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La parole, une urgence française

Que faire ? C’est la question que beaucoup se posent depuis les attentats des 7 et 9 janvier à Paris. Cette interrogation concerne un large champ de possibilités et de domaines. D’une personne à l’autre, le « que faire ? » n’est pas fondé sur les mêmes préoccupations. Certains, assez nombreux, n’ont pour seule obsession que cela ne recommence plus, que les « autres » ne puissent plus frapper et cela sans réfléchir aux raisons, au terreau socio-politique qui a favorisé ce drame. Dans une discussion, dans un débat, ici ou là, cela transparait à travers leurs propos martiaux, leurs appels à la fermeté, en France et ailleurs, leur envie de guerre dans ce « là-bas » diffus et informe dont, trop souvent hélas, ils ne savent rien.
Leur envie aussi, non pas de guerre – le mot serait trop fort – mais de poigne de fer dans les banlieues, dans tous ces endroits où se tapirait la menace djihadiste. Ils applaudissent sans réserve à la convocation d’un gamin de huit ou dix ans au commissariat. Ils oublient ce qu’est un gosse, ce qu’il peut dire comme bêtises sans que ses parents n’en soient tenus pour responsables. On leur raconte les pays de l’Est à l’époque communiste. Les pères et mères terrorisés à l’idée que leur ado ou pré-ado se moque, par provocation ou bravade, du Parti, du camarade Staline ou du KGB. Ils haussent les épaules. Ils voient de la graine de djihadiste partout. La peur les aveugle et a donné des ailes à leur raison.
L’une des règles du « vivre-ensemble », formule peu satisfaisante car elle induit une certaine forme de résignation face à l’altérité de l’autre, est de rassurer celui qui a peur. Comment faire ? Face à celui qui profère des énormités parce qu’il se sent vulnérable, parce qu’il tremble pour lui et les siens, parce que son histoire personnelle et familiale remonte à la surface, on peut être tenté par la colère, l’emportement et la rupture. Mais il faut raison garder. Bien sûr, l’avalanche de bêtise qui déferle en ce moment sur les ondes n’arrange pas les choses. Le mieux, dans ce genre de circonstances, est de distinguer le grain de l’ivraie.
Les énormités proférées par des politiciens en mal de voix en provenance de l’électorat habituel du Front national ne sont pas chose nouvelle. Cela va même aller en empirant au cours des prochains mois. Ce n’est pas avec eux qu’il faut raisonner. Les politiciens, hantés par les courbes des sondages, n’ont pas peur. Ils n’ont peur de rien d’ailleurs et, comme cela est dit dans les Tontons flingueurs, c’est à ça qu’on les reconnaît… Mention spéciale à ce sujet à Nathalie Kosciusko-Morizet qui a affirmé que des enfants arrivent en retard le matin à l’école parce que leurs parents les emmènent d’abord à la mosquée (affirmation démentie par les syndicats de l’éducation tandis que, précisons-le, l’intéressée a fait son mea-culpa).
Revenons à monsieur tout-le-monde. Exposé à un flux permanent de mauvaises nouvelles dès son réveil (il faudra un jour s’attarder sur le rôle joué par les matinales des radios dans la diffusion de l’angoisse), il est évident qu’il peut avoir du mal à faire face. Il est évident que cette violence, jusque-là inconnue à l’intérieur des frontières de l’Hexagone (depuis au moins une vingtaine d’années) ne peut le laisser indifférent. D’un autre côté, à l’autre bout de la chaîne de la peur, il y a ces gens décrits dans une chronique précédente. La peur des musulmans, qu’ils soient ou non de nationalité française.
La peur des Juifs aussi qui ne peut être ignorée ou minimisée. Au milieu, des dizaines de milliers de gens qui ont des idées, des propositions et qui aimeraient contribuer à ce que la peur disparaisse. Ou, du moins, qu’elle ne fasse pas faire des bêtises. Dans ce genre de situation, la seule option est la parole. Et c’est là que l’on constate à quel point la France est un pays où cette dernière est confisquée. Bien sûr, la liberté d’expression existe. Bien sûr, la parole est abondante grâce au flux médiatique.
Mais qui parle ? Qui peut parler ? Toujours les mêmes, répondra-t-on. Il y a quelques jours, j’ai assisté à un débat sur l’islam en France. Deux interventions de haute facture, stimulantes, mais je ne suis pas sûr que c’était cela que le public présent attendait ou souhaitait. Ce que les gens veulent aujourd’hui, c’est parler. C’est se parler les uns aux autres. C’est se dire ce qu’ils pensent et ne pas rester assis sagement à écouter telle ou telle personnalité, aussi légitime soit-elle à s’exprimer et à éclairer l’assistance grâce à un propos érudit.
J’ai longtemps pensé que cette confiscation qui ne dit pas son nom ne concernait que les communautés maghrébines avec ce schéma habituel qui pourrait alimenter quelques chroniques sarcastiques : à la fin du débat, quand vient le temps, très limité, des questions, un troll s’empare systématiquement du micro pour un long monologue sur le thème du « je n’ai pas de question mais je souhaite dire que… ». En fait, c’est une amie, habituée des débats politiques en tous genres, qui m’a expliqué que cela concernait la France entière. Partout, les gens souffrent d’un déficit de leur propre parole. On leur parle, mais on ne leur permet guère de s’exprimer. Voilà qui explique, en partie, pourquoi les échanges sont aussi virulents sur le net. Ce n’est que l’indice d’une immense frustration. Celle de ne pas avoir la capacité de se faire entendre.
Que faire ? Les colloques, les grandes messes organisées sous tel ou tel haut patronage ne sont pas inutiles. Mais ce n’est pas le plus urgent. Il y a nécessité à organiser des temps de parole, fussent-ils modestes-, pour tous et cela sans flonflons ni arrière-pensées promotionnelles. Et, dans le climat délétère actuel, les musulmans de France doivent être les premiers à prendre ce genre d’initiative. Pas parce qu’ils seraient coupables par ricochets ou qu’ils devraient avoir mauvaise conscience mais simplement pour montrer qu’eux aussi sont des citoyens qui participent à la vie de la Cité.
Le Quotidien  d'Oran
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