélation, qu’il fallait se baser exclusivement sur la méthode d’observation visuelle de la nouvelle lune, du fait qu’elle avait été mentionnée par le Prophète dans le hadith sus-mentionné. Mais, une poignée d’oulémas et de nombreux penseurs modernistes défendent aujourd’hui une thèse différente.
D’après eux, l’examen attentif de tous les textes de référence permet de conclure que :
a) la méthode d’observation n’est imposée ni par le Coran, ni par le Prophète ; et
b) la méthode basée sur le calcul est parfaitement licite, puisque ni le Coran ni le Prophète n’interdisent son utilisation.
D’ailleurs, aussi bien les Etats musulmans que leurs populations utilisent depuis plus d’un siècle des calendriers basés sur le calcul sans la moindre peur d’enfreindre les règles de la charia, qu’il s’agisse du calendrier grégorien ou du calendrier lunaire saoudien d’Umm al Qura, qui est également basé sur le calcul.
Si cette reformulation des termes du débat concernant le calendrier musulman est correcte, les autorités politiques et religieuses et les populations des différents pays et communautés musulmanes sont libres de faire leur choix entre les deux méthodes, selon leurs besoins et leurs préférences, à leur discrétion.
Les adeptes de la méthode de détermination du début des mois lunaires sur la base du calendrier astronomique pourraient dans ce cas, pour promouvoir leur cause, s’inspirer de la stratégie des « meilleures pratiques » de la charia, qui a été appliquée avec succès dans différents pays musulmans pour promouvoir les droits des femmes.
Cette stratégie peut se résumer comme suit :
« Si différentes interprétations de la charia sont considérées comme étant également valables sur un point donné, et si certaines de ces interprétations sont plus favorables que d’autres pour défendre les intérêts de la population ou pour atteindre certains objectifs de la communauté, (ce qui arrive souvent, compte tenu de la diversité des rites, codes et interprétations de la charia appliqués dans les différents pays,) alors il faut promouvoir l’utilisation de ces interprétations plus favorables, qui doivent être considérées comme étant les « meilleures pratiques » applicables dans le cadre de la charia. Il faut disséminer ces « meilleures pratiques » le plus largement possible dans le monde musulman, pour favoriser le changement graduel dans la continuité culturelle des communautés concernées. »
La présente étude se propose de clarifier au mieux les termes de ce débat, en les analysant sous cinq angles :
– de quelles faiblesses souffre le calendrier musulman et que peut-on faire pour y remédier ?
– la charia impose-t-elle la méthode d’observation de la nouvelle lune, à l’exclusion de toute autre méthode, pour connaître le début des mois lunaires ?
– est-il licite pour les musulmans d’utiliser le calendrier basé sur le calcul pour déterminer le début des mois lunaires ?
– parmi les différents modèles de « calendrier musulman basé sur le calcul » utilisés dans des communautés musulmanes ou proposés par des experts, quel est celui qui est le plus susceptible de réunir le suffrage des communautés musulmanes aujourd’hui pour servir de calendrier musulman « universel » ?
– quel apport la stratégie des « meilleures pratiques » de la charia pourrait-elle faire en vue de faciliter l’adoption du calendrier lunaire basé sur le calcul dans les pays qui souhaiteraient le faire ?

Première partie : Les faiblesses du calendrier musulman

Les faiblesses et leurs causes :

Un calendrier a pour raison d’être d’associer une date spécifique à chacun des jours d’une semaine, d’un mois ou d’une année donnée, afin de permettre aux hommes de gérer toutes leurs activités sur une longue période. Il doit leur permettre de prévoir, de planifier et d’organiser longtemps à l’avance tout ce qui a besoin de l’être.
Or, les sociétés musulmanes se basent sur l’apparition de la nouvelle lune, à chaque fin de mois lunaire, pour déclarer le début du nouveau mois. Un tel calendrier ne permet pas de planifier d’activités, en associant des dates à des jours déterminés, au-delà du mois en cours.
De plus, les dates du calendrier sont associées à des jours différents dans différents Etats musulmans. Par exemple, le 1er chawal 1426, jour de célébration de l’aïd el fitr (fin du jeûne de ramadan), correspondait au mercredi 2 novembre 2005 dans 2 pays ; au jeudi 3 novembre dans 30 pays ; au vendredi 4 novembre dans 13 pays et au samedi 5 novembre dans 1 pays. Cet état des choses n’est nullement exceptionnel, mais se renouvelle chaque mois.
En effet, la nouvelle lune ne devient généralement visible que quelque 17 h après la “conjonction”, et sujet à l’existence de conditions favorables résultant de facteurs tels que le lieu où l’on procède à l’observation ; le nombre d’heures écoulées depuis la conjonction ; les positions relatives du soleil, du croissant lunaire et de l’observateur ; l’angle formé avec le soleil au moment du coucher ; l’altitude de la lune au coucher du soleil ;  les conditions d’observation (pollution, humidité, température de l’air, altitude) ; la limite de détection de l’œil humain ; etc…
Si la “conjonction” se produit tôt dans la journée, la nouvelle lune sera peut-être visible, le même soir, après le coucher du soleil, dans des régions déterminées du globe terrestre où des conditions favorables d’observation seront réunies. D’un mois à l’autre, ces conditions favorables existeront dans des sites différents du globe terrestre. Sinon, dès le deuxième soir après la “conjonction”, la nouvelle lune pourra être observée facilement à partir de nombreuses régions du globe. C’est pour cette raison que différents Etats et communautés du monde musulman débutent souvent le nouveau mois lunaire en des jours différents, avec un décalage de 24 h les uns par rapport aux autres, au cours des 48 h qui suivent la “conjonction”.

Que peut-on faire pour remédier à ces faiblesses ?

Pour améliorer le fonctionnement du système basé sur l’observation de la nouvelle lune, il faudrait appliquer la démarche suivante :
– les observateurs doivent se positionner chaque mois aux sites où les meilleures conditions d’observation sont réunies ; et
– la première observation fiable effectuée où que ce soit sur Terre devrait être validée par les autorités locales et diffusée à l’ensemble du monde en utilisant tous les moyens de télécommunications modernes. De cette façon, tous les pays musulmans pourraient commencer le jeûne du mois de ramadan et célébrer les différentes fêtes religieuses en même temps. Mais la mise en œuvre de cette approche est entourée de grandes difficultés.

Détermination mensuelle des zones de visibilité optimales :

A partir du 8è s. et s’étendant jusqu’au 13è siècle, des astronomes musulmans renommés ont fait faire de grands progrès aux connaissances astronomiques en accordant un intérêt particulier à l’étude des critères de visibilité de la nouvelle lune. Ils avaient pour objectif de développer des techniques de prédiction fiables du début d’un nouveau mois. Les noms de Ibn Tariq (8è s.), Al-Khawarizmi (780 ?-863), Al-Battani (850-929), Al-Bayrouni (973-1048), Tabari (11è s.), Ibn Yunus (11è s.), Nassir al-Din Al-Tousi (1258-1274 ?) sont associés à ces travaux.
Mais, ce n’est qu’au 20è s. que des astronomes et des informaticiens réputés ont réussi, en conjuguant leurs efforts, à établir des procédures permettant de prédire à l’avance, chaque mois, dans quelles régions du globe les conditions optimales seront réunies pour observer la nouvelle lune. Ainsi, en 1984, un physicien de Malaisie, Mohamed Ilyas, a pu tracer au niveau du globe terrestre une ligne de démarcation, ou ligne de date lunaire, à l’ouest de laquelle le croissant est visible le soir du nouveau mois, alors qu’il ne peut être vu à l’est de cette ligne que le soir suivant.
Aujourd’hui, les cartes détaillées des zones de visibilité de la nouvelle lune sont établies de manière mensuelle, à l’avance, et publiées dans des sites tels que « Moonsighting.com ». Elles permettent de savoir avec une grande précision dans quelles régions de la terre la nouvelle lune sera visible au plus tôt, dans quelles régions elle sera visible avec difficulté, et dans quelles régions elle ne sera pas visible du tout.

Se baser sur la première observation effectuée où que ce soit sur Terre :

Au temps de la Révélation, les premiers astronomes convertis à l’islam (et dans leur sillage les juristes musulmans) savaient bien que la durée du mois lunaire se situait entre 29 j et 30 j, entre deux « conjonctions », ou entre deux observations de la nouvelle lune, comme le Prophète l’avait souligné dans différents hadiths. En ce qui les concernait, le début du mois et sa durée étaient, évidemment, indépendants de la présence ou de l’absence d’observateurs et des conditions de visibilité.
Par conséquent, la première observation d’une nouvelle lune devait, logiquement, marquer le début du nouveau mois lunaire pour l’ensemble de la Terre, et la durée de tout mois lunaire, entre deux nouvelles lunes, devait être identique pour toutes les communautés.
Mais, une fois ces principes posés, encore fallait-il les mettre en œuvre, ce qui n’était guère facile. En effet, une fois la nouvelle lune observée de manière fiable, quelque part, comment  cette information serait-elle portée à la connaissance de populations vivant sur de vastes territoires, ou parfois même en des régions très éloignées (comme l’Espagne par rapport à l’Arabie) ? A qui cette information s’imposait-elle avec toutes ses implications (telles que commencer le jeûne, célébrer la fin du ramadan, etc.) ?
Les juristes des premiers temps de l’islam donnèrent un vaste éventail de réponses à ces questions épineuses. On peut en dégager un noyau central de principes fondamentaux, qui continuent d’être d’un grand intérêt aujourd’hui :
(1) L’observation de la nouvelle lune ne peut être prise en compte que par les communautés auxquelles l’information parvient.
(2) L’observation de la nouvelle lune dans un pays d’Orient marque, sur le plan théorique, le début du nouveau mois pour tous les pays situés à l’ouest du lieu de cette observation. Car, au fur et à mesure que l’âge de la nouvelle lune augmente, entre le moment de sa naissance (à la conjonction)  et son premier coucher, la possibilité de l’observer s’améliore. C’est le cas en allant d’Est en Ouest, de la Mecque vers Casablanca, par exemple, du fait que la nouvelle lune est âgée de 3 h de plus à son coucher au Maroc qu’à son coucher en Arabie Saoudite.
(3) Une observation de la nouvelle lune doit être considérée comme nulle, lorsqu’elle est rapportée alors que la conjonction n’a pas encore eu lieu.
(4) En règle générale, compte tenu des difficultés de communication entre les communautés musulmanes, sur le plan géographique, les habitants de chaque pays doivent appliquer la décision des autorités nationales, concernant le début des mois lunaires.
Aujourd’hui, seul ce dernier principe est scrupuleusement respecté dans le monde musulman.
A suivre…

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