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« La lettre tue, l’esprit vivifie »

La parution le 4 octobre dernier sur Oumma.com, d’un article intitulé Islam de marché ou marché de dupes ? a suscité de très vives réactions Celles-ci ont été nombreuses et c’est plutôt une bonne nouvelle pour l’exercice de la critique et du débat contradictoire parmi les citoyens musulmans.

Même si à l’évidence, affleurait dans certains des commentaires, quelque méprise sur nos réelles intentions, mais aussi (on peut le déplorer), une forme de mauvaise foi qui risque de confiner à la servilité de l’esprit si elle n’est pas fermement dénoncée. Déranger les gens dans leurs habitudes purement alimentaires peut être assimilé à un sacrilège !

S’il est mentionné Halal sur nos produits courants de consommation, alors gageons que les organismes qui apposent la certification disent vrai. Quand bien même ces derniers chercheraient à nous abuser, les auteurs en porteraient l’entière responsabilité auprès d’Allah (sic) ce qui serait censé nous dissuader de nous interroger ! C’est ce suivisme aveugle qui puise sa source dans du ritualisme formaliste stricto sensu, qu’il convient absolument de pourfendre.

Bien entendu, nous avons été sensible aux critiques des internautes. Nous tenterons de répondre globalement aux interrogations et parfois à l’incrédulité palpable, en reprenant des observations que l’on estime parfaitement fondées.

Quelques-unes de ces remarques méritent toute notre attention tant elles manifestent à juste titre, le besoin de considérer l’esprit des textes religieux plutôt que d’insister sur le manichéisme combien stérile, dans lequel tend immanquablement à nous enfermer la dichotomie classique Halal versus Haram.

En effet, le corpus islamique (Coran et traditions prophétiques) n’est pas seulement un ensemble de permissions, d’interdictions, de recommandations ou de mises en garde, et ce du fait même de la vocation éminemment spirituelle et humaniste du message de l’islam.

Mais cet aspect de la foi, s’agissant justement des choses licites et de celles qui ne le sont pas au regard des dogmes, n’y est évidemment pas totalement étranger (au corpus coranique), puisqu’il permet dans une large mesure, de réguler les comportements humains, toujours à des fins de bien-être social et spirituel.

Ainsi la division légale de l’agir humain, en actes permis, recommandés, obligatoires, interdits n’est pas contestée par l’immense majorité des musulmans.

Comment pourrait-on nier l’urgence du traitement d’une telle question ? C’est précisément parce que ce sujet (le marché du Halal) nous concerne tous, puisqu’il a principalement trait aux affaires sociales et temporelles des musulmans (al mu’amalât), qu’il est sans doute de bon aloi d’essayer de crever l’abcès et d’exposer les suspicions qui l’entoure[1] !

Aussi il est nécessaire, ne serait-ce que pour le prolongement du débat pluraliste, d’apporter quelques clarifications sur le sens et le contexte d’une telle critique : polémique peut-être, franche sans aucun doute ! Celle-ci nous impliquait d’ailleurs très largement en tant que partie prenante du débat au sein des communautés musulmanes françaises.

L’article visait pour l’essentiel les acteurs de la commercialisation des produits Halal, particulièrement parmi les musulmans français qui, jouant sans le moindre scrupule, de l’attachement des fidèles à la norme religieuse, sont prêts à engranger de juteux bénéfices, y compris en proposant des produits douteux aussi bien sur le plan de la traçabilité (authentification des chaînes de production) que sur un plan strictement sanitaire et hygiénique :

« Cela n’a rien à voir avec les disputes auxquelles on assiste dans divers pays quant à l’étiquette halal déposée sur les viandes et qui sont aussi la possibilité de maîtriser un marché non négligeable sur le plan financier. La règle ici est claire : il en est qui sont sincères et font un travail de contrôle pointu qu’il faut encourager et d’autres qui, par cupidité ou négligence, gèrent cette question avec le seul souci du gain. Ils mentent sur la marchandise et il faut les dénoncer[2] (c’est nous qui soulignons). »

Ainsi du simple point de vue de la santé publique, le problème mérite déjà en tant que tel d’être posé. L’abattage rituel ou supposé tel des animaux s’opère-t-il dans la « pondération, (la) dignité et (l’) ordre[3] » et partant dans le respect du droit des animaux ? Le confinement des produits dérivés s’effectue-t-il de façon hygiénique et étroitement surveillée ? Comment vouloir esquiver ce genre de questionnements ?

Il ne s’agissait à aucun moment de stigmatiser les musulmans en leur faisant un procès d’intention quant à la pratique cultuelle et culturelle quotidienne, en s’érigeant en directeurs de conscience. Pour ce qui est du culte, des adorations (‘ibadât) dans une acception plus large, la relation d’ordre verticale, n’engage que le croyant et son Seigneur dans l’intimité du cœur et le secret de la conscience de chacun.

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Toutefois, tous ceux qui en islam sont un tant soit peu attachés à l’esprit des textes et non pas, pour le coup, arc-boutés sur la lettre, seront sensibles au fait que l’une des finalités principales de la Shari’a[4] est précisément d’éduquer les individus (musulmans de conviction) afin de les responsabiliser dans le sens de l’intérêt général et donc aussi, public. Par conséquent, elle les motiverait dans le sens du bien de tous (maslâha) : musulmans comme non musulmans.

Il s’agit en quelque sorte d’une invitation expresse à œuvrer en vue de l’établissement de la justice au sein de la société ainsi que de lutter contre les préjudices faits aux personnes et aux biens.

L’éminent Imâm Abu Ishaq Ibrahim Al Shatibi qui vécut au XIVème siècle de notre ère a été pionnier dans le domaine de l’étude des Maqasîd (visées suprêmes et spirituelles de la Shari’a) en ce qu’il a été l’un des premiers auteurs musulmans à l’avoir thématisé de façon aussi complète et aussi systématique.

Notons cependant que le vocable Maqâsid aurait été a priori employé pour la toute première fois, selon le Dr. Mohamed Hashim Kamali[5], par un certain traditionniste du nom de Abu ‘Abd Allah Al Tirmidhi Al Hakim au Xème siècle.

A la lumière de ces innombrables enseignements, que l’on ne saurait malheureusement égrainer de façon exhaustive en raison du cadre limité de ce travail, il est mis en évidence l’importance d’une éducation de l’individu (tahdib al fard) censé être porteur de valeurs universalistes de l’islam, et par lequel devraient justement advenir les visées morales et salutaires de la Shari’a, toujours dans un sens spirituel de réforme morale individuelle et de développement social et économique.

Autrement dit, dans la perspective aussi bien d’un épanouissement privé que collectif profitable à la communauté des hommes.

On terminera ainsi par une interrogation centrale qui est une invitation à une remise en cause permanente : doit-on sacrifier l’intégrité morale, physique, religieuse ou spirituelle des musulmans sur l’autel du consumérisme et de la recherche du profit économique au prétexte d’une demande et d’une observation aujourd’hui accrue de la norme religieuse, abstraction faite de l’intérêt de tous et de la transparence à laquelle tout un chacun peut légitimement prétendre ?



[1] Voir le compte-rendu de l’enquête de l’Express paru dans le magazine du 21 novembre 2002

[2] Tariq Ramadan, Peut-on vivre avec l’islam ? Entretien avec Jacques Neirynck, Favre, Lausanne, 2004, p. 98.

[3] Op. cit., p. 106-107

[4] Mohamed-Chérif Ferjani, Le politique et le religieux dans le champ islamique, Fayard, 2005, p. 72-76. L’auteur fait une analyse fine du sens originel du vocable Shari’a insistant sur la fait majeur selon lequel il désignerait originellement la « Voie » et non pas la « Loi ». Cette regrettable confusion ou approximation sémantique de la traduction est parfois entretenue, laissant accroire une intangibilité de la norme religieuse indépendamment des siècles et des espaces ; sans distinguer par ailleurs la hiérarchie et la portée des prescriptions coraniques très souvent illustrées dans le cadre des traditions prophétiques.

[5] http://aml.org.uk/journal/3.1/Kamali%20-%20Maqasid.pdf

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