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La réforme de l’héritage en droit musulman (1/3)

Est-il licite de réviser les règles de répartition de l’héritage prescrites dans le Coran pour les adapter aux conditions de vie et aux besoins des femmes dans les sociétés musulmanes du 21è siècle?
                        A Mme Rachida Benchemsi        

Les fondements du partage inégal de l’héritage

L’islam fut un précurseur en matière de libération de la femme. Dès le 7è siècle, il redéfinit son statut au sein de la famille et de la société, et lui donna sa pleine quote-part de droits et de responsabilités. Il procéda à un rééquilibrage des rôles respectifs des époux au sein de la famille, dans le but de permettre à chacun d’eux d’assumer pleinement les responsabilités qui lui étaient attribuées, et de contribuer de manière efficace à l’épanouissement de la cellule familiale et à la consolidation des assises de la communauté. En particulier, l’islam donna à la femme le droit de recevoir un héritage (ce dont elle était privée jusque-là) et de gérer librement tous ses biens.

Le Coran présente à cet effet un tableau détaillé des nouvelles règles de répartition de l’héritage que les musulmans doivent appliquer. Elles sont basées sur trois critères fondamentaux :
– le degré de parenté avec le défunt (plus le lien est fort, plus la part augmente) ;
– la catégorie d’âge du bénéficiaire (un héritier « jeune » reçoit une part plus importante qu’un héritier d’un âge « avancé » ; ainsi, la fille du défunt hérite plus que la mère ou le père du défunt) ; et
– la responsabilité financière qu’a l’héritier de pourvoir aux besoins de sa famille et de ses proches. (1)

Sur la base de ces règles de répartition, au sein d’une fratrie, la fille du défunt reçoit une part d’héritage, contre deux parts pour son frère. Mais, contrairement aux apparences, ce partage inégal n’est pas fondé sur le sexe des héritiers. Il se justifiait fondamentalement, au temps de la Révélation, selon les oulémas, du fait que les héritiers mâles avaient la responsabilité de pourvoir à l’ensemble des besoins de leur famille propre et de certains de leurs proches bien définis, alors que la femme n’assumait aucune responsabilité en la matière et pouvait disposer librement de la part qui lui revenait.

Autrement, sur plus de 30 cas répertoriés dans les règles de partage de l’héritage, il n’existe que 4 cas dans lesquels la femme hérite la moitié de ce qu’hérite l’homme. Dans plus de 8 cas, elle hérite une part égale à celle de l’homme (des parts égales sont attribuées au père et à la mère du défunt, par exemple) ; dans plus de 10 cas, la femme hérite plus que l’homme ; dans différents autres cas, seule la femme hérite. (2)

En établissant ces nouvelles règles, l’islam visait à réparer une injustice, en accordant aux femmes leur part appropriée d’héritage en fonction de leur degré de parenté avec le défunt. Il signifiait ainsi à l’ensemble de la société arabe de l’époque qu’il n’y avait pas de raison que toute la fortune du défunt aille aux mâles de la famille seulement, alors que les femmes aussi avaient des besoins qu’il s’agissait de satisfaire, et qui n’étaient pas nécessairement que de « loisirs ».

Cette redéfinition des droits et ce rééquilibrage des rôles respectifs des hommes et des femmes au sein de la famille musulmane constituaient, à l’époque de la Révélation, une percée révolutionnaire par rapport aux habitudes et au mode de vie traditionnel des sociétés de la région.

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La critique contemporaine du partage inégal de l’héritage

Mais, quatorze siècles plus tard, le mode de vie des sociétés musulmanes et les données de la situation ont radicalement changé. Ce qui était indéniablement un grand progrès pour les droits de la femme au 7è siècle, en matière d’héritage, est jugé par de nombreuses associations de défense des droits des femmes comme une grande injustice, quand c’est replacé dans le contexte du 21è siècle. Ces associations réclament donc la révision des termes de répartition de l’héritage dans les sociétés musulmanes, pour les adapter aux conditions de vie et aux besoins des femmes dans le cadre des sociétés contemporaines.
Elles observent à cet égard que, de notre temps, dans un ménage, le mari ne dispose pas nécessairement de ressources suffisantes pour pourvoir à tous les besoins de la famille. La femme a souvent besoin de travailler pour contribuer de son mieux aux dépenses du foyer, qu’il s’agisse des achats de nourriture et de vêtements, des règlements de loyer, des dépenses de santé ou d’éducation des enfants, des frais de transport, etc. La liste des obligations du ménage s’allonge constamment, au fur et à mesure de la croissance des enfants, alors que le coùt de la vie ne cesse d’augmenter.

Souvent, le couple procède aussi, quand il le peut, à des investissements, généralement effectués à crédit et remboursables sur plusieurs années (tels que l’achat d’une voiture ou d’un logement, etc.), ce qui nécessite la mobilisation de ressources considérables. La femme est donc appelée, quand elle dispose de ressources personnelles, à contribuer de son mieux à la couverture de ces dépenses.

Par ailleurs, il existe de nombreuses situations où les femmes sont appelées à prendre en charge tous les frais du ménage : en cas de perte de travail de l’époux ; de son décès ; ou en cas de divorce, de répudiation ou d’abandon du foyer par le mari (en lui laissant la charge des enfants), par exemple.
De plus, le raisonnement qui sous-tend le partage inégal ne tient pas suffisamment compte de la situation des héritières quand il s’agit de fillettes et d’adolescentes qui sont encore à la charge de leurs parents (et qui seront, selon les cas de figure, également à la charge de leurs frères qui ont reçu une part double de la leur dans le cadre de l’héritage).

En effet, les frères plus âgés peuvent avoir à subvenir en priorité aux besoins de leur propre foyer, quand ils en ont un. Ils ne vont donc pas nécessairement subvenir à tous les besoins de ces fillettes et adolescentes (nourriture, vêtements, santé, éducation, etc.) jusqu’au jour où elles se marieront avec un homme qui prendra la relève. Au sein d’une telle fratrie, une sœur sera à la merci de son frère jusqu’à son mariage, dépendante de sa bonne foi et de sa bonne volonté, ainsi que de tous les aléas de la vie qui peuvent survenir dans le ménage de ce frère.

Encore faudrait-il que la jeune fille épouse éventuellement un homme riche, ayant des ressources suffisantes pour qu’elle n’ait pas besoin de contribuer aux dépenses du ménage. Or, l’écrasante majorité des hommes et des femmes aujourd’hui ne tombent pas dans ce cas de figure. Un jeune couple a des besoins énormes et des ressources limitées. Une part d’héritage, quand elle survient, est toujours la bienvenue.

D’après les associations de défense des droits des femmes, il n’est plus possible, dans ces conditions, de justifier de nos jours l’inégalité dans le partage par la proposition que c’est l’homme qui prend en charge toutes les dépenses, et que les ressources qu’une femme reçoit dans le cadre d’un héritage ne représentent que de “l’argent de poche” dont elle disposera librement pour ses propres besoins ou ses loisirs.

Notes  
(1) Asma Lamrabet, L’héritage : relecture des versets http://www.asma-lamrabet.com/articles/l-heritage-relcture-des-versets/
(2) Tahar Mahdi, La place de la femme dans le droit successoral musulman (2003)

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4 commentaires

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  1. Un savant musulman ne légifère jamais. Il interprète , explique, applique les textes mais il ne les crée pas. Actuellement ce sont les parlements de chaque état musulman qui légifèrent et arriment le droit positif de chaque société à la loi Islamique, la Chariaa. Chaque député a donc la charge, tout en ne sortant pas du message coranique, de trouver en son âme et conscience la formulation de ce qui sera la Loi commune et sera l’objet du pacte social .

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