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La « guerre sainte » de Benjamin Netanyahou

La guerre que mène actuellement Israël sur trois fronts (Gaza, Liban, Cisjordanie) s’explique avant tout par des motivations à caractère géopolitique. Israël agit en tant que forteresse avancée de l’Empire américain, dans une région qui constitue un centre névralgique pour l’économie mondiale.

Cependant, pour mobiliser les soutiens à sa guerre, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, n’hésite pas à utiliser une rhétorique politique d’inspiration biblique, au risque de donner l’impression qu’Israël est engagé dans une « guerre sainte » contre un ennemi transhistorique que la propagande israélienne a vite fait de diaboliser.

Lors de son discours du 27 septembre dernier devant le Congrès américain, Netanyahou n’a pas hésité à faire des citations récurrentes de la bible hébraïque.

Le chroniqueur israélien, Haim Ouizemann, a avancé sept raisons pour expliquer ce recours abusif aux citations bibliques :

  • la volonté de « renforcer le lien historique du peuple juif avec la terre d’Israël » à un moment où la guerre déclenchée contre Gaza  a fait fuir plusieurs centaines de milliers d’Israéliens à l’étranger ;
  • le désir de renforcer la légitimité de l’Etat d’Israël, battue en brèche par les atrocités commises à Gaza, qui ont fini par faire perdre à Israël le soutien moral dont il jouissait auprès d’une partie de l’opinion publique internationale, en particulier américaine, y compris dans les milieux juifs ;
  • le souci de créer une certaine identification entre un auditoire américain majoritairement protestant et Israël en mettant en avant un héritage biblique commun ;
  • la volonté d’assurer une « connexion symbolique » entre l’histoire ancienne du peuple juif et la politique israélienne, dont les tenants ont du mal à cacher le caractère immoral aux yeux d’une partie croissante de l’opinion publique ;
  • le désir de donner au discours belliciste israélien une dimension rhétorique, capable de provoquer un choc émotionnel au sein de l’opinion publique pour mieux justifier une guerre qui apparaît de plus en plus injustifiée ;
  • enfin, la référence à la bible hébraïque est inséparable de la volonté réaffirmée depuis plusieurs années de faire d’Israël un Etat exclusivement juif (1)

La rhétorique biblique de Netanyahou

La référence de Netanyahou à la bible hébraïque ne date pas de son dernier discours devant le Congrès américain de septembre dernier. L’année dernière, dans une allocution télévisée prononcée le 25 octobre 2023, Netanyahou a fait une référence remarquée à la prophétie d’Isaïe, pour donner une justification supplémentaire à la guerre menée à Gaza.

Le Livre d’Isaïe est un texte majeur de l’Ancien Testament, qui aborde notamment la déportation du peuple juif à Babylone et son retour, ainsi que le projet de reconstruction du Temple de Jérusalem.

Netanyahou se référait au verset 18 du chapitre 60 du Livre d’Isaïe dans lequel il est écrit :  “On n’entendra plus parler de violence en ton pays, de ravages ni de ruine en ton territoire, et tu appelleras tes murs ’Salut’, et tes portes ’Gloire’ .

On ne peut s’empêcher de voir dans cette référence un clin d’œil à une actualité marquée par une guerre visant à expulser le maximum de Palestiniens de leur terre et par les tentatives des colons extrémistes de détruire la Mosquée d’Al Aqsa pour reconstruire à sa place le Temple, dans le cadre d’un processus de judaïsation de la ville de Jérusalem-qui a commencé il y a plusieurs années.

C’est ce qui a fait dire à Norman Cornett, ancien professeur d’études religieuses à l’université McGill., que « depuis le 7 octobre, Netanyahou n’a cessé d’utiliser la religion pour justifier ses opérations à Gaza, décriées par de nombreux acteurs de la communauté internationale comme génocidaires et correspondant à des crimes de guerre. » Le professeur canadien ajoute : « Puiser dans les écritures, qu’elles soient coraniques, ou qu’elles soient hébraïques, cela donne carte blanche pour atteindre n’importe quelles fins militaires et politiques. » (2)

Les références de Netanyahou à des versets bibliques qui se rapportent directement à la guerre contre un ennemi historique du peuple juif dans l’Antiquité, les Amalékites, ont été interprétées comme un appel, à peine caché, au génocide contre les Palestiniens de Gaza, et c’est à ce titre que la référence a été citée dans le dossier déposé par l’Afrique du sud devant la Cour internationale de Justice de La Haye.

L’accusation n’a pas laissé indifférent le gouvernement Netanyahou, dont le bureau a tenté de nier tout appel au génocide en prétendant que « lorsque Netanyahu avait utilisé la citation biblique « Souvenez-vous de ce qu’Amalek vous a fait », il l’avait utilisée pour décrire l’attaque sauvage commise par le Hamas sur le sol israélien, le 7 octobre, et non pour appeler au génocide contre les Palestiniens de Gaza. Le Bureau a par ailleurs souligné que la même phrase apparaissait dans une exposition permanente du musée de commémoration de la Shoah de Yad Vashem, ainsi que sur un mémorial rendant hommage aux Juifs néerlandais assassinés pendant la Shoah, à La Haye. « Manifestement, aucune de ces deux références n’est un appel au génocide du peuple allemand », a noté le Bureau de Netanyahu » (3)

Un messianisme à connotation raciale

Le démenti du bureau de Netanyahou ne saurait occulter le fait qu’en se référant à un texte qui appelle à « effacer la mémoire d’Amalek » et qui comprend le récit de l’attaque du roi Saul qui détruisit les Amalékites dans le Livre I de Samuel, et ce en pleine guerre à Gaza, ne pouvait que créer un amalgame dangereux, qui tend à justifier malheureusement les crimes de guerre pointés du doigt par les organisations humanitaires internationales.

Pire, la référence de Netanyahou à la guerre contre les Amalékites prend une connotation encore plus dangereuse quand on sait que, dans le récit biblique, Amalek est explicitement identifié à son ascendance arabe via sa grand-mère, Ada, la première épouse d’Esaü, le neveu d’Ismaïl (l’ancêtre mythique des Arabes)

Ainsi la référence de Netanyahou au récit biblique dans le but de renforcer la légitimation de sa guerre à Gaza se trouve doublée d’un discours à caractère racialiste. Dans ces conditions, il est difficile de ne pas voir que la « guerre sainte » de Netanyahou est aussi une « guerre raciale ». Rien d’étonnant à cela dans la mesure où toutes les guerres coloniales, même si elles sont avant tout des guerres de pillage, ont eu une connotation raciale indéniable. Et toute idéologie colonialiste est une idéologie intrinsèquement raciste.

L’instrumentalisation d’un discours messianique pseudo-religieux par Netanyahou ne date pas d’aujourd’hui. En 2011 déjà, dans un discours à l’occasion de la commémoration de la libération du camp d’Auschwitz,  Netanyahou n’hésitait pas à citer le Livre d’Ézéchiel, notamment les prophéties des chapitres 38 et 39 qui décrivent la victoire du peuple juif contre ses ennemis à la suite de la bataille de « Gog et Magog » (4)

L’année suivante, en 2012, à un moment où le gouvernement israélien envisageait (déjà) de frapper les installations nucléaires iraniennes, Netanyahou avait chargé le directeur du Conseil national de sécurité, Yaakov Amidror, d’obtenir le précieux aval du grand rabbin sépharade, Ovadia Yossef, le chef spirituel du parti ultraorthodoxe Shass, pour une éventuelle attaque contre l’Iran.

De son côté, le ministre des affaires étrangères de l’époque, Avigdor Lieberman, tentait d’obtenir le soutien de Belzer Rebbe, un représentant des hassidiques, principal courant du judaïsme ashkénaze ultraorthodoxe (5)

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Bien entendu, l’instrumentalisation du messianisme juif à des fins politiciennes et bellicistes n’est pas partagée par tous les dirigeants israéliens, dont certains n’hésitent pas à relever le caractère dangereux d’une telle dérive, y compris pour l’avenir de l’Etat d’Israël lui-même. L’ancien chef du Shin Bet (le contre-espionnage israélien), Yuval Diskin, n’avait pas hésité à faire part de son inquiétude à ce sujet : « Je n’ai pas confiance dans une direction qui prend des décisions fondées sur des sentiments messianiques » (6)

Un messianisme religieux à des fins politiques

Par ailleurs, il convient de rappeler que l’utilisation de la rhétorique messianique par Netanyahou relève sans aucun doute d’une tactique politique qui a très peu de chose à voir avec la religion juive proprement dite. En 2019,  le ministre israélien des transports d’alors, Bezale Smotrich, avait proposé carrément la création d’ un « État halakhique » (Etat religieux juif).

Netanyahou n’a pas hésité à le désavouer devant une délégation de démocrates de la Chambre des représentants des Etats-Unis : « Un membre de notre coalition, non pas du Likud mais d’un autre parti, a déclaré qu’il aimerait qu’Israël soit un État halakhiqueEh bien, c’est un non-sens pur et simple. C’est de la connerie et rien ne peut en témoigner davantage que la nomination récente du ministre de la Justice du Likud », a-t-il ajouté, faisant allusion à Amir Ohana, le premier ministre ouvertement homosexuel en Israël (7)

Enfin, il faut rappeler que l’instrumentalisation dangereuse du discours religieux à des fins politiques n’est pas l’apanage de Benjamin Netanyahou ni de certains courants politiques israéliens. Dans le monde arabe, les courants qui instrumentalisent, de diverses manières, la religion à des fins politiques ne sont pas en reste.

Cornett a raison de rappeler que « cette utilisation de la religion comme justification et sacralisation d’actes de guerre, de meurtres et de violation des droits de l’homme a un précédent, et se retrouve directement dans le concept de guerre sainte. Les croisades avaient déjà marqué le Moyen-Âge par des décennies de violences, et plus récemment, les actions de groupes terroristes comme Daech se sont aussi inscrites dans cette légitimation de violence et de haine.» (8)

Il n’en reste pas moins, cependant, que l’utilisation du discours religieux en politique ne revêt pas la même signification dans tous les contextes sociohistoriques. Pour éviter des amalgames préjudiciables à la compréhension des processus politiques en cours, il est important de distinguer entre les mouvements qui inscrivent leur action dans le cadre de la libération nationale ou bien dans le cadre de la lutte contre le despotisme politique, et les mouvements messianiques qui, à l’instar de Daesh, recourent au terrorisme aveugle contre les innocents.

Au demeurant, l’action de ces derniers s’inscrit dans le cadre de la stratégie de l’ « anarchie créatrice » chère à certains laboratoires de l’Empire. En tout état de cause, et à un moment où des signes inquiétants d’une guerre régionale se font jour, l’utilisation du discours messianique par les dirigeants d’une puissance nucléaire comme Israël devrait constituer un motif d’anxiété et de vigilance pour tous ceux qui militent pour une paix juste et durable au Moyen-Orient.

Notes: 

(1)The Times of Israël, 10 Octobre 2024

(2)Le délit, 28 Février 2024

(3) The Times of Israël, 16 Janvier 2024

(4) Jeune Afrique, 20 Septembre 2012

(5)Jeune Afrique, 20 septembre 2012

(6)Jeune Afrique, 20 Septembre 2012

(7)The Times of Israël, 8 Août 2019

(8)Le délit, 28 Février 2024

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2 Comments

  1. Article interessant, mais erroné par des glissements et raccorcis sémantiques. La comparaison avec l’instrumentalisation des autres religions et notamment l’Islam, tient de la juxstaposition pour le moins hâtive. Ce “premier ministre” d’un “ETAT” frelaté sans frontière et sans constitution ( et la création de cet “ETAT est subordonnée à la création de l’ETAT palestinien dans la résolution de l’Onu- ce qui n’est pas le cas, donc nul et non avenu), ce criminel donc n’est pas le seul décideur. Il est entouré par une bande relieuse comme leur soldats criminels sont accompagnés par des rabins (et non des moindres): Il ne s’agit pas d’une instrumentalisation d’une religion, mais bien la mise en pratique d’une religion (fondamentalement et seulement matérialiste) et de ses principes.

  2. D’un coté
    les arabes sont diamétralement opposés à l’entité sioniste, pourtant les pouvoirs arabes défendent l’état sioniste sur tous les plans;
    La peur n’a rien à voir,les pouvoirs arabes n’ont pas peur.
    Ces pouvoirs savent qu’ils n’auront jamais une place dans un monde non sioniste.

    D’un autre coté

    L’Iran et l’état sioniste ont beaucoup de choses en commun sur tous les plans , religieux, politique , social, militaire.
    Ces deux pays se disputent la tutelle du monde arabe, conflit stratégique.
    L’économie mondiale est sioniste, et c’est pour cela que je préfère l’Iran à l’état sioniste,

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