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“La musique d’ambiance” de Rafah (témoignage d’un photographe)

Je suis à la maison maintenant, assis confortablement dans la quiétude de mon bureau, à Montréal Canada mais les rafales assourdissantes des mitrailleuses, les explosions, les visages apeurés des habitants du Block O au sud de Rafah, dans la Bande de Gaza, sont encore dans ma tête. Durant 3 semaines en novembre, j’ai photographié l’impact débilitant de l’occupation israélienne sur le peuple palestinien. Il y a seulement 4 jours, j’entendais les balles siffler au dessus de ma tête et regardais des jeunes rendus furieux lancer des pierres sur un bulldozer de l’armée qui détruisait encore une autre de leur maison près de la frontière égyptienne. Maintenant, je me sens obligé de leur tenir mes promesses, raconter au monde ce que j’ai vu.

D’abord, je me suis rendu à Gaza avec un travailleur international canadien après avoir pris des photos à Jénin. Lors de ma première soirée là-bas, j’ai rencontré un journaliste palestinien qui m’a suggéré d’aller à Rafah pour témoigner de la douleur des gens vivant le long de la frontière égyptienne. A mon arrivée au Block O, le lendemain matin, les gens ont commencé à me tirer dans leur maison. Je suis entré dans l’une d’elles par un large trou dans le mur et j’ai trouvé une mère nourrissant ses 5 jeunes enfants. Ce trou a été fait pour permettre une fuite rapide au cas où les attaques de l’armée israélienne deviendraient trop intenses. Dans la maison avoisinante, dont le mur exposé au sud a été complètement enlevé, je suis resté avec les résidents à regarder un bulldozer blindé passer, au fond se dressait la barrière métallique haute de 6m que les israéliens construisent le long de la frontière égyptienne, une réalisation technique sinistre. A coté de moi, la grand mère de la famille pleurait, encore une fois, être né palestinien, signifiait perdre sa maison. Je tenais sa main et la réconfortait, un geste insignifiant pour une personne assez âgée qui va se retrouver à la rue, sous une tente, durant une période indéfinie. Les enfants m’ont fait signe d’un monticule de 3m de hauteur, constitué de gravats mélangé avec du mobilier et des vêtements pour que je constate l’étendue de sable où, se trouvaient, auparavant, 300 maisons palestiniennes. Les chars israéliens protégeaient les bulldozers et les énormes grues en train de creuser profondément de nouvelles sections du mur.

Je suis allé à coté du cimetière principal de Rafah, où un enterrement avait lieu pour Hamed Ala-Masri un jeune enfant de 2 ans tué par une balle israélienne le jour précédent. Hamed est mort alors que sa famille s’échappait de leur maison durant le bombardement israélien sur le Block J densément peuplé. J’ai demandé la permission de photographier cet enterrement. Après avoir pris une photo de Asa’ad Hassan, le père affligé de tristesse, un vieil homme s’est dirigé vers moi et m’a dit quelque chose sur un ton irrité. J’ai demandé à mon chauffeur ce qu’il avait dit de peur d’avoir offensé la famille. ” Non non ! il t’a dit de raconter au monde ce que les israéliens font “. Ce ne fut pas la dernière fois que j’entendrais de tels appels à l’aide du monde extérieur. Ensuite, j’ai rendu visite et pris des photos de la mère du petit, Asmaa, à l’hospital de Rafah où elle se remettait de ses graves blessures à l’abdomen subies durant l’attaque. J’ai promis à sa famille que dès mon retour au Canada, je raconterai son histoire. Ainsi, se concluait mon premier jour à Rafah.

Quelques jours plus tard, je suis revenu à Rafah avec la journaliste newyorkaise Kristen Ess et un groupe d’internationaux de l’ISM (International Solidarity Mouvement). Bien que je travaille indépendamment de l’ISM, nous avons fini par partager les 5 jours suivants en habitant ensemble dans des maisons menacées de démolitions par l’armée israélienne. J’ai passé ma soirée avec Kamal Abu Shammalah et sa famille, dans leur nouvelle maison éloignée du Block O qu’il a quitté récemment après l’assassinat de sa fille lors d’une terrible attaque des israéliens un mois plus tôt. Selon Kamal et les organisations des droits de l’homme palestiniennes, l’armée a bombardé des maisons dans un zone très peuplée, peut-être pour couvrir les bulldozers qui ont commencé la construction du mur le jour précédent. 6 civils furent tués et 40 autres furent blessés. Tirs nourris et explosions ont obstrué l’accès aux ambulances et au personnel médical. La fille de Kamal a été tuée par un éclat d’obus à la tête alors que la famille fuyait vers la maison de leur frère. J’ai passé la soirée à parler avec Kamal et apprécié la compagnie de sa femme et des 5 enfants rescapés. Depuis cette tragédie, la femme de Kamal a des difficultés pour dormir et manger, les enfants réclament leur sœur. Un de mes amis fut témoin de ce massacre et a immédiatement appelé le groupe de journalistes canadiens basés à Jérusalem afin qu’ils rapportent cette histoire. Ils n’ont jamais rappelé.

Le jour suivant, j’ai commencé à photographier des maisons risquant d’être prochainement détruites dans le Block O. Sans perdre de temps, les habitants de l’une d’elles m’ont invité à rester avec eux. La même générosité fut proposée à 2 volontaires de l’ISM dans le quartier. Et durant 4 jours, j’ai fait la connaissance non seulement d’une famille merveilleuse, mais de ce que les palestiniens appellent ” la musique d’ambiance “, constituée par les tirs répétés de mitrailleuses et les explosions qui rythment leur quotidien. Leur habitation, que le père Mousa a construit, est criblée de balles et entourée d’étendues sablonneuses correspondant, auparavant, à des maisons. Les bulldozers ont poussé le sable contre sa maison. Mousa a placé des briques devant la fenêtre de la salle à manger pour protéger sa famille des rondes incessantes des chars. Au 3ème jour, une fusillade de 2h a fait rage à 75m de nous entre les militaires israéliens et des combattants palestiniens. Plus tard dans la journée, alors que nous mangions le déjeuner du Ramadan, 2 obus furent lancés contre le mur de la maison, un 3ème entra par la fenêtre de la salle de bain et heurta le mur de la cuisine. Quelqu’un de nous aurait pu être tué.

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Cette nuit, les fusées éclairantes embrasaient le ciel et des drones espions survolaient le camp de réfugiés. J’ai pensé à Mousa, ayant travaillé toute sa vie dans un kibboutz israélien seulement pour voir l’armée israélienne démolir sa maison sans offre de compensation. J’ai pensé aussi à sa fille, Safa, qui lorsque je lui ai demandé pourquoi ils n’ont pas déménagé, m’a répondu simplement, ” c’est notre terre. Pourquoi devrions nous partir ? “.

Darren Ell est un photographe free-lance qui réside à Montréal Canada

http://electronicintifada.net

Traduction R. ATTAF

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La Charte de l’Organisation de la Conférence Islamique et les droits de l’homme (partie 2)