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« La mouvance islamique est majoritaire en Syrie »

Les Frères musulmans syriens sont beaucoup moins connus que les Frères égyptiens. Le dernier ouvrage qui leur a été consacré en français, « Les Frères musulmans », signé d’Olivier Carré et Michel Seurat, a plus de vingt ans. Depuis la prise de pouvoir par Hafez Al-Assad en 1970, la Confrérie a subi une terrible répression. Les massacres dans la ville de Hama auraient provoqué en 1982 la mort de plus de 25 000 personnes. L’appartenance à l’organisation des Frères musulmans est d’ailleurs toujours punie de la peine de mort à Damas. De son côté, la Confrérie n’a pas hésité à se référer à la fatwa d’Ibn Taïmiyya sur la « secte » des Alaouites (ou Noçaïris) datant du XIVe siècle, pour déclarer la guerre sainte au régime syrien, considérant que les Alaouites, actuellement au pouvoir (et qui regroupe 10 % de la population) « sont plus infidèles que les juifs et les chrétiens, plus infidèles encore que bien des idolâtres ».

Ancien leader historique des Frères musulmans syriens, Issam Al-Attar est installé à Aachen (Aix-la-Chapelle) en Allemagne depuis 1978. Il n’a jamais pu retourner dans son pays. Ce francophone, âgé de 78 ans, a accepté de nous recevoir longuement, entouré de ses deux enfants et de quelques amis. Parmi eux, le docteur Mohammad Hawari, également syrien, membre du Conseil européen de la fatwa et membre du Conseil supérieur des musulmans d’Allemagne.

I.H. : Pour la première fois, l’opposition syrienne est unie. Ce mois-ci, les Frères musulmans syriens ont accepté d’adhérer à la « Déclaration de Damas » aux côtés d’autres partis politiques, réclamant un « changement national démocratique ». Que demandez-vous en priorité ?

I. A.-A. : Il faut organiser le plus rapidement possible des élections démocratiques en Syrie. Je vais peut-être vous étonner, mais je souhaite que tout le monde puisse y participer, y compris les communistes et le Parti Baas, actuellement au pouvoir, et qui impose une dictature depuis si longtemps. Nous devons dépasser nos haines. Je précise que je ne suis plus un dirigeant et que je ne parle pas au nom des Frères musulmans.

I.H. : Que sortirait-il des urnes ? Les Frères musulmans sont-ils majoritaires en Syrie ?

I.A.-A. : Je dirais plutôt que la mouvance islamique est majoritaire. Les Frères musulmans ne sont qu’une composante de cette mouvance islamique. C’est une erreur de vouloir désigner les Frères musulmans comme des gens dangereux. Ils représentent au contraire une tendance modérée dans les pays arabes où ils participent au pouvoir. Ils défendent la liberté, la démocratie. 

I.H. : Considérez-vous que les Alaouites sont des musulmans ?

I. A.-A. : Eux se disent musulmans. Pour moi c’est une secte. Toutefois, je respecte les Alaouites en tant que citoyens. Ce sont des Syriens, au même titre que les musulmans, les chrétiens, les Druzes. De la même façon, les Kurdes sont des citoyens comme les Arabes.

I.H. : Appuieriez-vous les Américains s’ils renversaient le pouvoir à Damas ?

I. A.-A. : Aucun Syrien ne peut accepter qu’il se produise une catastrophe comme en Irak.

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I.H. : La libération (partielle) du Liban du joug syrien est-elle une bonne chose ?

I.A.-A. : La colonisation, c’est dépassé. Il ne peut plus y avoir de relations de maîtres à sujets entre les peuples. Mais des liens fondamentaux, basés sur les mariages, le commerce, unissent depuis très longtemps Syriens et Libanais. Il faut que nos relations se poursuivent, basées sur la fraternité, le respect mutuel. 

I.H. : La récupération du Golan sera-t-elle la priorité d’une Syrie démocratique ?

I.A.-A. : Le Golan est une région colonisée par les Israéliens. Mais pour les Syriens, comme pour tous les musulmans, la question de Jérusalem et celle du peuple palestinien comptent beaucoup plus que le Golan.

I.H. : Vous nous avez dit qu’il fallait dépasser les haines. Les services syriens, mis en cause dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, ont aussi tué votre femme en 1981 dans votre appartement à Aachen…

I.A.-A. : Les meurtriers, des Syriens, au nombre de trois, étaient envoyés par le régime de Damas. L’un d’entre eux a été arrêté peu après ce crime et condamné à la prison à perpétuité. Je peux vous révéler une information qui n’est pas encore parue dans la presse : les autorités allemandes ont arrêté récemment un autre membre du commando. J’ai demandé à la justice allemande de faire sereinement son travail. Pour ma part, je ne réclame même pas vengeance. Il faut pardonner.

I.H. : Parlez-nous de Saïd Ramadan, le gendre d’Hassan Al-Banna, et le père de Hani et Tariq Ramadan

I.A.-A. : Je l’ai connu en 1952 lors d’un voyage au Caire. Ensuite, Saïd Ramadan est venu se réfugier en Syrie pour fuir la répression en Egypte. C’était d’un orateur exceptionnel et dans les années 50, il n’est pas exagéré de dire que Saïd apparaissait comme un modèle pour la jeunesse musulmane. Plus tard en Europe, nous avons toujours conservé d’excellentes relations fraternelles. Avant de m’établir à Aachen, je suis passé par Genève. Toutefois, nous nous sommes moins vus car nous ne partagions pas les mêmes points de vue.

Propos recueillis par Ian Hamel à Aachen

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