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La reconnaissance d’un racisme spécifiquement anti-musulman

Le 9 octobre 2007, le tribunal correctionnel d’Epinal (dans les Vosges) a condamné à quatre mois de prison avec sursis et 1.000 euros d’amende l’ancienne propriétaire d’un « gîte rural »[1]. Celle-ci avait refusé, pour des motifs purement discriminatoires, d’héberger une famille venue du département de l’Essonne, en août 2006, au motif que les deux femmes du groupe portaient un foulard. La propriétaire avait invoqué, à la barre du tribunal, « la liberté de la femme » qui serait bafouée par le port de ce fichu, pour justifier l’exclusion qu’elle avait pratiquée à l’égard de ces personnes. Elle a été néanmoins condamnée pour cette discrimination.

Ce procès a le mérite de marquer une rupture salvatrice et une clarification nécessaire et attendue que les défenseurs d’une conception universaliste du combat contre le racisme sous toutes ses formes attendaient depuis longtemps. La reconnaissance d’un racisme spécifiquement anti-musulman a malheureusement été trop souvent occultée alors qu’il représente un fait réel et qui prolonge et étend un racisme anti-arabe.

De fait le racisme antimusulman a toujours été en toile de fond du racisme anti arabe et anti immigré avec une certaine spécificité française liée à sa propre histoire coloniale ainsi qu’à l’instrumentalisation politique du thème de l’immigration qui a jalonné le débat politique sur ces quarante dernière années.

Dans la France d’après 1945, parmi toutes les formes de racisme qui s’expriment ouvertement, celui dirigé contre « les Arabes » – et plus particulièrement contre les Nord-Africains, et surtout les Algériens – a été le plus violent pendant plusieurs décennies, prenant la place de l’antisémitisme, devenu inavouable après la victoire sur le nazisme. Cela s’explique par l’impact extraordinairement important qu’a eu la guerre d’Algérie sur la formation des idéologies et mentalités politiques françaises.

Du crime d’Etat du 17 octobre 1961, quand plusieurs centaines de manifestants algériens furent massacrés en plein cœur de Paris par les forces de police, jusqu’aux 150 victimes nord-africaines (au moins) des violences racistes dans les années 1980, la liste des crimes commis est longue, sans parler de la « sale guerre » menée par l’armée française en Algérie.

L’historien Benjamin Stora aura consacré un livre entier à la question du « transfert d’une mémoire », sous-titre : « De l’ « Algérie française » au racisme anti-arabe »[2]. L’historien de la guerre d’Algérie y explique le lien qui a été établi, dans une partie de la société française, entre la mémoire collective de l’ancienne « Algérie française » d’un côté, le racisme et/ou le vote pour l’extrême droite, à partir des années 1980 et 1990 de l’autre côté. D’abord, il y a une vision hiérarchisée des rapports entre groupes de population (ethnique ou confessionnels), fondée sur l’idée d’une inégalité naturelle et légitime.

A l’époque de l’Algérie française, cette vision inégalitaire et raciste trouvait son fondement dans les lois et institutions même, avec la répartition légale de la population en groupes ethnico-confessionnels : « européens » auxquels sont assimilés officiellement les juifs algériens depuis le décret Crémieux » et « musulmans ». L’infâme « Code de l’indigénat  » faisait par ailleurs des « musulmans » des citoyens de seconde zone, en les privant des droits les plus fondamentaux sur un territoire qui était alors officiellement considéré comme faisant « partie intégrante de la République française ».

L’islam, en tant que tel, jouait au début plutôt un rôle secondaire dans l’expression de ce racisme qui ciblait les populations arabes et berbères en tant que telles. Cependant, dans l’imaginaire collectif, l’islam sera toujours présent au second plan comme marque de distinction, puisque l’appartenance confessionnelle a joué un rôle essentiel dans la répartition des groupes de population en Afrique du Nord sous la domination coloniale. Mais la stigmatisation de l’islam en tant que tel sera introduite, comme « marqueur » idéologique, dans le débat public à partir du début des années 1980.

On verra aussi le Figaro Magazine qui, le 26 octobre 1985, choisit comme titre de couverture : « Serons-nous encore Français dans 30 ans ? », illustré de l’image d’une Marianne en foulard. A l’époque, le magazine est encore en partie marqué par la présence conjointe dans sa réaction d’une partie de la droite et de l’extrême droite qui cohabitent en son sein. Ce discours-là est alors largement repris dans les franges les plus dures de la droite et entretenu par un Front national en pleine montée.

Mais l’islam est alors aussi décrit symboliquement par le FN comme hostile à la femme, oppresseur, conquérant et barbare. Ceci notamment à travers l’image de la femme voilée jusqu’aux yeux, qui figure sur une affiche du FN en 1989 portant par ailleurs l’inscription : « Inch’Allah – Dans vingt ans, c’est sûr, la France sera une République islamique ».

La perpétuation du conflit israélo-palestinien a aussi conduit les défenseurs de la politique israélienne à privilégier et défendre une explication religieuse d’un conflit qui peut être compris et résolu en appliquant des critères exclusivement « laïques » : condamnation de la colonisation, défense du droit international.

Depuis les attentats de New York et Washington du 11 septembre 2001, on assiste à une nouvelle évolution :Les pays et groupes musulmans prennent la place du « bloc soviétique » comme ennemi du monde occidental. Les adeptes de la théorie du « choc des civilisations », développée par Bernard Lewis, Samuel Huntington et les néos-conservateurs y trouvent un argument pour leurs thèses.

Le discours idéologique qui fait prévaloir le nouvel ennemi est structuré par les logiques des axes du bien et du mal, il est aidé par les forfaits criminels des salafistes djihadistes et viendra donner une certaine légitimité à ce racisme. En France, l’expression du racisme antimusulman a pris une tournure particulière lors du débat sur la loi du 15 mars 2004 relative aux signes religieux à l’école où une nouvelle fracture inédite est venue diviser la famille laïque en deux camps : d’un côté les partisans d’une conception fermée de la laïcité, et d’autres qui estiment que la liberté de conscience doit être comme les droits de l’homme, respectés et défendu pour tous et partout et dans un stricte cadre privé.

Sur cette dernière période, on a vu l’instrumentalisation politique d’un discours visant à désigner l’immigré comme un ennemi intérieur, voire se libérer une parole raciste allant dans le renforcement de la stigmatisation des immigrés, voire des musulmans sans distinction de nationalité ou d’origine nationale .

C’est le cas du candidat à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy, qui au début de l’année 2007 va intégrer dans son discours de tels éléments. Dans sa fameuse intervention sur TF1, le 5 février 2007, il fait appel aux fantasmes les plus sombres en évoquant des immigrés (musulmans, s’entend) « qui égorgent des moutons dans leur baignoire ».

Par la suite, il dira que « celui qui veut opprimer sa femme, n’a pas sa place en France », faisant ainsi d’une valeur universelle fondamentale (le respect et l’égalité en droits de la femme) une prétendue valeur « française ». Au lieu de parler de principes à valeur universelle, Sarkozy fait alors de l’égalité en droits entre les sexes un critère de distinction entre « nous » et « eux », entre « ceux qui peuvent trouver une place chez nous » et ceux qui doivent rester dehors.

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Ce discours trouvera son achèvement quand Nicolas Sarkozy se fera le chantre de la « défense d’une identité nationale » française, qui serait le garant (entre autres) de valeurs comme celle de l’égalité entre hommes et femmes. A partir du 8 mars 2007, Sarkozy proclamera même sa volonté d’ériger cette « identité nationale » en cause d’un nouveau ministère. On sait ce qui est advenu par la suite : ce ministère a bel et bien vu le jour, et s’illustre surtout dans la chasse aux immigrés sans papiers et dans la poursuite d’une « politique du chiffre » en matières d’expulsions qui réduit les êtres humains à des quantités chiffrables devant rentrer dans des statistiques préétablies.

Aujourd’hui, on retrouve cette même rhétorique sur les bancs de l’Assemblée nationale, quand un député s’écrie, en septembre 2007 : « Hélas, ceux qui se plaisent à déformer l’objet du texte (note : du projet de loi ‘relatif à la maîtrise de l’immigration’) font le jeu des polygames et autres individus qui considèrent qu’une femme est née pour être voilée, voire lapidée. »

Le même député, dans le même discours, dira aussi ceci : « Au côté de Vercingétorix et de Charles Martel, du maréchal Foch et du général de Gaulle, des millions de Français sont morts au combat pour que nous puissions avoir le droit de vivre libres, dans le respect de nos racines et de notre identité nationale. Ne l’oublions pas ! Un peuple libre doit pouvoir choisir qui il accueille sur son territoire. »[3]

Aussi, L’affaire des Vosges n’est ni plus ni moins que le prolongement et un miroir grossissant de ce processus de dynamique qui conjugue racisme anti-arabe, anti-immigrés, et anti-musulmans. C’est une dérive de la société qui participe à l’acceptation de cette forme de racisme et une victoire de l’extrême-droite et de ses alliés.

Cette affaire prolonge d’autres affaires teintées de la suspicion et du sceau de l’amalgame entre islam, intégrisme (musulman)-islamisme, comme l’affaire des bagagistes de Roissy qui se sont vu retirer leurs badges en raison de leur pratique religieuse, vraie ou supposée, un paradoxe dans une République laïque[4].

Etait-ce un hasard ou une confirmation de cette logique si la propriétaire du gîte d’Epinal s’est vue soutenir politiquement par le MPF et défendu par Maître Alexandre Varaut, avocat de Philippe de Villiers. La force symbolique de ce procès permet en fait le positionnement et la clarification entre ceux qui choisissent (quelle que soit la position que l’on peut avoir sur le port du foulard) entre le camp des antiracistes et ceux des racistes.

Il a vu également une radicalisation du « camp laïque », dont certains éléments revendiquent maintenant une proximité idéologique avec les thèses de la droite et de l’extrême-droite, notamment sur les droits des immigrés[5], voire même des allusions qu’on espérait disparus[6].

Une conclusion sur une note positive : ce procès a eu le mérite de commencer un processus de sursaut des antiracistes et des tenants de l’universalisme de ce combat, à l’instar du fait que la condamnation est portée non seulement par le MRAP mais aussi la LDH et la LICRA qui s’étaient constituées partie civile à ce procès ?

Comment ne pas faire nôtre l’expression de l’avocat de la LICRA, Gérard Bouvier, cité dans la presse locale avec ces propos clairvoyants : «  Le tribunal ne s’est pas laissé abuser par les arguments pseudo-féministes et pseudo-laïcs avancés par Madame[7] (…). Ces arguments sont un faux-nez derrière lequel on trouve un comportement raciste. » . De toutes nos forces nous espérons que la clarification apportée lors de ce procès s’imposera dans d’autres circonstances à l’avenir. Il en va du devenir du combat universel contre le racisme.



[1] La Fédération nationale des gîtes ruraux « Gîtes de France » a fait savoir que celui incriminé ne faisait pas partie de son réseau.

[2] Benjamin Stora : « Le transfert d’une mémoire. De l’<Algérie française> au racisme anti-arabe » Paris, La Découverte, 1999.

[3] Assemblée nationale, Compte rendu analytique officiel, Séance du mardi 18 septembre 2007, 2ème séance de 21 heures 30. Propos tenus par le parlementaire Philippe Meunier, député (UMP) du Rhône. Le protocole note des « exclamations » sur les bancs de l’opposition.

[4] En 1904, le ministre de la guerre, le général André, avait dû démissionner quand on découvrit qu’il faisait ficher les officiers catholiques. On en est loin aujourd’hui.

[5] http://www.ripostelaique.com/spip.php ?article93
http://www.ripostelaique.com/spip.php ?article121

[6] http://www.ripostelaique.com/spip.php ?article122

[7] qui, interrogée par un des avocats des parties civiles, a expliqué qu’elle aurait accepté dans son gîte une religieuse en tenue (et donc voilée !!), mais pas un juif avec une kippa.

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