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La nouvelle croisade occidentale en Libye signe-t-elle la fin de tout espoir d’une solution politique ?

Comme c’était prévisible, l’autorisation par le Conseil de sécurité de l’usage de la force en Libye n’allait pas rester sans suite. Alors que la résolution 1973 rappelle que son objectif essentiel est « l’établissement immédiat d’un cessez-le-feu » et « l’arrêt complet des violences » par l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne tout en soulignant « le besoin d’intensifier les efforts pour trouver une solution à la crise afin de répondre aux demandes légitimes du peuple libyen », la France a décidé de lancer une frappe aérienne contre un objectif militaire libyen sans aucun rapport avec l’exigence de faire respecter l’interdiction de survol de l’espace aérien libyen par des avions de l’armée de l’air de Kadhafi.

Pire, non seulement la France a décidé de frapper la Libye alors que le gouvernement de Kadhafi a décidé de suspendre unilatéralement les hostilités, mais il semblerait selon une dépêche de l’AFP que c’est bien un MIG 23 « sous le contrôle des insurgés de Benghazi » qui a été abattu, le samedi 19 mars, sous les caméras de télévision au-dessus de la région de Benghazi, ce qui semble corroborer la version du gouvernement Kadhafi suivant laquelle ce sont les « insurgés » qui auraient attaqué les forces loyalistes stationnées au sud de Benghazi et que ces dernières n’ont fait que riposter. Pour étayer leurs dires et lever les soupçons d’une « communauté internationale » décidément bien déterminée à n’écouter qu’un son de cloche, Kadhafi a invité la Turquie, Malte et la Chine d’envoyer des observateurs pour vérifier le respect du cessez-le-feu.

Les frappes françaises, qui ont précédé les frappes de la marine américaine qui a tiré des missiles Tomahawk contre des défenses aériennes libyennes, constituent donc bien une violation flagrante de la résolution 1973 même si certains passages de cette dernière pouvaient malheureusement prêter le flanc à des interprétations tendancieuses et à des applications sur le terrain qui n’ont rien à voir avec les mobiles « humanitaires » invoqués officiellement puisqu’il s’agissait dans l’esprit de la résolution de protéger les populations civiles contre les attaques aériennes supposées des forces pro-Kadhafi. Mais dès le lendemain de l’adoption de la résolution onusienne, Sarkozy déclarait que les forces françaises étaient prêtes à lancer des frappes contre toute violation de l’exclusion aérienne mais aussi contre…les blindés de Kadhafi ! La France ne s’en cache même pas : elle agit désormais comme une partie prenante dans une guerre civile.

Le détournement de la résolution onusienne

Le dénouement de la crise libyenne vient malheureusement confirmer les craintes de tous ceux qui s’inquiétaient des conséquences dangereuses de son internationalisation à commencer par les puissances, membres du Conseil de sécurité, qui se sont abstenues lors du vote de la résolution 1973. L’ambassadeur russe à l’ONU, Vitaly Churkin, a justifié la position de son pays en déclarant : « Non seulement nos questions n’ont reçu aucune réponse pendant les délibérations, mais nous avons aussi vu passer sous nos yeux un texte dont le libellé n’a cessé de changer, suggérant même par endroit la possibilité d’une intervention militaire d’envergure ».

Le représentant de la Chine a justifié l’abstention de son pays en disant attendre le rapport de l’envoyé spécial de l’ONU en Libye, Abdallah Khatib, pour mieux se faire une idée de la situation. Le rapport de cet envoyé si spécial ira bien entendu dans le sens voulu par les puissances occidentales qui ont déjà condamné avant de juger Kadhafi quand on sait qu’il fut le fameux ministre des affaires étrangères du roi Abdallah de Jordanie qui avait conseillé secrètement aux Israéliens et aux Américains d’en finir avec le Hezbollah durant la guerre d’agression qui a visé le Liban durant l’été 2006, comme vient de le révéler le site Wikileaks.

L’ambassadeur allemand, Peter Wittig a exprimé une position sans ambiguïté : « L’Allemagne s’est abstenue de voter en faveur de la résolution parce qu’elle ne souhaite pas s’engager dans une confrontation militaire, ce qui est envisagé par certains paragraphes ».

Le représentant indien, Hardeep Singh Puri a été plus loin en déclarant qu’ « il n’existait pratiquement aucune information crédible sur la situation sur place » qui puisse justifier l‘instauration d’une zone d’exclusion aérienne tout en ajoutant que les modalités d’application d’une telle décision n’étaient pas claires. Quant au Brésil qui s’est également abstenu lors du vote de la résolution, son ambassadrice, Maria Viotti a fait observer que « Le Brésil n’est pas convaincu que l’utilisation de la force telle que prévue permettra d’atteindre l’objectif commun qui est de mettre un terme à la violence et de protéger les civils ».

Une opinion publique arabe divisée

Si les mobiles « humanitaires » invoqués par les puissances occidentales pour justifier leur intervention militaire en Libye ne méritent pas qu’on s’y attarde, en revanche, le fait que cette intervention se fasse avec l’aval de la ligue arabe et qu’elle divise malheureusement l’opinion publique arabe constitue un fait politique d’une gravité sans précédent.

Même si la guerre d’agression américaine contre l’Irak a eu lieu avec la complicité des régimes arabes réactionnaires, il n’en demeure pas moins qu’elle fut unanimement rejetée par l’opinion publique arabe alors que le régime autoritaire de Saddam Hussein était contesté par une grande partie de cette même opinion.

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Aujourd’hui, les médias occidentaux et arabes qui essaient de vendre au mieux l’intervention occidentale en Libye ont le beau rôle en insistant sur le fait que cette intervention poursuit un noble but puisqu’il s’agit de « sauver le peuple libyen » contre les massacres perpétrés ou sur le point d’être perpétrés par les forces pro-Kadhafi. Autre nouveauté mise en exergue par les partisans de l’intervention occidentale. Cette fois-ci, ce sont les « insurgés » qui appellent les grandes puissances au secours ! Les armées occidentales transformées en « brigades internationales » mobilisées au secours d’une « révolution démocratique » qui doit tout aux réseaux sociaux modernes, même le scénariste le mieux inspiré de Hollywood n’aurait pu trouver mieux !

Sarkozy a donc eu « sa » guerre en réussissant- du moins en apparence- à entraîner ses alliés récalcitrants. Il a également réussi à frapper le premier, ce qui est tout une symbolique. Ses alliés ont-ils décidé de lui faire ce petit cadeau de campagne électorale anticipée ? Sarkozy va-t-il enterrer le climat de morosité et de doute qui frappe la société française dans le désert de Libye ? Sarkozy va-t-il donner à ses partenaires européens la clé d’une nouvelle campagne électorale réussie qui allie islamophobie, droits de l’Homme et puissance ? Enfin Sarkozy va-t-il devenir l’homme le plus populaire au sein de l’opinion publique « démocratique » arabe, après Bush bien-sûr ? Trêve de plaisanterie ! L’intervention française en Libye ne saurait ni poursuivre des objectifs autres que ceux dictés par des intérêts voraces ni s’élever au-dessus du niveau qu’on connaît de ce personnage qui résume à lui-seul la décadence politique de la France !

L’intervention occidentale en Libye va finir par dénaturer complètement un conflit que certains observateurs continuaient à regarder encore sous l’angle d’un soulèvement populaire contre un régime dictatorial. La soi-disant « opposition armée » emmurée à Benghazi risque de perdre chaque jour davantage ce qui faisait jusqu’ici sa légitimité politique en apparaissant de plus en plus clairement comme le jouet de deux anciennes puissances coloniales assoiffées de revanche sur l’histoire. Quant à l’opinion publique arabe, les échanges révélés par les forums des médias arabes laissent apparaître une évolution certaine. Les internautes sont de plus en plus nombreux à se poser des questions sur l’interventionnisme occidental en Libye au moment même où ce même Occident reste passif devant les massacres des manifestants pacifiques au Yémen et au Bahreïn.

Que fait la France en Libye ?

Profitant des tergiversations de ses alliés occidentaux, Sarkozy a cru qu’en roulant les mécaniques, il allait tirer le gros lot dans ce conflit riche en perspectives pétrolières. Si les tergiversations américaines n’ont pas révélé tout leur secret, il n’est pas dit que la France en sortira renforcée sur les plans stratégique et diplomatique. Comme vient de l’illustrer la décision d’accorder la direction de la coalition internationale à la Grande-Bretagne, la France n’aura que ce qu’elle mérite, c’est-à-dire des miettes ! La raison est simple : Les pétromonarchies du Golfe, qui sont derrière l’appel de la ligue arabe pour l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne en Libye, pensent à tort ou à raison que face à la supposée menace iranienne, elles ne peuvent compter que sur le protecteur américain !

L’interventionnisme français en Libye pourra peut-être accélérer la conclusion de quelques contrats juteux pour l’industrie aéronautique française en crise mais la France restera une puissance secondaire dans le grand Moyen Orient. Tout au plus, pourrions-nous assister à un reclassement géopolitique dans la région du Maghreb et du Sahel. Marginalisée par les Américains dans cette région durant ces dernières années, la France réussira-t-elle à reconquérir le statut qu’elle suppose être le sien comme une juste contrepartie d’un service rendu en Libye ? Ce n’est pas exclu lorsqu’on sait que les Etats-Unis embourbés au Moyen Orient cherchent à se faire aider par une force supplétive sérieuse dans la région du Sahara et du Sahel.

Mais tout dépendra finalement de la tournure que prendront les évènements en Libye. Si les craintes des puissances qui ont émis des réserves, comme l’Allemagne, l’Inde, le Brésil et la Turquie, pour ne pas parler de la Russie et de la Chine, se confirmaient dans la pratique, c’en serait fini pour le rôle de la France dans la région dans la mesure où ses alliés n’hésiteront pas à lui rappeler malicieusement sa précipitation désordonnée. .C’est ce qui explique peut-être sa hargne et sa détermination affichée dans la mesure où elle sait pertinemment qu’elle joue toute sa crédibilité stratégique et diplomatique dans ce conflit libyen.

En effet, malgré de puissants intérêts communs, des convergences diplomatiques certaines et une coopération militaire sui a bien démarré sur le terrain, la France ne partage pas que des amabilités avec ses partenaires de l’OTAN et de l’UE. Loin de là. Des divergences d’intérêts et de vues sérieuses existent et pourraient s’aggraver en cas de fausses manœuvres. Les forces qui pourraient se sentir lésées par cet interventionnisme français en Libye, à commencer par les forces liguées autour de Kadhafi, qu’on aurait tort de réduire à un clan isolé dans un contexte social et tribal complexe, ne sont pas sans ressources et rien ne garantit qu’elles resteront sans réagir. Une fois le dos au mur, ces forces n’auront plus d’autre choix que de se défendre contre ce qui sera ressenti chaque jour davantage, par un nombre croissant de tribus et de clans comme une agression étrangère inacceptable. Il n’est pas du tout exclu qu’une partie de l’opposition sincère se détourne de l’insurrection une fois qu’elle aura à choisir concrètement entre l’agresseur occidental et un régime autoritaire mais libyen.

Sur le plan régional, les choses risquent de se compliquer. Si les pétromonarchies du Golfe ne cachent pas leur soutien à l’interventionnisme occidental, la Turquie et l’Algérie, qui partagent une commune méfiance à l’égard de ce retour fracassant de la France sur la scène internationale et maghrébine, se trouvent confrontées à un défi stratégique et diplomatique majeur. Si la Turquie doit faire face à l’hostilité endémique de la France de Sarkozy violemment opposée à l’entrée de la Turquie au sein de l’UE, l’Algérie sait qu’une intervention française réussie en Libye constituera une menace directe à sa sécurité nationale dans la région du Sahel. Ce défi lancé par la France poussera-t-il ces deux Etats à se concerter en vue d’élaborer une ligne de conduite commune face à cette crise ?

Sans préjuger de l’importance des cartes dont ils disposent sur le terrain, jusqu’à quel point ces deux Etats pourront-il s’appuyer sur la prudence des puissances atlantiques qui, même si elles sont intervenues dans cette opération, ne partagent pas l’enthousiasme aventuriste de la France ? Les dérapages prévisibles, dont la violation flagrante de la résolution onusienne constitue un signe avant-coureur, seront-ils suffisants pour rouvrir la porte à une initiative diplomatique aujourd’hui en berne ? La solution politique privilégiée par ces deux Etats, qui passe par un dialogue inter-libyen sérieux, a-t-elle encore une chance dans le climat d’escalade militaire encouragé par l’intervention occidentale ? Une chose est sûre, plus les puissances occidentales, et surtout la France, risquent d’être embourbées et piégées dans ce conflit, plus grandes seront les chances d’une solution politique à la crise libyenne qui ne soit pas synonyme d’une recolonisation « démocratique » de ce pays si convoité pour ses richesses…

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