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La dernière guerre de religion et Henri IV

Notre parcours dans cette évocation du face à face de l’Etat français et des religions minoritaires nous a conduits à la date de 1585. Henri de Navarre, futur Henri IV, est alors le successeur légitime au trône de France depuis la mort récente de François d’Anjou frère du roi sans enfant Henri III. Un édit royal de rejet des protestants a été imposé au début de l’été à Nemours et, dans les mois qui suivent, éclate la huitième guerre de religion, la plus longue de toutes. Pourtant, lors de cette décennie d’affrontements, un débat très riche sur l’appartenance religieuse, la place de la religion dans l’Etat, la nature du pouvoir royal, installe dans les mentalités des principes et des pratiques à l’origine de bien de nos concepts contemporains.

Les positions d’Henri IV, roi protestant d’une France catholique.

C’est au cours de cette dernière phase de ce qui est en fait une guerre de trente six ans que le futur Henri IV lance à Châtellerault, le 4 mars 1589, un manifeste pour l’union et la concorde où il affirme que l’unité religieuse ne peut être imposée par la force, qu’il ne se convertira pas dans l’immédiat au catholicisme, qu’il ne convertira pas les français par la force, qu’il garantira une entière liberté religieuse aux catholiques et respectera et ménagera le clergé.

Le 2 août Henri III est assassiné et Henri de Navarre est roi de France mais il faudra attendre encore neuf ans pour que les dispositions de bon sens dans lesquelles il se trouvait puissent passer dans la réalité d’un acte réglementaire.

Au demeurant, il se positionnait, dans son manifeste du 4 mars 1589 comme un roi protestant régnant sur un pays catholique pensant peut être qu’il avait le temps devant lui pour gagner les esprits.

Nouvelle situation, nouveau débat théorique.

Quoi qu’il en soit, les assurances qu’il donne nourrissent un débat qui avait commencé dès qu’il se trouva héritier du trône de France.

En effet, la polémique sur la liberté religieuse concerne désormais celle du roi comme elle avait concerné les sujets du royaume depuis des décennies. Un précédent existait sur ce point en Europe, celui de la paix d’Augsbourg, du 3 octobre 1555 qui accordait aux princes d’Allemagne la possibilité de choisir entre le catholicisme et le protestantisme et d’imposer leur choix à leurs sujets suivant le principe “ cujus regio ejus religio ”.

Les ultra catholiques français soutenaient un adage semblable ; “ une foi, une loi, un roi ” étant entendu que foi, loi et roi ne pouvaient être que catholiques et qu’il appartenait au peuple catholique de s’opposer et de déposer un roi hérétique. Les ultras protestants n’existaient pas en France et personne n’entendait y imposer la religion réformée à l’ensemble du pays. Il s’agissait simplement pour une minorité religieuse de vivre en sûreté. Donc, hors des extrêmes, les écrits sont en général favorables à Henri IV mais de diverses manières.

“La vraye et légitime constitution de l’Etat”, premier pas vers une conception laïque.

L’auteur inconnu de “ La vraye et légitime constitution de l’Etat ” paru en 1591[1], postule que religion et Etat obéissent à des logiques différentes et que si l’Etat ne peut imposer la religion, la religion ne peut gouverner l’Etat. En conséquence, il convient que ce dernier se règle lui même par de bonnes lois pour mettre fin à l’anarchie et ensuite exerce la police de la religion dont l’ordre dépend de la puissance des princes. L’ouvrage précise également que la religion du prince ne doit pas entrer en ligne de compte mais que le prince ne peut imposer sa religion à son peuple.

La légitimité d’Henri IV est incontestable.

Un conseiller au Parlement, Guillaume du Vair, fait paraître, en 1592, une “ Exhortation à la paix ”. Catholique, il ne conteste nullement les droits d’Henri IV à la couronne mais considère sa conversion comme la solution de bon sens qui “ lève l’occasion de la guerre ”.[2]

A Toulouse, Pierre de Belloy présente une argumentation juridique en 1585 dans son “ Apologie, catholique contre les libellés, déclarations… publiés par les Ligues perturbateurs du royaume de France ”. Il défend la légitimité d’Henri IV au trône de France et considère que le pays peut parfaitement avoir un roi calviniste, faisant confiance à ce dernier pour admettre deux religions dans le pays, contrairement aux souverains protestants d’Angleterre et de Scandinavie.

Le point de vue catholique.

Dans la mesure où Henri IV avait été déclaré illégitime en 1585 par le pape Sixte Quint et déchu en 1591 par le pape Grégoire XIV, les milieux catholiques gallicans, jaloux de l’indépendance de l’Eglise de France, avaient tendance à affirmer que le roi disposait d’une autonomie politique totale vis à vis de Rome et ne pouvait, en tant que souverain temporel, être déchu par le pape, fût ce sous prétexte d’hérésie. Cette affirmation menait à désarticuler la fonction séculière du roi de France de sa fonction sacrée de gardien de la foi et de thaumaturge. C’était un premier pas dans la désacralisation de la fonction royale et de l’acte de gouverner. Sauf pour les ultra catholiques, la fonction religieuse du roi de France cédait le pas à la fonction temporelle de rassembleur de la nation et de garant de la paix civile, fonction qui, en tant que telle, légitimait à cette époque chez de nombreux esprits, les droits régaliens exercés par le roi et ceux qui gouvernaient en son nom. Quant à ce qui légitimait, du point de vue religieux, dans une nation bi confessionnelle, le monopole de la violence légitime sans quoi l’on ne gouverne pas, ce pouvait ne plus être le statut de “ fils aîné de l’Eglise ” du roi de France mais une fonction de “ protecteur ” des religions qu’Henri IV exerçait déjà à l’égard des protestants de France et qui s’avérait d’autant plus nécessaire, comme droit et devoir régaliens que la déconfessionnalisation de la fonction royale était plus nette.

Le point de vue protestant.

Du côté protestant la conversion du roi est peu envisagée et le concept de tolérance civile est mis en avant au profit des catholiques qui n’ont nullement à craindre, de la part d’une personne comme Henri IV, la moindre atteinte à leur liberté religieuse. Au demeurant, c’est chez les protestants que l’idée d’une réconciliation religieuse, unissant dans une même foi les adeptes des deux doctrines, est désormais envisagée. François de la Noue dans ses “ Discours civils et militaires ” parus à Bâle en 1587, et sa correspondance personnelle, prône la liberté de conscience et de religion, la concorde entre citoyens d’une même cité et garantit la loyauté et la tolérance de son maître à l’égard des catholiques. Il exprime sa gêne vis à vis d’une conversion qui pourrait ne pas être sincère et son espérance qu’un jour les Français puissent être réunis dans une même foi.

C’est dans les mêmes dispositions que se trouve Philippe Duplessis Mornay, ministre des finances du parti protestant dès les années 1580 et conseiller d’Henri de Navarre. Auteur d’une “ Remontrance des Estats pour la paix ” en 1576, il prônera toujours la liberté de religion et la tolérance civile en gardant le souhait que l’unité religieuse de la France soit un jour rétablie à la suite d’un concile entre catholiques et protestants et il demeurera toujours hostile à la conversion de son maître dont il se séparera après l’édit de Nantes.

La conversion au catholicisme du roi protestant.

C’est pourtant à une conversion au catholicisme que dut se résoudre Henri IV, dans l’impossibilité d’emporter une nette victoire par les armes contre les Ligueurs, devant l’impatience de ses partisans catholiques qu’il craignait de perdre, et face à un pays très majoritairement catholique. Une négociation eut lieu entre douze représentants des Etats Généraux et huit partisans catholiques du roi à partir du 5 mai 1593 à Suresnes. L’abjuration solennelle eut lieu à la Basilique Saint Denis le 25 Juillet 1593, le sacre à la cathédrale de Chartres le 27 février 1594, Reims étant aux mains des Ligueurs. On négocia avec le pape qui accorda enfin son absolution et sa reconnaissance du roi de France le 17 septembre 1595. La guerre civile, doublée de la guerre avec l’Espagne dont des soldats occupaient des villes de France, continua jusqu’à la prise d’Amiens le 25 septembre 1597 et la paix de Vervins le 2 mai 1598.

L’édit de Nantes.[3]

Deux semaines auparavant avait été signé l’Edit de Nantes, le 13 avril 1598.

Un travail préalable.

Cet édit faisait suite à un travail de réflexion et de consultation. Du côté des protestants, des représentants des Eglises réformées s’étaient réunis à Mantes au mois de décembre 1593 et avaient été reçus par le roi. Du côté catholique, l’assemblée du clergé s’était résolue à ne plus combattre par la force ce qu’ils appelaient hérésie.

On aboutit ainsi au rétablissement de l’édit de Poitiers de 1577 par l’édit de Saint Germain du 15 novembre 1594 et, au terme de trois années et demi, à l’édit de Nantes. Cependant, les clauses de l’édit de Beaulieu (voir l’article précédent), qui reste le traité le plus favorable aux protestants, ne sont pas reprises dans leur esprit et l’on peut dire que l’édit de Nantes, datant de 1598, est probablement moins audacieux dans la tolérance qu’un texte de 1576.

Le traité reprend les mêmes points que ceux qui ont été abordés par l’ensemble des édits précédents depuis que la religion protestante est prise en considération autrement que comme une hérésie à éradiquer par la force, c’est à dire depuis l’Edit d’Amboise du 2 mars 1560.

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Un acte juridique à l’aboutissement d’une époque.

Le contenu de l’édit de Nantes est pour une bonne part un accord politique et militaire. Pourtant, l’esprit de tolérance en tirera grand profit et l’on peut dire que c’est de cette époque, pourtant troublée de conflits religieux que date le premier effort intellectuel en Europe pour penser des relations sereines avec une minorité religieuse. Ainsi, l’idée de la liberté de conscience est un acquis depuis une quarantaine d’années chez la plupart des esprits éclairés.

En revanche la liberté de culte se mesure et s’administre, parce que le culte est ce qui demeure le plus visible par la puissance publique. De ce fait il faut organiser le réel avec des lieux et des agents. Les lieux sont les lieux de culte et les endroits où ils peuvent s’établir. Les agents sont ce que l’on appellera les “ ministres du culte ”. La terminologie durera jusqu’à l’époque contemporaine puisqu’un protestant, frère de pasteur et collaborateur d’Aristide Briand en 1905, Louis Méjan[4], la ressuscitera pour désigner le clergé catholique.

Elle est reprise aujourd’hui dans le débat sur la représentation de l’islam face à une puissance publique qui a besoin, par ce qui n’est pas un paradoxe si surprenant, de cléricaliser une religion sans clergé pour la rendre contrôlable.

Dans l’Edit de Nantes la liberté de culte est accordée de manière tout à fait inégalitaire. Elle est d’abord concédée sans restriction dans les fiefs des seigneurs hauts justiciers. Elle est accordée ensuite là où le culte protestant s’effectuait au 1er août de l’année précédant l’édit, puis là où l’édit de Poitiers l’avait autorisée en 1577 et enfin, dans deux localités par baillage.

La construction des temples était permise dans certaines limites. Consistoires, synodes, assemblées diverses étaient autorisées, tous les droits civils étaient garantis et des tribunaux composés à égalité de juges protestants et catholiques étaient créés dans quatre villes. Enfin, plus de cent places fortes étaient attribuées aux protestants, ce qui représentait une limite territoriale à la souveraineté royale.

Quant au culte catholique, il est rétabli dans tous les lieux du royaume sans exception et se réanime donc dans les pays où les protestants étaient dominants.

Rien de nouveau donc, par rapport à ce que l’on était prêt déjà à concéder vingt ans auparavant dans ce pacte qui met fin aux guerres de religion, sinon qu’un roi peut enfin donner force à la loi.

Un acte d’autorité

Ce texte est donc un acte d’autorité authentique du roi qui l’imposera lui même à un Parlement de Paris récalcitrant et le fera imposer sur le territoire par des “ commissaires de l’Edit ”.

Un tel acte d’autorité, préparé par de bonnes négociations, imposant une règle écrite sur les modalités d’exercice d’une religion différente est d’abord un bon travail juridique, réglementaire et constituant, dans une tradition qui date de Philippe le Bel et durait encore à l’époque de la loi de séparation de 1905.

Il récuse avant tout la conception médiévale collective de l’appartenance religieuse et lui substitue la conception moderne de l’exercice religieux individuel et son corollaire obligé qu’est le concept de liberté de conscience.

Il substitue également à l’exigence d’unité religieuse, issue du Moyen Age, mais toujours présente dans tous les Etats d’Europe, l’exigence d’ordre au nom de laquelle s’exercera de plus en plus clairement l’autorité de l’Etat sur la différence religieuse. Il n’en est pas moins vrai cependant que le roi est désormais catholique et qu’il donne toute son importance à ce qui est la principale puissance idéologique du temps, l’Eglise catholique.

 


[1] BN L635 404

[2] In Actions et Traités oratoires de G. du Vair, éd. critique de R. Radouant, Paris, 1911, p. 99

[3] Voir l’édit de Nantes sur le site des éditions de l’Ecole des Chartes mentionné dans l’article précédent http://elec.enc.sorbonne.fr/editsdepacification/index.php

[4] (1874-1955) il était fils et frère de pasteurs. Haut fonctionnaire, principal collaborateur d’Aristide Briand dans la rédaction de la loi. D’autres protestants on joué un grand rôle dans le débat sur la séparation des Eglises et de l’Etat, comme le député de la Charente inférieure Eugène Réveillaud (1851-1935), d’une famille d’instituteurs et converti au protestantisme en 1878. On peut citer aussi Francis de Pressensé (1853-1914), défenseur de Dreyfus, pacifiste et président de la Ligue des droits de l’homme entre 1903 et le début de la Grande Guerre, député du Rhône et auteur d’une proposition de loi de séparation dès 1903. On peut citer l’ancien théologien protestant et grand pédagogue laïque, prix Nobel de la paix en 1927, Ferdinand Buisson (1841-1932), ancien collaborateur de Jules Ferry qui le nomme directeur de l’enseignement primaire au ministère de l’Instruction publique en 1879 ; pacifiste, il participe à la création de la Ligue des droits de l’homme dont il est président après Francis de Pressensé, jusqu’en 1926. On peut également évoquer Raoul Allier (1862-1939), pasteur et professeur à la faculté de théologie protestante de Paris, qui conduit dès 1904 une enquête dans le journal « Le siècle », où il défend le principe d’une loi de séparation raisonnable et intelligente, contre les orientations antireligieuses de la laïcité anticléricale extrémiste.

 


Cette analyse en sept parties, à partir de brefs rappels historiques, tentera de retracer l’évolution des manières d’administrer la différence religieuse dans notre pays, marquées par une très longue domination idéologique de l’Eglise catholique et par une exigence constante d’autonomie de l’Etat royal, et des régimes qui lui ont succédé, à l’égard des autorités centrales de cette Eglise.

  1. La minorité religieuse et son traitement au Moyen Age ;
  2. La Renaissance et les guerres de religion ;
  3. La dernière guerre de religion et Henri IV ;
  4. L’Etat royal et les minorités religieuses de l’Edit de Nantes jusqu’à la Révolution ;
  5. La Révolution et l’Empire face aux religions ;
  6. De Napoléon à nos jours ;
  7. Les structures de la relation entre spirituel et temporel en France.
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