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La conférence de Téhéran et les Faurisson pro-israéliens

La conférence sur le génocide hitlérien organisée par Téhéran a provoqué, comme il fallait s’y attendre, une avalanche de protestations indignées. Opération médiatique, cette initiative provocatrice visait, de toute évidence, à orchestrer une surenchère symbolique. Dans l’affrontement verbal avec l’Occident, le régime iranien s’en est pris à l’un de ses principaux tabous. Et après la crise des caricatures, il a infligé aux Occidentaux les rigueurs de la loi du talion : « vous insultez ce qu’il y a de plus sacré pour nous, alors ne vous étonnez pas si nous faisons de même ».

La cible privilégiée de cette offensive symbolique, évidemment, n’a pas été choisie au hasard. La brutalité de la répression israélienne nourrit quotidiennement le rejet d’Israël au sein du monde arabe et musulman. Mais surtout, l’impunité dont l’occupant bénéficie grâce à la complicité occidentale accrédite l’idée que le remords de l’holocauste équivaut à un blanc-seing. « Aujourd’hui l’Holocauste est devenu une idole pour les grandes puissances, un prétexte pour agresser et menacer les pays de la région », résume Mahmoud Ahmadinejad.

Comment pourrait-on le nier ? La mémoire de la Shoah est devenue, entre les mains d’Israël et de ses alliés, une arme redoutable d’intimidation massive. Elle persuade les Israéliens que la violence qu’ils exercent contre les autres n’est entachée d’aucun opprobre. Elle tétanise toute velléité d’opposition à la politique israélienne au sein du monde occidental. Elle range derechef, du côté du Bien absolu, un Etat juif né en réparation d’un Mal absolu.

C’est cette construction idéologique que l’initiative iranienne a voulu mettre à nu. Comme l’ont souligné ses promoteurs, la conférence visait moins la réalité historique de la Shoah que son usage symbolique au profit d’Israël. Peu importe si le génocide hitlérien a eu lieu sous la forme accréditée par l’histoire officielle. Mais l’événement a fourni une puissante justification morale à l’entreprise sioniste. Soustraite au registre de l’histoire profane, la Shoah a fait de l’Etat juif une entité métaphysique.

La mémoire de cette effroyable tragédie a créé au profit d’Israël un cordon sanitaire infranchissable. Artefact colonial bâti au forceps sur les ruines de la Palestine arabe, Israël est devenu un sanctuaire inviolable, l’éclatant symbole d’une domination légitime, renvoyant ainsi à l’Occident tout entier le reflet narcissique de sa propre supériorité. Au spectacle des conquêtes israéliennes, l’homme occidental est doublement rassuré sur son propre compte : il soulage sa conscience morale taraudée par l’Holocauste, en même temps qu’il tire fierté d’une suprématie qui est celle de la civilisation sur la barbarie.

Naturellement, il était absurde de convoquer un Robert Faurisson à l’appui de cette analyse. Moralement douteux, ce flirt avec le charlatan de Lyon est aussi une erreur politique. En jetant le doute sur l’existence des chambres à gaz, la fable négationniste finit par jeter le doute sur le doute lui-même. Ne reste plus, alors, qu’un champ dévasté où le réel s’évanouit et les mots ne veulent plus rien dire. Qui empêchera d’autres négationnistes, demain, de nier l’existence des 10 000 prisonniers arabes croupissant dans les camps israéliens ?

Habilement soulignée par les médias dominants, cette ambiguïté de la conférence iranienne n’en épuise pas la signification. Mais il est clair que la cause palestinienne n’a rien à y gagner. Cette confusion des genres n’affecte guère sa légitimité, mais elle en brouille singulièrement le message. En un mot, il n’est nul besoin d’accréditer la thèse négationniste pour saper la légitimité d’un Etat qui drape son propre fascisme dans la tenue rayée des déportés.

Outre la question du négationnisme, l’autre question posée par l’initiative de Téhéran est celle de l’antisionisme. Peut-on aujourd’hui prophétiser la disparition de l’Etat d’Israël ? La radicalité du message n’a-t-elle pas un caractère incantatoire ? Faisant fi de ces interrogations, le commentaire dominant utilise exclusivement le registre moral. En jetant l’anathème sur le président iranien, il évacue opportunément la question essentielle : pourquoi Israël est-il le seul Etat dont l’existence, justement, pose problème ?

A cette question, on connaît par coeur la réponse officielle. Théorisée par les intellectuels ayant pignon sur rue, elle tient en un mot : antisémitisme. Mot sésame, mot magique, il dit tout, il condense en un éclair les affres du monde moderne. A peine proféré, il impose la circonspection et paralyse la pensée critique. Brandi comme une menace, il enjoint au silence, comme si quelque chose de terrifiant et de sacré était en jeu, condamnant chacun à surveiller ses propos de crainte de blasphémer.

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Car pour l’idéologie dominante, le refus d’Israël n’a rien de politique, c’est tout simplement une maladie de l’esprit. Masqué sous les oripeaux de l’antisionisme, c’est une forme avérée de sida mental. A proprement parler, il n’y a pas d’antisionistes, mais seulement des antisémites haineux et retors, perpétuellement à l’affût du juif. Grand prêtre de cette nouvelle inquisition, Alain Finkielkraut les voit partout, ces antisémites, il les traque sans relâche, il les bombarde d’anathèmes. A l’instar de BHL, il amasse les royalties d’une notoriété exclusivement fondée sur cette paranoïa auto-entretenue à coups de truismes pontifiants.

Antisémites, les familles palestiniennes de Gaza réduites en cendres par les obus de Tsahal ? Les Faurisson pro-israéliens voudraient que le monde entier s’en persuade. Comme dit l’historien israélien Zeev Sternhell, il est tellement plus facile de dénoncer les antisémites que de se demander comment réagiraient les Israéliens s’ils subissaient, à leur tour, une occupation militaire depuis 40 ans. Ces chars frappés de l’étoile de David, envoyés en terre arabe pour faire régner la terreur au nom de l’Etat juif, ne sont-ils pour rien dans le rejet d’Israël ?

Hors des cercles du parisianisme intellectuel, la disqualification de l’antisionisme par amalgame avec l’antisémitisme, en vérité, n’a aucun sens. Confrontée au monde réel, la condamnation abstraite de l’antisémitisme vire au grotesque : antisémites, les roquettes antichars du Hezbollah, antisémites, les kalachnikovs du Hamas ? L’Etat d’Israël se proclamant un « Etat juif », le combattre fait de vous, aussitôt, un vulgaire antisémite.

Mais que la bande de Gaza soit transformée par Israël en Oradour-sur-Méditerranée ne heurte pas le sens moral des commentateurs occidentaux. Et l’entrée au gouvernement israélien d’un fasciste moldave n’empêche guère les dirigeants européens de lui tirer la révérence. Il y a vingt ans déjà, le professeur Yeshayahu Leibovitz avait qualifié de « judéo-nazie » la politique israélienne. Exit Leibovitz ! Aujourd’hui on a Finkielkraut, aux yeux de qui le mot « apartheid » pour désigner l’occupation israélienne est une obscénité à connotation génocidaire.

La jactance des pourfendeurs de l’antisémitisme est un discours obsessionnel qui a pour seule fonction, de toute évidence, le déni de la réalité. Quant au principal fourrier de l’antisionisme, c’est l’Etat d’Israël lui-même. Est-il si étonnant, d’ailleurs, que le rejet de l’entreprise sioniste prenne désormais un tour radical ? « Lorsque j’ai dit qu’Israël va disparaître, j’ai exprimé ce que les peuples avaient dans le cœur », confesse le président iranien. A qui la faute ? En refusant l’échange de la paix contre les territoires, Israël s’expose délibérément à une guerre interminable.

Obstiné, il instruit à charge son propre procès. Il nie catégoriquement le droit au retour des réfugiés. Il a fait de Jérusalem réunifiée sa capitale éternelle. Il a déclaré irréversible l’implantation des principaux blocs de colonies en Cisjordanie. Il vient de proclamer que l’annexion du Golan syrien, elle aussi, était définitive. Autrement dit, il n’y a plus rien à négocier. Et il faudrait que le monde arabe cesse d’être antisioniste, et renonce à la lutte contre un Etat qui prospère sur sa dépossession …

Dérisoires, les faurissonneries des uns et des autres masquent à peine une réalité qui se laisse voir aux check-points de Cisjordanie, au spectacle du Liban dévasté, dans l’immense bidonville de Gaza : le cœur du monde arabe victime d’un terrorisme d’Etat auquel les puissances occidentales tressent des lauriers, par expiation secrète d’un crime de masse commis il y a soixante ans. Si la conférence de Téhéran a au moins une vertu, c’est de rappeler au souvenir d’un Occident amnésique cette formidable aberration historique.

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