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La France que j’aime et la France qui m’inquiète

 

Majid est arrivé en France avec son épouse et ses 2 enfants en bas âge au milieu des années 90 avec un visa touristique.  Il n’a jamais plus quitté la France. Il ne voulait plus revenir dans son pays en proie à une guerre civile.

Sans papiers, pendant des années, il va connaître la peur, la faim, les brimades, le rejet et les incertitudes du lendemain.

Un jour, il est venu me voir à la mosquée. J’aime profondément ce pays, j’aime la France, me dit-il. Et pourquoi ? lui répondis-je, tu souffres et tu fais souffrir ta famille depuis que tu es là.  Il me dit alors : Riad, mon premier enfant avait 2 ans quand je suis arrivé en France. Âgé de 6 ans aujourd’hui, il devrait être à l’école. Je ne l’ai pas inscrit car j’avais peur de l’expulsion. J’ai le sommeil agité depuis 6 mois car je pense sérieusement à l’avenir de mon enfant. Samedi dernier, après une longue discussion avec Linda, mon épouse, nous avons décidé de l’inscrire à l’école primaire du quartier en nous remettant totalement en confiance à Dieu. C’est Lui qui décide finalement. Si je dois revenir au pays, je reviendrai, mes enfants doivent aller à l’école.

Je me suis présenté à l’école "Jean moulin" lundi dernier avec Riad et Linda. Nousavonsétéreçus fort aimablement par la directrice. Nous voulons inscrire Riad dans votre école, il a six ans, avais je dis avec une voix tremblante. Il aurait dû être inscrit l’année dernière, me dit-elle, pourquoi vous ne l’avez pas fait ?

Je lui explique alors notre situation. Elle m’écoutait parler avec une attention particulière et me dit avec une voix rassurante : Monsieur, je suis une directrice d’école, pas un policier. Peu m’importe votre situation administrative, mon rôle est d’inscrire votre enfant et je feraimonpossiblepour qu'il réussissedans mon école. Un quart d’heure plus tard, elle nous lance avec un grand sourire : Riad est inscrit, il commencera demain sa première année scolaire, ne soyez pas en retard s’il vous plait. C’était mon plus beau jour depuis que je suis arrivé en France. Ma femme avait les larmes aux yeux. Elle était tellement soulagée d’entendre ces paroles qu’elle prit la directrice dans ses bras, et la remercia longuement. C’est cette France là que j’aime, une France libre, respectueuses, accueillante, généreuse et profondément humaine.

Aujourd’hui, Majid est Français binational. Il trouvé du travail lui et sa femme et Riad a eu son bac avec mention "très bien" et a entamé de brillantes études de médecine, il veut devenir cardiologue.  J’ai rencontré Majid à nouveau ce vendredi, jour de fêtes. Il semblait gêné et très contrarié. Tu as des problèmes,  lui lançai-je. Avec une voix grave, il me dit : Te rappelles-tuencore, le jour où je suis venir te voir après l’inscription de Riad à l’école primaire de mon quartier. J’étais alors sans papiers et je t’avais dis : j’aime profondément la France.

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Il lâche un bref soupire, et dit sur un ton agacé : j’ai beaucoup souffert dans ma vie.  J’ai souffert pour venir en France ; j’ai souffert pour éduquer mes enfants et leur assurer une vie descente ; j’ai souffert pour avoir mes papiers et trouver un emploi et j’ai dû beaucoup souffrir pour devenir Français. Je suis très attaché à la France et ses valeurs. Je ne remercierai jamais assez tous ces Françaises extraordinaires comme cette directrice d’école qui se sont occupés de moi et de ma famille et qui m’ont aidé à me reconstruire. Et mêmes'ilsn'en sont pas forcément conscients, ilsm’ont donné l’occasion de construire mon avenir et celui de mes enfants.

Aujourd’hui la France m’inquiète car je constate amèrement que chez de nombreux français, le doute remplace à mesure la confiance et se change progressivement en rejet pour ne pas dire en haine de l’autre. L’annonce de la déchéance de nationalité pour les binationaux m’a affecté profondément. Dans cette période de troubles que nous traversons, on ne pouvait mieux choisir pour stigmatiser et humilier les milliers de binationaux comme moi que compte la France.

 Le doute s’est installé en moi. Il ne me lâche plus et à chaque fois que j’essaye de comprendre le sens de cette démarche, la confusion et la colère ne me laissent aucun répit. Je suis désormais hanté par l’image d’une France à deux étages qui se dessine à l’horizon : La France des français sans conditions et celle des français avec des  conditions, sous réserve ou sous contrôle. C’est vraiment du gâchis.

Je me suis installé en France avec l’incertitude du lendemain. Vingt après, j’ai pu donner un sens à ma vis mais ce sont hélas mes enfants qui vont devoir vivre dans cette incertitude pesante.

Cette fois ci, je ne peux vraiment pas t’aider, lui rétorquai-je, je ressens exactement la même chose que toi.

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