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« La désintégration » : quand Mohamed Sifaoui fait son cinéma

78 minutes et 8 euros : c’est le prix à payer pour découvrir « La désintégration », film réalisé par Philippe Faucon. Le sujet ? Un trio de jeunes musulmans lillois est peu à peu embrigadé dans un obscur groupuscule islamo-terroriste afin de commettre un attentat contre le siège de l’OTAN à Bruxelles. Le personnage principal est incarné par le comédien Rashid Debbouze,  « frère de », ex-délinquant ayant abandonné ses études au collège et désormais  adepte pratiquant du « djihad » intérieur, ce « combat contre ses démons ».

Encensé par Le Monde, France info, France 2, Le Figaro, La Croix ou  la Revue du Spectacle, le film a également été critiqué pour son simplisme caricatural par LibérationSlate Afrique, La Voix du Nord mais aussi -et surtout- par de nombreux musulmans de la communauté urbaine de Lille, agacés de se voir ainsi représentés.  Le discret réalisateur, spécialisé dans les films traitant de l’identité franco-maghrébine, affirme, quant à lui, vouloir pointer du doigt, dans son souci à l’égard des « enjeuxdu présent », l’émergence d’un « extrémisme » issu des « souffrances sociales ». Mieux encore, Philippe Faucon confirme avoir soumis le scénario aux responsables musulmans de Lille. Il omet pourtant de relater le mauvais accueil, en définitive, des habitants de Lille-Sud ainsi que celui des membres de l’association locale en charge de la mosquée. Ces derniers ont font connaître le mystère entretenu par l’équipe de tournage à propos du message du film. Méfiants, ils ont refusé de collaborer avec la société de production.

A l’origine du projet, il y a deux producteurs débutants, Yves Chanvillard et Nadim Cheikhrouha. Ils ont contacté Philippe Faucon et lui ont proposé, pour un budget final de 1,6 millions d’euros, la trame de l’histoire. Inconnus dans l’industrie cinématographique, le tandem bénéficie néanmoins  de « connexions secrètes », selon le réalisateur, pour obtenir rapidement et facilement l’autorisation de tournage devant le siège de l’OTAN. Quant au second producteur, il est également le co-responsable d’un documentaire franco-israélien au titre éloquent : «  Would you have sex with an Arab ? ».

La signature de Sifaoui

Pour « La désintégration », initialement intitulé « Un fils perdu » ou « Kamikaze », le scénario a été confié à Eric Nebot puis remanié par Philippe Faucon avec l’assistance de Mohamed Sifaoui. Ce dernier est un célèbre auteur algérien qui s’est fait remarquer pour ses enquêtes alarmistes sur la dangerosité -réelle, supposée ou fantasmée- du terrorisme islamiste.

Il a ainsi prétendu, sans preuve, avoir réussi à infiltrer la mouvance terroriste d’Al-Qaïda. Qualifié d’ « intellectuel faussaire » par le géopolitologue Pascal Boniface, Mohamed Sifaoui a vu sa carrière médiatique relancée en 2007 à travers la diffusion, sur Arte, d’un documentaire hagiographique produit par Daniel Leconte et réalisé par l’essayiste néo-conservateur Antoine Vitkine.

Sur son blog, le polémiste algérien, qui se présente dorénavant comme un « journaliste, écrivain, réalisateur et accessoirement scénariste de BD », affirme avoir eu du « plaisir à travailler » sur « La désintégration », film qui traite, selon lui, du« processus d’endoctrinement de l’islamisme djihadiste » à partir de« faits réels ».

OTAN, suspends ton char !

Réaliste, ce film de fiction d’à peine 78 minutes sur le passage à l’acte terroriste ? Dans sa forme visuelle, épurée et sèche, probablement. Dans le fond, il n’en est rien. Tout indique, au contraire, que l’équipe du film, par manque de moyens, d’ambition scénaristique ou d’honnêteté intellectuelle, a abandonné l’approche du réel au profit de la schématisation manichéenne à outrance. Dans l’histoire, par exemple, tout discours politisé -à savoir la critique de la politique étrangère américaine ou celle du racisme structurel de la société française- s’avère être une caractéristique commune aux personnages présentés comme dangereux. Ainsi en va-t-il du leader islamo-terroriste, sorte de gourou diabolique à la voix éternellement basse et monocorde.

http://youtu.be/iOA1Nv9s9Z8

A l’inverse, les « bons citoyens» n’expriment aucune critique politique ou sociétale structurée, qu’il s’agisse de la mère résignée, du père agonisant ou du grand frère plein de bonne volonté.

Quant à la dénonciation coléreuse et légitime de la discrimination à l’embauche, elle semble être le signe précurseur d’un basculement inéluctable dans l’intégrisme si l’on en juge par l’itinéraire ultérieur emprunté par le héros du film.

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Par ailleurs, si l’on en croit les scénaristes, il suffit de quelques séances d’entraînement dans les bois pour devenir un guerrillero kamikaze et parvenir jusqu’aux portes de l’OTAN.

 

A défaut de relater sur grand écran le parcours, autrement plus intéressant, de Khaled Kelkal ou Zacarias Moussaoui , Philippe Faucon a préféré apporter sa caution d’humaniste de gauche -pétri de bons sentiments- à une commande politico-artistique qui consolide, in fine, les préjugés islamophobes entretenus par cet arc idéologique regroupant la droite sarkozyste, le Front national, la gauche ultra-laïque et la mouvance anglo-saxonne des néo-conservateurs.  Avec un budget équivalent et un scénario confié à des mains plus délicates, un film évoquant les méandres de l’exclusion sociale, la variété de l’engagement religieux ou les instrumentalisations politico-policières du terrorisme aurait été envisageable. Un regard  nuancé et décalé, soutenu par une équipe audacieuse, aurait pu donner à voir quelque chose de plus éclairant -et divertissant- sur un sujet aussi complexe.

Bouffons du roi ou mines patibulaires

C’est sans compter la tiédeur du cinéma hexagonal, davantage enclin à récompenser les films traitant de la banlieue quand ceux-ci se soumettent au jeu de la caricature, tantôt redoutable, tantôt inoffensive.  Dans le vacarme médiatique suscité par le succès d’ « Intouchables », aucun journaliste de la presse écrite et audiovisuelle n’a ainsi songé à demander aux réalisateurs Olivier Nakache et Eric Toledano  pourquoi ils n’avaient pas confié le rôle de l’aide à domicile –d’origine algérienne– à un acteur également issu du Maghreb. Dans « La désintégration », l’image du jeune Arabe est principalement celle d’un jeune gars renfrogné. A l’inverse, « Intouchables » n’a pas hésité à exploiter sans retenue le stéréotype  « Y a bon Banania »du clown africain, toujours prêt à s’esclaffer de rire. Nulle surprise, dès lors, à constater le reproche du racisme par la critique américaine, hostile au cliché du « Magical Negro », à l’encontre du film -malgré son acquisition par l’influent Harvey Weinstein.

En toute logique, le comédien Omar Sy n’a pas démérité en remportant, pour sa prestation « politiquement correcte », le César du meilleur acteur -contrairement à son alter ego jamais oscarisé d’outre-Atlantique, un certain Eddie Murphy.

https://www.youtube.com/watch?v=fjqthfe4LYo

Albert Einstein avait vu juste : la « désintégration » des préjugés -y compris ceux du cinéma français de 2012- est plus difficile à atteindre que celle d’un atome.

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