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Islam de France : messieurs, il est temps de passer la main

Editorial

Tout le monde convient que La France s’enfonce doucement à droite. Ce glissement progressif n’est pas surprenant. Il s’agit d’un phénomène presque général qui a commencé à s’imposer depuis la chute du mur de Berlin. L’effondrement des idéologies et des utopies, le consumérisme et la mondialisation ont fait le reste. Il n’y a pas si longtemps encore la majorité des gouvernements soutenait l’Afrique du Sud dans sa lutte contre l’apartheid, comme elle avait soutenu les luttes anti-coloniales. Aujourd’hui nous assistons impuissants à la colonisation de La Palestine et au massacre quotidien des populations civiles sans que cela n’émeuve plus personne. Les motifs d’indignation se sont perdus avec les repères.

La force semble avoir pris définitivement le pas sur la raison. La Palestine, La Tchétchénie ou Le Darfour n’intéressent plus grand monde. G.W Bush règne en maître absolu. On absout ses mensonges et ceux des puissants qui l’ont accompagné dans l’occupation de l’Irak. Les intellectuels de gauche, hérauts hier encore de la lutte anticoloniale et de l’émancipation des peuples, ont définitivement oublié la Palestine. Sans rougir, ils commencent à passer à droite. Les causes justes sont remises en cause. Et dans ce mouvement de fond qui tient plus du sauve qui peut que de la révolution, les valeurs jusque-là consensuelles telles que la solidarité humaine et le respect de l’autre, sont de plus en plus abandonnées, pour laisser place à l’individualisme et au repli communautaire.

Le Pen observe tout cela avec beaucoup de gourmandise et peut ruminer tranquille. De Villiers parle d’ « islamisation rampante », Sarkozy de « racaille, d’excision et de moutons égorgés dans les baignoires » sans qu’on n’y trouve à redire. Finkielkraut peut dire en toute impunité qu’il y a trop de noirs dans l’équipe de France de football. Ce qui était abject hier encore, est devenu banal aujourd’hui, quand il n’est pas l’occasion de bons mots ou qu’il n’amuse les foules de partisans. On en est tourneboulé. Il est évident que les principales victimes de cette crispation sont les moins organisés, les plus pauvres et les moins puissants des Français, à savoir les noirs et les arabes. Ils ne sont pas assez puissants, ni influents pour faire voter des lois condamnant l’islamophobie par exemple.

Personne ne viendrait à leur dîner annuel. Rien d’étonnant dès lors à ce que cette catégorie de la population serve de défouloir à tous ceux qui auraient des comptes à régler avec les arabes et l’islam. Un journal s’est particulièrement distingué dans cet hallali. Il a dépassé les limites de l’admissible puisqu’il laisse accroire que les adeptes du prophète sont des terroristes. Le mal est fait, la messe est dite et il ne restait plus aux musulmans de France qu’à demander réparation morale en attendant des jours meilleurs.

Ainsi les musulmans de France en appellent à la justice de leur pays pour condamner l’insulte. Va pour les caricatures, ne cessent-ils de proclamer, mais pas de confusion entre islam et terrorisme. Rien n’y fait. Ils se retrouvent au ban des accusés, non pas parce que leurs adversaires sont plus déterminés, mais parce que leurs représentants autoproclamés, désignés ou adoubés par un ministre-mufti, font peu de cas de leurs ouailles et lorgnent plus vers les ors de La République et les labels des grandes mosquées d’Orient, que sur le sort de fidèles aujourd’hui définitivement désemparés.

Cette immense majorité de musulmans silencieux qui ne demandent rien d’autre qu’à pratiquer librement leur foi dans le respect des lois de La République, se retrouvent encore un fois, l’objet d’enjeux qui les dépassent. S’ils ont servi à aider les laïcards à se refaire une santé lors des débats sur le voile, ils permettent aujourd’hui à un journal d’engranger de substantiels dividendes, et à quelques islamophobes patentés, d’avancer vêtus de probité candide et prêts à mourir pour la défense de la liberté d’expression, jurent-ils.

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Les représentants de ces quelques cinq millions de musulmans, peu rompus aux confrontations d’idées et aux débats, peu soucieux de rendre des comptes à leurs ouailles, et convaincus d’avoir raison puisque la raison est avec eux, se sont trouvés acculés à faire front et à recourir aux moyens légaux pour défendre leur droit à la dignité. Ils ont montré leur impuissance par le passé ( affaire Houellebecq ) et semblent avoir oublié qu’une bonne cause mal défendue devient mauvaise cause lorsque l’impréparation vient s’ajouter à l’incompétence.

Qu’il s’agisse de la mosquée de Paris ou de l’UOIF, le constat de faillite et d’incompétence est patent. Il faut dire que ces deux grandes entités qui se sont donné comme vocation la recherche des meilleures conditions possible pour la pratique du culte, n’ont jamais eu la tâche facile. Mais n’est ce pas aussi l’honneur de ceux qui ont choisi cette mission devenue aujourd’hui un véritable combat, de savoir passer la main quand les enjeux les dépassent ou qu’ils imposent de changer de braquet ?

Pendant de longues années, des critiques pas toujours objectives, ni désintéressées reprochaient aux différents responsables d’obéir, qui à un pays, qui à une idéologie ou qui à l’appât du gain et à la recherche de notoriété, dans leur gestion quotidienne des affaires du culte musulman. L’image pas toujours bienveillante, qui accompagne le plus souvent les responsables de ces deux organisations, est celle de barons nantis et entourés d’affidés peu susceptibles de leur faire de l’ombre et de remettre par conséquent leurs privilèges en jeu.

Il n’y a de place ni pour les jeunes ni pour les femmes. Aucune relève n’y a été préparée et la communication y est des plus lamentables. Bref tous les ingrédients sont périodiquement énumérés pour annoncer un effondrement inévitable des deux édifices sous l’effet conjugué de leur naïve crédulité dans leurs rapports avec les autorités de tutelle et le découragement des jeunes musulmans qui assistent impuissants au naufrage. Il est temps aujourd’hui de faire le bilan et les examens de conscience, de revoir entièrement sa stratégie et surtout d’inviter au débat démocratique les jeunes, filles et garçons, pour leur permettre de prendre eux-mêmes leur destin en main.

Dire qu’il est temps de redistribuer les cartes, de repenser l’organisation de l’islam de France sur des bases réellement démocratiques, de rejeter définitivement cette forme de gestion « blédarde », de donner toutes leurs places à la femme et aux jeunes générations, ce n’est pas faire procès en sorcellerie à quiconque. C’est tout simplement privilégier le langage de la franchise et de la fraternité et placer l’intérêt collectif au-dessus des intérêts particuliers en vue des épreuves à venir. Il est encore temps de passer la main.

La Rédaction

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