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La foi et la loi

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Il est peut-être temps, maintenant que les démons se sont tournés vers d’autres horizons, de parler avec un peu de sérénité des évènements qui ont occupé le devant de la scène politique française ces derniers mois. Que de personnes ont été blessées dans leur honneur, leurs âmes et leur dignité par des propos insensés et insultants ! Je pense surtout à ces femmes, nos mères, nos femmes et nos sœurs, si courageuses qui subissent, jour après jour, et épuisent longtemps déjà, des actes discriminatoires et des vexations. Puisse Dieu les récompenser pour leur patience.

Que de salive et d’encre ont coulé ! Que de contre-vérités ont été dites sur la question du « foulard islamique », et que de passions se sont déchaînées ! Que d’ignorants se sont exprimés sur cette question et ont manqué une bonne occasion de se taire ! Comme si, quand il s’agissait d’islam, on n’a nul besoin de savoir ni d’apprendre, encore moins d’avoir tant soit peu d’honnêteté intellectuelle. Malgré tout, ce non-évènement pourrait être bénéfique, si Dieu le veut, à ceux qui en tireront quelques leçons.

Je m’adresse aux musulmans de France, les premiers concernés, même si innombrables ont été ceux de l’étranger qui sont sensibles à notre peine, parce que conscients qu’ils étaient que le « problème » soulevé dépassait le cadre franco-français, et fidèles aux dires prophétiques tels que « quiconque constate un fait blâmable doit intervenir pour le corriger, soit par main, s’il en est capable, soit par la parole ou, à défaut, qu’il le désapprouve en son for intérieur. C’est là le plus faible degré de la foi »1 et « les croyants ont de l’amour, de la compassion et de la sollicitude les uns pour les autres. Ils sont comparables au corps vivant. Quand un de ses organes se plaint d’un mal, tout le corps répond par la fièvre et l’insomnie » 2. Nombreux ont été les musulmans de France à protester contre la mesure d’interdiction de signes religieux à l’école publique. Puisse Dieu les en récompenser et leur faire miséricorde. Des lettres ont été envoyées à certains responsables politiques, et non des moindres. De nombreux articles ont été publiés dans la presse écrite et sur Internet. Des manifestations ont eu lieu dans la rue, et certains ont participé à des débats à la télévision, si tant est qu’on puisse qualifier ainsi ce qui ressemblait plus à des tribunaux. Et puis…la loi a été votée, comme attendue.

Après la mobilisation, certains ont même oublié que des êtres continuent de souffrir, que les blessures tardent à se refermer et que le « problème » demeure. On compte parmi ceux-là les musulmans qui ont trouvé là une belle occasion de se donner bonne conscience, en mettant sur le dos de la loi, le fait que certaines sœurs ne pourront plus témoigner de leur attachement à l’islam dans l’espace public. La majorité avait déjà accepté, souvent à contrecœur, d’abandonner le foulard à la porte de l’école. Sont également concernés ceux qui, dans une interprétation arrangeante (mais pour combien de temps encore car la vie est courte), disent que le « hijab » » est une pratique des temps anciens, destinée certes à protéger la femme d’antan, mais aujourd’hui remplacée par l’instruction à l’école. Dieu sait mieux que quiconque s’égare de Son Chemin ! L’on sait pourtant que la question du « hijab » a été tranchée et son obligation fait l’unanimité des savants musulmans. A ceux qui portent la foi et qui ne songent pas à la brader à vil prix, qui sont convaincus que Dieu est Le Tout Sage et sait ce qui est, sera et a été, qui savent qu’Il ne fait que Le Bien et n’ordonne que Le Bien, avec ceux-là, j’aimerais partager quelques réflexions.

Si le débat à propos des « signes ostentatoires » qui ne visait que la question du « hijab », car personne n’est dupe, a réveillé les vieux démons , c’est que la communauté n’avait pas, à de très rares exceptions près, de solutions alternatives à proposer à celles qui ont choisie, sans contrainte et en toute connaissance de cause, d’être fidèles aux préceptes de leur religion, au risque de déplaire au monde entier, à commencer parfois par leurs proches. Ceci traduit le manque de projets à moyen et long termes de beaucoup d’entre nous, notre méconnaissance de la société et de l’histoire. En effet, la question du « hijab » n’est pas nouvelle, puisqu’elle s’est posée voilà déjà 15 ans mais nous musulmans n’en avons pas tiré les conséquences. Si les musulmans avaient eu, comme d’autres, le choix entre des écoles confessionnelles et l’école privée, la situation aurait été ce que Dieu, l’Omniscient, Seul sait car Il sait aussi ce qui aurait été si ce qui n’est pas avait pu être. Nous sommes néanmoins responsables de ce que nous avons négligé d’entreprendre. Il n’est peut-être pas trop tard pour remédier à cette situation. Communautarismes ! On n’en parle pourtant pas pour les catholiques, les juifs, les chasseurs, les homosexuels et tous ceux qui partagent des intérêts communs, sauf pour les musulmans.

Quel avenir pour celles qui ont choisi de résister à brader leurs convictions ? Plus de place pour elles dans le service « public ». Alors, hormis « le meilleur métier du monde », mère au foyer, il leur reste celui de femme de ménage, caissière dans une des supérettes ou boucheries « hallal » de banlieue. Que ne rivaliserons nous pas d’initiatives pour donner à ces femmes le respect qu’elles méritent ! Femmes sacrifiées ? Peut-être. Il y a des moments de l’histoire où le sacrifice est nécessaire pour un avenir meilleur. Pays de droits, la France, plus que beaucoup d’autres pays, offre une garantie aux citoyens en matière de libertés ; mais, connaissant peu l’histoire et les lois de ce pays, certains ont profité de la polémique suscitée par la question du « hijab » pour s’adonner à des pratiques illégales, parce que discriminatoires et xénophobes, dans les banques, mairies et autres cabinets médicaux. Il nous appartient aujourd’hui de connaître nos droits et devoirs, de former des cercles de réflexions afin de lutter contre toutes les injustices car, au-delà de la question des discriminations, Dieu n’aime pas l’injustice ;

Plus important est la compréhension de l’islam. Aurait-on oublié que la sincérité de la foi est à prouver ? « alim, Lâm, Mîm. Les hommes pensent-ils qu’il suffit de dire ’nous croyons’ pour être tranquilles et échapper (ainsi) aux épreuves ? Nous avons certainement éprouvé leurs prédécesseurs dans la foi afin que Dieu distingue les véridiques des menteurs »3. « Pensez-vous entrer au Paradis avant que Dieu n’ait éprouvé votre foi, comme Il l’a fait pour ceux qui vécurent avant vous ? Misère et maladie les avaient touchés et furent secoués au point que le Messager et les croyants avec lui s’interrogeaient sur le moment de la délivrance (secours) de Dieu. Certes le secours de Dieu est proche » 4. L’épreuve dont il s’agit ici, est celle liée à la foi, par exemple un ordre divin à appliquer ou le fait de subir un événement fâcheux dont on n’est pas responsable (maladie, mort d’un proche, échec, etc…). Mais, en aucun cas, il ne s’agit de conséquences de nos actes malveillants. Les épreuves sont fonction de la foi et les plus éprouvés ont été les prophètes, puis ceux qui les ont suivis. Le prophète, béni soit-il de Dieu, a dit : « la grandeur de la récompense va de pair avec la grandeur de l’épreuve. Dieu, Le Très-Haut, quand Il aime un peuple, les éprouve. Celui qui accepte l’épreuve avec abnégation aura la Satisfaction de Dieu, et celui qui lui oppose son mécontentement, Dieu sera mécontent de lui ».5 Si l’épreuve que nous venons de subir répond à la définition de celle liée à la foi, et non un signe de la colère divine, que les musulmans de France aient été choisis par Dieu pour être éprouvés est une faveur qui mérite le remerciement.

Lirait-on si peu souvent le Coran pour se laisser surprendre par l’ampleur de l’opposition, que Dieu a voulue permanente entre La Révélation et la vérité, qu’elle contient et rappelle la non croyance qui ne repose que sur la spéculation et donc constamment soumise à l’erreur ? Les récits coraniques témoignent de la constance de la lutte acharnée que se livre les deux partis : les partisans de la cause divine et ceux de Satan. Dieu a également voulu que les seconds soient plus nombreux dans ce bas monde, aient plus de richesses matérielles que les premiers. Les hôtes du Paradis seront cependant satisfaits de leur récompense pour prix de leur patience et de leur persévérance. L’écrasante majorité des humains (99,9%) saura alors que la vérité n’est pas, loin s’en faut, une question de nombre et aura comme récompense ce qu’elle traitait de mensonge.

Dans le contexte de l’épreuve liée à la foi, c’est dans la prière, la patience et l’adoration en général que le croyant trouve le réconfort, à l’exemple du prophète de Dieu, qui se réfugiait systématiquement dans la prière chaque fois qu’il était éprouvé dans sa foi. Dieu dit : « et chercher de l’aide (au près de Dieu) dans la patience et la prière ; certes la prière est une chose difficile à exécuter (lourde), sauf pour les humbles qui ont la certitude de rencontrer leur Seigneur et de retourner à Lui » 6 Il l’ordonne aux croyants en ces termes « Croyants, prenez aide dans la patience et la prière ! Dieu est avec les patients » 7

 

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Dans la période qui nous concerne, je n’ai pas lu beaucoup d’articles incitant à invoquer Le Tout-Puissant. Cela va certainement de soi, mais c’est encore mieux de le dire ou le rappeler. La question que je me pose, à tort peut-être, est donc : combien d’entre nous avons inclus une invocation spécifique dans leurs prières obligatoires ou nocturnes ? Et pourtant, c’est l’arme par excellence des croyants, spécifique et à efficacité prouvée et garantie. Quant à la patience, Dieu promet une récompense énorme aux croyants qui, dans l’épreuve, patientent et affirme à ce sujet « Dis (à) Mes serviteurs croyants de craindre leur Seigneur. Le meilleur est réservé pour ceux qui ont œuvré dans ce monde pour le bien ; et la terre de Dieu est vaste. Certes, une récompense sans limite sera accordée aux patients (dans l’épreuve) ».8. Le prophète de Dieu (que Dieu le bénisse) nous l’enseigne aussi : « Etonnante (extraordinaire est la situation du croyant ! Il ne lui arrive que du bien. Il remercie Dieu quand un évènement heureux lui arrive, et c’est là pour lui un bien, et patiente endure avec patience lorsqu’il est victime d’un malheur, et c’est là encore un bien ».1 Il précise les catégories d’épreuves concernées et la récompense en disant « Pas une fatigue ou une maladie, pas un souci ou une peine, pas un mal ou une angoisse ne touche le musulman, jusqu’à (la douleur ressentie lors de) la piqûre d’une épine, sans que Dieu ne lui efface, à cause de cela, une partie de ses péchés » 2 Je regrette sincèrement que la question de la pratique religieuse, notamment la plus importante de toutes, qui est la prière en son temps sur le lieu de travail et celle du Vendredi, n’aie jamais été évoquée officiellement par les personnes désignées pour nous représenter et incluse dans la Charte de la « Consultation ». Cette question a pourtant a été résolue dans d’autres pays européens. La formation des imams, les carrés musulmans et autre viande « hallal » n’ont de sens que pour ceux qui tiennent fermement à Dieu. Ceux-ci se recrutent parmi ceux qui sont assidus à la prière. La génération présente et les générations futures de musulmans d’ici ont du pain sur la planche. Et c’est tant mieux ! Que Dieu les assiste.

Deux groupes de musulmans existeraient en France, et certainement ailleurs, à propos du « hijab » et, plus généralement, au sujet de la pratique religieuse. Le premier de ces groupes, considéré comme majoritaire, pratiquerait un islam « moderne » que certains appellent « apaisé ». Le second groupe serait fondamentaliste, confondant le 7ème siècle et le 3ème millénaire de l’ère grégorienne, et voudrait appliquer l’islam comme il a été révélé. Cette distinction n’a pas de sens aux yeux de l’islam qui se veut un lien entre l’homme, pris individuellement, et son Seigneur, donc intemporel. C’est confondre la lettre et l’esprit. Considérant que c’est la même religion qui fut révélée aux différents prophètes (que Dieu les bénisse) dépuis l’aube des temps, l’islam se veut une religion ouverte et simple à vivre, avec peu d’éléments statiques. Parmi ceux-là, on trouve le dogme intransigeant de l’unicité divine, les piliers de la religion et la morale. C’est dans ce dernier cadre que se situe la question du « hijab » qui est bien plus qu’un foulard. C’est toute une attitude respectueuse vis-à-vis de soi-même et à l’égard des autres. Je ne connais pas de divergences entre les savants musulmans à ce sujet. Négliger un de ses éléments statiques touche à la foi, mais en nier l’obligation après en avoir été informé, preuves à l’appui, l’annule. On peut dire qu’en ce qui concerne ces piliers, l’islam n’est pas un supermarché ou un « self service » où l’on prendrait ce qui nous arrange et en ferait une sauce à notre goût. La France, comme chaque pays, a ses traditions, ses us et coutumes, et la pratique musulmane doit en tenir compte en adaptant les éléments dynamiques de la foi musulmane mais, en aucun cas évoluer vers une négligence des piliers de la religion sous prétexte qu’ils sont de l’ordre du privé. Ainsi, au travers de la question du « hijab », c’est bien toute une conception de la religion et de la vie qui est posée. Que restera t-il de l’islam si l’on nie un de ses piliers ? Que nous demandera t-on d’abandonner après le « hijab » ? Des compromis peuvent être souhaitables, parfois même indispensables pour être fidèles à l’esprit de l’islam, mais pas des compromissions qui nous feraient perdre l’âme et changer de religion ;

Si la question des manifestations de rue a fait l’objet de beaucoup de débats, parfois passionnels, rarement la légitimité de son organisation et de ses organisateurs a été discutée. Or, en cette matière, comme dans tout ce qui concerne l’islam, la question centrale est de revenir aux sources. Et là, on apprend que les connaisseurs sont à consulter en priorité. Dieu dit « Quand leur parvient une nouvelle rassurante ou alarmante, ils la diffusent ; s’ils la rapportaient au Messager et aux détenteurs de l’autorité parmi eux (ceux qui savent), ceux d’entre eux qui cherchent à être éclairés auraient appris (la vérité). Et n’eussent été la Grâce de Dieu sur vous et Sa Miséricorde, vous auriez suivi Satan, à part quelques-uns uns » 9 Or, force est de constater que la consultation des savants de l’islam et, à défaut, des imams de la communauté, n’a pas été un réflexe. Le problème, bien que politique, méritait une solution religieuse. Deux choses sont recommandées aux musulmans par les connaisseurs, car celui qui les pratique est toujours gagnant : demander conseil (’Annaciha’) et la prière de ’consultation de Dieu’ (’al Istikhara’). Le minimum qu’on obtient en les pratiquant est la satisfaction de Dieu. Si les plus écoutés en matière d’islam en France sont le plus souvent des « administratifs » triés sur le volet, il était et reste de la responsabilité des musulmans de tout temps et en tout lieu, de s’organiser en fonction de ce que leur dicte leur conscience, et non en fonction de leurs nationalités ou de calculs bassement matériels. Ici, comme dans le processus d’organisation des musulmans en France, les imams et leurs associations, tant au niveau local qu’à l’échelle nationale, portent une grande responsabilité devant Dieu. Pourquoi autant de querelles pour une autorité virtuelle sur une communauté virtuelle ou une renommée ?

Si nous tirons ces leçons, et bien d’autres encore, de ce que nous venons de vivre, il se peut que Dieu, dans Sa Miséricorde infinie, fasse naître dans la communauté une réelle vision et des perspectives d’une présence musulmane choisie par beaucoup mais assumée par très peu d’entre nous. C’est à ce prix, je crois, que nous serons gagnants, dans ce monde et dans l’autre, et que nous remplirons la lourde mission que nous avons acceptée d’assumer notre vie durant : témoigner de la vérité, envers et contre tout, au prix parfois de sacrifices indispensables, dans la dignité et l’exemplarité.

Que Dieu assiste et aime tous ceux qui ont choisis de Lui plaire et guide vers Son chemin ceux qui n’ont pas encore découvert le bonheur d’être soumis à Dieu et à Lui Seul.

 

Notes :

 

1 Dire prophétique rapporté dans le recueil de Mouslim ;
2 Dire prophétique rapporté dans les recueils de Al-Boukhari et de Mouslim ;
3 Sens des versets 1 à 3 de la sourate 29 du Coran ;
4 Sens du verset 214 de la sourate 2 du Coran ;
5 Dire prophétique rapporté dans le recueil de Tirmidhi ;
6 Sens des versets 45 et 46 de la sourate 2 du Coran ;
7 Sens du verset 153 de la sourate 2 du Coran ;
8 Sens du verset 9 de la sourate 39 du Coran ;
9 Sens du verset 83 de la sourate 4 du Coran.

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