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ISLAM DE FRANCE : TOUT N’EST PAS PERDU…MAIS IL Y A URGENCE !

L’éditorial mis en ligne le vendredi 16 février 2007 par la rédaction du site Oumma.com, intitulé « Islam de France : messieurs, il est temps de passer la main », est à la fois un cri d’alarme, un appel au secours et une mise en garde. Le message de ces croyants soucieux de porter l’intelligence musulmane au cœur des débats de société doit être écouté avec attention.

En premier lieu parce qu’il n’est pas courant que le comité de rédaction lui-même signe un article sur ce site principalement voué à publier des contributions extérieures : cette fois, l’enjeu est suffisamment important pour qu’il mette la main à la pâte. En second lieu parce qu’Oumma.com est sans doute le site musulman francophone le plus consulté au monde : même si tous ses lecteurs ne partagent pas l’analyse de son comité de rédaction (il suffit de lire les commentaires postés à la suite de l’éditorial), cette dernière reflète certainement l’avis d’un grand nombre de musulmans français « de base ».

La rédaction d’Oumma.com place les représentants officiels de la communauté musulmane – les organismes siégeant au Conseil Français du Culte Musulman, qu’ils s’appellent Mosquée de Paris (MDP) ou Union des Organisations Islamiques de France (UOIF) – face au constat de leur échec : ils n’ont pas su, ils ne savent pas, ils ne sauront pas endiguer la vague d’islamophobie actuelle, qui risque de compromettre définitivement l’installation sereine des musulmans dans le paysage social français. « La force semble avoir pris définitivement le pas sur la raison » écrivent les responsables d’Oumma.com. A les lire, le point de non-retour est proche. Ils tirent la sonnette d’alarme et font le constat amer que « les valeurs jusque-là consensuelles telles que la solidarité humaine et le respect de l’autre, sont de plus en plus abandonnées, pour laisser place à l’individualisme et au repli communautaire ».

Selon eux, l’affaire des caricatures publiées dans Charlie Hebdo a fait la preuve de l’incompétence des prétendus organismes représentatifs de la communauté musulmane : ainsi, quand les musulmans de France « en appellent à la justice de leur pays (…) ils se retrouvent au ban des accusés, non pas parce que leurs adversaires sont plus déterminés, mais parce que leurs représentants autoproclamés, désignés ou adoubés par un ministre-mufti, font peu de cas de leurs ouailles et lorgnent plus vers les ors de la République et les labels des grandes mosquées d’Orient, que sur le sort de fidèles aujourd’hui définitivement désemparés. » Et ils enfoncent le clou : « Ils ont montré leur impuissance par le passé (affaire Houellebecq) et semblent avoir oublié qu’une bonne cause mal défendue devient mauvaise cause lorsque l’impréparation vient s’ajouter à l’incompétence.(…) Qu’il s’agisse de la mosquée de Paris ou de l’UOIF, le constat de faillite et d’incompétence est patent. »

Ce cri d’alarme est aussi, au nom de « l’immense majorité de musulmans silencieux qui ne demandent rien d’autre qu’à pratiquer librement leur foi dans le respect des lois de la République », un véritable appel au secours. Les rédacteurs d’Oumma.com présentent la situation de leur communauté sans fausse pudeur : « les quelque cinq millions de musulmans » vivant en France, ainsi que leur représentants, sont « peu rompus aux confrontations d’idées et aux débats ». Ils ne peuvent rester comme des brebis sans pasteur, ils ont besoin d’être aidés et de bénéficier de la bienveillance concrète des autorités de la République. A cet égard les rédacteurs d’Oumma.com soulignent que le populisme électoraliste de Nicolas Sarkozy est décevant : à l’entendre parler des « moutons égorgés dans les baignoires », l’auteur du surprenant essai La République, les religions, l’espérance semble bien loin !

On aurait tort de négliger la mise en garde qui sous-tend les propos des responsables d’Oumma.com. Une mise en garde qui n’est pas une menace de leur part, car ils savent très bien que personne ne gagnerait au petit jeu de la politique du pire. Cette mise en garde porte sur trois points.

En premier lieu, le fossé croissant entre les élites islamiques et les musulmans “d’en-bas” risque de conduire ceux-ci à remettre en question la représentativité de ceux-là. De graves crises internes à la communauté musulmane pourraient en résulter. Si les autorités de la République s’en mêlent maladroitement, c’est-à-dire en soutenant mordicus ceux qu’elles ont « désignés et adoubés » (autrement dit les organisations siégeant au CFCM), elles risquent de se discréditer pour longtemps et de se mettre à dos une population qui a déjà du mal à se reconnaître en elles.

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En second lieu, les musulmans ainsi livrés à aux-mêmes pourraient décider de se doter de la puissance et de l’influence dont les responsables d’Oumma.com les estiment privés – et ce, en dehors de tout dialogue avec l’Etat. Or, comme le disait Nicolas Sarkozy lui-même il y a quelques années, « une identité humiliée est une identité radicalisée ». La violence est à craindre.

En troisième lieu, le malentendu qui semble régner entre les élites musulmanes et leur base, et par conséquent entre la République et les musulmans, se double d’un autre phénomène – l’un et l’autre s’entretenant mutuellement : la dégradation de la condition économique et sociale d’un grand nombre de jeunes issus de l’immigration. Tariq Ramadan a raison quand il dit qu’on ne peut traiter l’un sans traiter l’autre. Si les jeunes et les femmes, les deux catégories sur lesquelles les responsables d’Oumma.com mettent l’accent, se sentent à la fois écartés du gouvernement de leur communauté et écartés de la vie sociale de leur pays, ils risquent de mener de front la lutte pour la reconnaissance de leur identité religieuse et la lutte pour l’amélioration de leur condition économique.

Dangereuse accumulation des combats à livrer… « Le découragement des jeunes musulmans qui assistent impuissants au naufrage » est grand : « il est temps aujourd’hui de faire le bilan et les examens de conscience, de revoir entièrement sa stratégie et surtout d’inviter au débat démocratique les jeunes, filles et garçons, pour leur permettre de prendre eux-mêmes leur destin en main. »

Selon les responsables d’Oumma.com, tout n’est pas perdu, car « il est encore temps de passer la main. » Comment ? Nul ne le sait. La « question religieuse » est au cœur des défis auxquels la France est confrontée. Azouz Begag, ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances, pourtant laïc sinon laïcard, l’a rappelé il y a quelques mois. Et pourtant, personne ne la pose sérieusement en ces temps de campagne électoral… En mobilisant toute la créativité dont est capable une classe politique moins sclérosée qu’on ne veut bien le dire, il va pourtant falloir poser la question de notre organisation politique et sociale, c’est-à-dire la question du régime. Cela exige de renoncer aux discours populistes.

A cet égard, la responsabilité de Nicolas Sarkozy est grande : l’espoir qu’il a fait naître chez les musulmans – et les autres croyants – d’une laïcité ouverte et bienveillante ne doit pas être déçu. Il lui faut revenir à ses positions et à son positionnement de 2004. Par ailleurs, les deux phénomènes décrits plus haut, et dont Tariq Ramadan a vu qu’ils ne pouvaient être déconnectés, à savoir le sentiment d’humiliation ressenti par les musulmans et le sous-emploi des jeunes issus de l’immigration, doivent faire l’objet d’un programme politique ad hoc. Le chantier de la représentation officielle des musulmans doit être rouvert, et avec lui celui de la diversité sociale, quitte à instaurer, le temps de lancer la machine, une discrimination positive. Il y a urgence, mais tout n’est pas perdu. Tout n’est pas perdu…mais il y a urgence !

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