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Jour de fête en Iran

Samedi 9 septembre, ce sera jour de fête en Iran : depuis une quinzaine de jours déjà, j’ai vu les habitants décorer dans une ambiance joyeuse leurs maisons, leurs quartiers, avec des guirlandes lumineuses, des drapeaux calligraphiés (« Ya Hussein »), des fleurs… Les gens vont sortir en famille, se recevoir… Loin des préoccupations qui sont les nôtres à propos de leur pays, les Iraniens vont fêter ce soir là l’anniversaire du Mahdi, le XII° Imâm, qui est entré en occultation en 940-41.

Que signifie cette fête, qu’est-ce, en quelques mots, que le Mahdi ?

Dernier de la lignée des douze Imâms qui, depuis la succession du Prophète ont pour mission de révéler aux fidèles le sens caché des Ecritures, il est – entre autres ! – porteur d’un principe d’espérance et de réconciliation de l’ensemble de l’humanité. Un hadîth rapporte qu’un homme interrogea un jour le Prophète Mohammed : « Ô Envoyé de Dieu ! Qui est ton enfant ? » « Le Mahdi, celui en vue duquel j’ai été missionné comme annonciateur » lui répondit-t-il[1]. Annoncé par le Prophète, celui-ci précisa dans un autre hadîth : « … il remplira la terre de paix et de justice comme elle est aujourd’hui remplie de violence et de tyrannie. Il combattra pour reconduire au sens spirituel, comme j’ai moi-même combattu pour la révélation du sens littéral ».[2]

De ce moment, du moment où l’humanité est en attente, la Révélation prend un tout autre sens : loin d’être désespérée par la fin de la mission prophétique, cette humanité vit désormais dans l’espérance de la venue du Mahdi, qui apportera la révélation du sens caché de toutes les Ecritures.

Avant d’examiner quelle est la mission du Mahdi, il peut être éclairant de se pencher sur sa biographie : le X° Imâm, ‘Ali Naqî, fit épouser à son fils, Hassan Askari, une princesse byzantine, descendante de Simon-Pierre[3], réalisant ainsi une médiation entre le christianisme et la gnose islamique, cette médiation, il est important de le souligner, étant le fruit d’un amour mystique et passionné : le thème de l’amour est en effet essentiel dans le shi’isme ; on ne peut le comprendre sans intégrer clairement cette donnée.

Le petit Imâm fut initié par son père à ses futures fonctions dès ses premiers instants : « Sa Seigneurie l’Imâm le prit dans ses bras, posa ses lèvres bénies sur ses deux yeux, sur sa bouche, sur ses oreilles. Il traça un signe dans la paume de sa main gauche, posa sa main très pure sur la tête de l’enfant… »[4].

Par la suite, la vie du XII° Imâm se découpe en deux parties : la première, dite « l’Occultation mineure », commence au décès de son père, alors qu’il était âgé de cinq ans, et durera environ soixante dix ans : les traditions rapportent qu’il disparut alors dans le sous sol de la maison de son père, en descendant un escalier ; il communiqua désormais avec le monde extérieur par l’intermédiaire d’un petit groupe de fidèles. A l’Occultation mineure succéda l’Occultation majeure, qui dure encore, la figure du XII° Imâm, selon l’heureuse expression d’Henry CORBIN, passant ainsi « à travers l’histoire aussi légèrement qu’un rayon de lumière à travers un vitrail. »[5] ; depuis, l’Imâm reste présent au cœur de ses adeptes, son invisibilité les garantissant contre toute socialisation du spirituel. Ses dernières paroles auraient été : Maintenant l’affaire n’appartient plus qu’à Dieu. C’est à Lui de la conduire jusqu’à son achèvement. »

Que signifie cette histoire ? Au-delà de celle, poignante de la vie des Imâms, tous assassinés à l’exception précisément du douzième d’entre eux, il est plus important de se pencher sur quelques unes des significations ésotériques – c’est-à-dire intérieures – de ces faits qui se passent dans la hiéro histoire : comme pour le Christ en effet, on peut dire ici : « Mon royaume n’est pas de ce monde »… Le shi’isme nous invite de fait à une expérience intérieure, bien loin des médiocrités de l’islam politique dont la presse nous rebat les oreilles.

A ce propos, si j’ose dire, la dernière lettre de l’Imâm dit ceci : « Il se lèvera des gens qui prétendront m’avoir vu matériellement. Attention ! Celui qui prétendra m’avoir matériellement vu avant les évènements de la fin, celui-là sera un menteur et un imposteur… »  ; de plus, selon un hadîth, du fait que l’Imâm soit occulté, toute la hiérarchie ésotérique est elle aussi dans l’occultation : quiconque se prétendrait donc représentant de l’Imâm se mettrait de ce fait en dehors du shi’isme. En fait, il n’appartient aux hommes ni de chercher à le voir, ni de l’utiliser à leurs propres fins : c’est à lui de décider s’ils ont la capacité à le voir, s’ils sont dignes d’appartenir à son monde, celui des formes spirituelles ; ce à quoi les fidèles sont appelés, c’est, après la reconnaissance de l’Imâm dans leur cœur, à une remontée spirituelle vers la lumière – la mission des Imâms étant précisément de les guider dans cette remontée – à faire émerger en eux le sens vrai du Livre, qui, du même coup, rendra leur existence vraie. Cette reconnaissance peut se faire à partir de l’amour que le fidèle porte aux Imâms, car, pour le shi’isme, l’amour est une clé de la connaissance : les Imâms se donnent à connaître aux fidèles à proportion de l’amour que ceux-ci leurs portent.

Lorsque les temps seront venus, lorsque l’Imâm en jugera les hommes capables, il se manifestera alors dans l’aurore de la Révélation (le XII° Imâm est souvent appelé Qâ’im âl Mohammad), précédé, nous disent les traditions, par le Christ, qui enfourchera un cheval blanc et parcourra le monde pour annoncer sa venue.

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Pourquoi raconter tout ceci ?

Parce qu’après deux semaines passées en Iran, j’ai été frappé par le contraste entre la quiétude de l’immense majorité des fidèles, par le mélange de douleur ressentie devant le martyre des Imâms et de joyeuse espérance que porte le retour attendu du Mahdi. Il ne s’agit pas pour moi de nier l’actualité internationale. Il s’agit simplement de témoigner, une fois de plus, de l’immense écart entre la perception que l’on a d’une foi, à laquelle on attribue hâtivement le malheur du monde, et la réalité vécue de celle-ci.

Essayons d’apprendre du shi’isme une chose : derrière l’apparence d’un évènement, d’une situation, se cache une réalité plus complexe et souvent bien différente. Ainsi, l’apparente descente dans la nuit de l’Occultation est en réalité une manifestation de lumière. Pour comprendre cela, peut-être suffit-il simplement de regarder les autres avec l’œil du cœur. C’est peu, mais c’est beaucoup.



[1] Cf. Ayatollâh Ozma Lotfollâh Safi GOLPÂYEGANI : Anthologie de traditions concernant le XII° Imâm, Téhéran, 1954.

[2] Idem.

[3] Pr plus de précisions voir CORBIN (Henry), En Islam iranien, t. IV, éd. Gallimard, coll. Tel, pp. 309 et s

[4] Id, p. 321

[5] Id. p. 324.

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