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La conférence de Londres sur la Libye entre interventionnisme militaire et confusion politique

La conférence « internationale » sur la Libye, qui s’est tenue ce mardi à Londres, n’a pas été à la hauteur des attentes de ses principaux initiateurs. D’abord, elle n’a pas réussi à rassembler tous les protagonistes internationaux concernés par la crise libyenne. Parmi les organisations régionales attendues, deux absents de marque : ni le secrétaire général de l’Union africaine, le Gabonais Jean Ping, ni le secrétaire général de la Ligue arabe, l’Egyptien Amr Moussa n’ont répondu présent. Parmi les Etats invités, l’Egypte et l’Algérie, pourtant limitrophes de la Libye, ont décliné l’invitation. Outre les Etats membres de l’Otan et de l’UE, seuls sept Etats arabes sur vingt-quatre ont répondu à l’invitation. Mais l’absence la plus remarquée est celle de la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité, qui a justifié son geste en soutenant que la coalition occidentale a dépassé le cadre de la résolution 1973.

La conférence « internationale » de Londres, qui était censée réparer les fissures apparues dans le camp occidental au lendemain des frappes aériennes contre la Libye, a manifestement enregistré son premier échec, dans la mesure où elle n’a pas atteint le consensus international souhaité par le secrétaire général de l’ONU, lequel a appelé la « communauté internationale » à parler d’une seule voix sur le dossier libyen. Si la coalition « internationale » contre la Libye continue à se cacher derrière la « légalité » de la résolution 1973, le fait qu’elle ne soit pas arrivée à entraîner derrière elle des protagonistes régionaux et internationaux importants risque de compliquer la recherche d’une solution politique en cas d’enlisement militaire sur le terrain.

Sous la pression des Etats africains, qui se sentent menacés par les développements probables du conflit libyen, l’Union africaine a fini par décliner le rôle de figurant que les puissances occidentales ont bien voulu lui accorder. Si la légitimité de la volonté des Africains de « se réapproprier la crise libyenne » ne pose aucun problème sur les plans juridique et politique, malheureusement, on peut émettre des doutes sur leur capacité à traduire cette volonté sur le terrain politique et diplomatique dans le contexte actuel des rapports de forces internationaux.

Pire, la conférence « internationale » de Londres a enregistré l’absence du principal concerné : la Libye ! Si l’absence d’un représentant du pouvoir libyen n’étonne guère, en revanche, le fait qu’il n’y a pas eu consensus pour inviter à la conférence le représentant du Conseil national de transition, apparaît comme une défaite diplomatique de la France qui n’a pas ménagé ses efforts en vue de convaincre ses partenaires dans ce sens. Seul le Qatar a suivi la France en reconnaissant le CNT, installé à Benghazi, comme représentant légitime du peuple libyen.

Déception à Paris et à Benghazi

Ce premier échec ne doit pas cacher d’autres moins visibles mais qui auront peut-être des incidences militaires, politiques et diplomatiques plus importantes. Il est avéré que la conférence de Londres avait pour objectif essentiel d’aboutir à un consensus sur le « pilotage politique » de l’intervention de la coalition internationale en Libye, après qu’il fut décidé de donner le commandement militaire des opérations à l’Otan. Or cette dernière décision, qui arrange bien l’Administration américaine soucieuse de prendre un rôle plus discret en Libye, en vue de calmer les contestations internes hostiles à une intervention militaire jugée coûteuse et inappropriée, risque d’aggraver les divisions au sein de la coalition « internationale ».

En effet, si la prise de contrôle des opérations militaires par l’Otan ne peut qu’arranger des puissances atlantiques comme l’Allemagne, la Turquie et l’Italie soucieuses d’affaiblir le rôle disproportionné de la France dans cette crise, ce dernier pays qui s’est trop avancé militairement et diplomatiquement risque à terme de se retrouver isolé, dans la mesure où il ne pourra même pas compter sur le soutien de son allié britannique, dont les motivations pétrolières ne s’embarrassent guère des velléités idéologiques et électoralistes de Sarkozy. Par ailleurs, le fait d’avoir confié le commandement des opérations militaires à l’Otan ne semble pas enchanter les rebelles de Benghazi, qui redoutent que l’effacement de la France et de la Grande-Bretagne finisse par leur coûter cher sur le terrain.

En effet, sous la pression de l’Allemagne et de la Turquie, l’Otan risque plus de se rapprocher de l’esprit de la résolution 1973 en intervenant, que de faire respecter la zone d’exclusion aérienne et la protection des populations civiles sans s’impliquer davantage dans les combats entre forces gouvernementales et forces rebelles. Or, ces dernières savent pertinemment que sans la couverture aérienne des forces de la coalition occidentales durant ces dix derniers jours, elles n’auraient pas pu reprendre le contrôle des localités stratégiques comme Ajdabia, Brega et Las Lanouf dans le nord-est du pays.

Absence de consensus politique et diplomatique

Mais le principal échec de la conférence de Londres apparaît dans son incapacité à s’entendre sur un agenda politique et diplomatique clair et consensuel, dont tout le monde estime pourtant qu’il reste indispensable pour accompagner et parachever une intervention militaire qui risque, sans cela, de connaître un enlisement certain et dangereux pour la paix et la sécurité de la région.

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A la veille de la conférence, Paris et Londres, qui ont lancé l’initiative, n’ont pas manqué de faire des déclarations allant dans le sens de la recherche d’une solution diplomatique, qui devrait logiquement suivre l’intervention militaire, tout en insistant sur l’exigence de l’élargissement de la coalition internationale en laissant sous-entendre que leur initiative n’était dirigée contre aucune partie tierce (sous-entendu l’Allemagne). Mais les déclarations de Sarkozy n’ont manifestement pas rassuré ses partenaires européens. De leur côté, Berlin et Rome ont fait un travail diplomatique dans les coulisses de l’UE et de L’Otan, en vue de contrebalancer le rôle irritant de Paris.

Certes, à défaut de légitimité internationale, la conférence de Londres peut se targuer de la force persuasive de l’Otan, qui prend désormais le commandement des opérations militaires en Libye. Mais encore faut-il être d’accord sur le pourquoi de ces opérations. Sur cette question essentielle, c’est la cacophonie dans les rangs de la coalition « internationale ». Officiellement, la coalition « internationale » prétend qu’elle continuera les frappes militaires, aussi longtemps que Kadhafi ne se soumettra pas aux exigences de la résolution 1973 et n’arrêtera pas ses attaques contre les civils. Mais en regardant de plus près les positions des puissances occidentales, on se rend compte que si elles sont effectivement d’accord pour continuer leur intervention militaire, en revanche, sur le plan politique, elles restent très loin du consensus diplomatique affiché.

Le flou de l’après-Kadhafi

En effet, le seul consensus désormais acquis est représenté par l’exigence du départ de Kadhafi. Or cette exigence, qui pourrait effectivement rencontrer un large consensus national et international, est loin de répondre à la complexité des enjeux militaires, politiques et diplomatiques du conflit libyen. En effet, cette exigence laisse en suspens un certain nombre de questions essentielles.

Première question : comment assurer le départ de Kadhafi dans le cas où ni lui ni ses partisans n’acceptent de jouer le jeu ? Si les frappes aériennes s’avèrent incapables de changer le rapport entre forces gouvernementales et forces rebelles sur le terrain, l’Otan ira-t-elle jusqu’à l’intervention terrestre, ou du moins se résignera-t-elle à armer les rebelles comme le souhaite Paris et comme l’a laissé entendre récemment le président Obama ? Dans les deux cas, l’Otan aura besoin de repasser par le Conseil de sécurité si elle ne veut pas être prise en violation flagrante de la légalité internationale.

Seconde question : A supposer que le départ de Kadhafi soit acquis, quelle signification politique lui donner ? Est-ce la fin du clan Kadhafi et des alliances politiques et tribales sur lesquelles il était assis et donc la victoire unilatérale du clan de Benghazi ou bien, au contraire, le départ de Kadhafi pourrait-il donner une chance à la reconstruction d’un nouvel équilibre tribal et politique qui jette les bases d’une transition démocratique pacifique et sauve l’unité nationale et l’intégrité territoriale de la Libye ?

On voit bien que le départ de Kadhafi ne signifie pas grand-chose, même si la symbolique d’un tel évènement aura des conséquences indéniables sur le terrain puisqu’il peut donner lieu à des développements politiques complètement différents. Or, les puissances intervenantes ne semblent se rejoindre que sur l’exigence de départ de Kadhafi. Pour le reste, elles naviguent à vue et ne semblent pas avoir toutes les cartes en main. Les tiraillements diplomatiques et les coups bas entre « partenaires » de l’Otan ne seront pas exclus dans les jours qui viennent, ce qui ne manquera pas de compliquer davantage une crise qui n’était pas simple au départ.

Les puissances atlantiques, agacées par l’aventurisme français, finiront-elles par recentrer l’intervention de l’Otan autour des exigences explicites de la résolution 1973 et à prendre plus au sérieux les inquiétudes des Etats voisins et de l’Union africaine et leur volonté de jouer le rôle qui devrait être le leur dans une région qu’ils connaissent mieux que d’autres ? La feuille de route sur laquelle a débouché la réunion de l’Union africaine à Addis Abéba vendredi dernier, et qui vise à trouver une solution négociée à la crise libyenne, répondant à la fois à l’aspiration démocratique du peuple libyen et au principe de non-ingérence dans ses affaires intérieures, sera-t-elle prise en compte par le « groupe de contact » issu de la conférence de Londres ?

Si tel devait être le cas, la Libye pourrait peut-être éviter le scénario d’une « somalisation » rendu de plus en plus probable par la multiplication d’un certain nombre d’indices qui commencent à inquiéter les généraux de l’Otan, comme l’aiguisement des divisions régionales et tribales, l’apparition de divisions sérieuses à l’intérieur de l’ opposition libyenne, son infiltration par des éléments « étrangers » peu rassurants, enfin la circulation inquiétante des armes dans la région. Ce scénario catastrophique est d’autant plus redouté que ses retombées sécuritaires n’épargneront guère les intérêts et les ressortissants des puissances, qui auront joué avec le feu dans la poudrière sahélo-saharienne…

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