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« Israël-Palestine. Les enjeux d’un conflit » ou comment appréhender l’esprit du temps

Ce n’est pas encore un livre supplémentaire sur le conflit le plus médiatisé de la planète depuis plus de soixante ans. L’ouvrage « Israël-Palestine. Les enjeux d’un conflit », publié sous la direction d’Esther Benbassa, aborde une multitude de sujets, prétendument secondaires, souvent passés sous silence (*).

Le chapitre consacré aux associations de femmes arabes en Israël (« actrices de nouvelles formes de mobilisation palestinienne »), signé par Elisabeth Marteu, est l’exemple même des thèmes rarement abordés par les médias français. Ils oublient la plupart du temps que les citoyens arabes d’Israël représentent 18 à 20 % de la population israélienne. Et qu’il existe des féministes arabes qui ne baissent pas les bras.

« Israël-Palestine. Les enjeux d’un conflit » n’est pas un livre à lire d’une seule traite. Il est préférable de le picorer, tant il est riche de témoignages non seulement puissants, mais fort bien informés. Sait-on, par exemple, que la France a d’abord préféré s’abstenir à l’ONU, le 25 novembre 1947, sur le plan de partage de l’ONU ? Il faudra la menace américaine d’exclure la France du plan Marshall pour que Paris vote en faveur du plan de partage le 29 novembre suivant.

Un petit pays entouré d’ennemis

Quelques années plus tard, la France aide Israël à se doter de la bombe A puis de la bombe H, à la suite d’un accord passé à Sèvres en 1956 « entre le président du Conseil Guy Mollet, son ministre de la Défense Maurice Bourgès-Maunoury, le Premier ministre David Ben Gourion, le chef d’état major de l’armée Moshe Dayan et le directeur général de la Défense Shimon Peres », rappelle Dominique Vidal, journaliste au Monde Diplomatique.

Le chapitre consacré à la couverture du conflit par la télévision française rappelle que celle-ci va très longtemps oublier les réfugiés arabes de 1948. Israël est alors présenté comme un « petit pays entouré d’ennemis ». « Face à 40 millions d’Arabes qui veulent reconquérir la Palestine, 2,5 millions d’Israéliens montent la garde sur un territoire grand comme trois départements français ».

Enfant palestinien, tank israélien

Toutefois, un renversement s’opère après la guerre des Six Jours. Le Palestinien devient une victime d’Israël, et l’Israélien, un occupant. Il perd la sympathie dont il bénéficiait. Quant au Palestinien, il est tour à tour réfugié, combattant ou terroriste. Enfin, la première Intifada crée une icône « qui est l’enfant palestinien, armé d’une pierre, face à un tank israélien ou au soldat lourdement armé ». David n’est plus israélien mais palestinien…

Jérôme Bourdon, directeur du département de communication à l’Université de Tel-Aviv, se garde de critiquer les médias. Il constate qu’ils sont tributaires de « l’esprit du temps ». D’abord très favorable à Israël, puis, plus soucieux des Palestiniens. À cela s’ajoute que l’image d’Israël « est inséparable de l’image du monde juif, et celle des Palestiniens ne peut être détachée du monde arabo-musulman ».

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Les abus de l’Autorité palestinienne

Faute de place, on ne peut énumérer tous les sujets originaux contenus dans cet ouvrage dirigé par Esther Benbassa, directrice d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, auteur notamment d’« Etre juif après Gaza ». Citons la partie consacrée à Hébron, la plus grande agglomération de Cisjordanie (180.000 habitants), qui totalise un tiers du PIB palestinien. Julien Salingue n’épargne guère l’Autorité palestinienne (AP). Il rappelle que des dirigeants de l’AP possèdent une exclusivité sur les importations de 26 marchandises.

« C’est ainsi que Nabil Shaath détient le monopole sur les importations d’ordinateurs (il possède lui-même une entreprise de fabrications d’ordinateurs en Egypte) ou que Yasser Abbas, fils de Mahmoud Abbas, co-administre Paltech qui a le monopole, entre autres, sur les importations de téléviseurs. Ces comportements clientélistes ont des conséquences immédiates sur les entreprises d’Hébron », écrit ce doctorant en science politique à l’Université Paris VIII.

La radicalisation du CRIF

Parmi les définitions à retenir, celle d’Israël, présentée par un sociologue de l’Université de Haïfa comme l’archétype d’une « démocratie ethnique ». Un régime qui combine des institutions démocratiques viables avec une domination ethnique institutionnalisée. Une démocratie problématique reste-t-elle malgré tout une démocratie ?

Revenons à la France avec le chapitre intitulé « Les institutions juives face au spectre de l’ “islamisation“ de la cause palestinienne en France », signé par le chercheur Vincent Geisser de l’Institut d’études et de recherches sur le monde arabe et musulman d’Aix-en-Provence. Il constate une radicalisation du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), qui a marginalisé le Consistoire et le Rabbinat.

« Ainsi, l’ennemi arabe lointain et imaginaire est progressivement supplanté par l’ennemi intime, qui revêt désormais l’apparence très concrète du jeune Arabo-musulman de banlieue, supposé entretenir des connections plus ou moins étroites avec la mouvance islamo-terroriste radicale incarnée par le Hezbollah libanais ou le Hamas palestinien, voire avec les cellules dormantes d’Al-Qaida », constate Vincent Geisser.

(*) « Israël-Palestine. Les enjeux d’un conflit », sous la direction d’Esther Benbassa, CNRS Editions, 294 pages.

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