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Irak : Le mirage de l’autonomie politique

Plus que son caractère unilatéral, c’est le côté foncièrement malhonnête de la guerre menée par George W. Bush en Irak qui lui vaut le ressentiment d’une bonne partie de la planète.

L’incompétence de l’administration américaine, exacerbée par un impérialisme arrogant et par une ignorance culturelle qui n’est plus à démontrer, a transformé ce qui devait être une guerre de libération en un bourbier cauchemardesque.

Le dernier plan en date, consistant à rendre ostensiblement l’Irak aux Irakiens, se caractérise par les mêmes maladresses politiques.

En effet, la décision d’accélérer le transfert du pouvoir ne s’apparente que de loin à la mise en place d’une démocratie reposant sur des fondations solides. L’effet d’annonce produit par cette mesure, comme la visite officielle de George W. Bush à Londres, sont destinés à détourner nos regards, pour un temps, de la Maison Blanche, gagnée subitement par une fébrilité que la convocation express de Paul Bremer, la semaine dernière, ne viendra pas démentir.

L’insurrection en Irak s’est accrue en intensité ces dernières semaines et s’est étendue géographiquement, débordant largement les frontières convenues du « triangle sunnite ». Un rapport récent de la CIA (Central Intelligence Agency) envisage l’évolution de la situation sous un angle plutôt pessimiste. Au delà du terrorisme de quelques « jusqu’au-boutistes du parti Baath » soutenus par « deux cent terroristes étrangers », dont l’existence est minimisée par un discours officiel confiant et satisfait quant aux progrès obtenus en Irak, il faut s’attendre, d’après l’agence américaine, à une insurrection à plus grande échelle impliquant une majorité d’Irakiens excédés par l’occupation.

Pendant ce temps, l’horloge tourne et l’échéance de l’élection présidentielle américaine se rapproche dangereusement.

Pour le président Bush il ne s’agit donc plus de résoudre les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent, comme il l’a fait depuis six mois, mais de trouver une porte de sortie, rapidement, dont nous voyons actuellement se dessiner les contours : l’option retenue serait celle du « cut and run », quoique sur une période étendue, et comporterait un volet militaire et un volet politique.

L’armée intensifie déjà ses frappes, jusque dans certains quartiers de Bagdad, visant des poches de résistance présumées et partant du principe que de lourdes pertes irakiennes feront digérer, maintenant, l’alignement des cercueils américains et permettront de réduire le volume des troupes, d’ici l’été prochain. En parallèle, un transfert partiel du pouvoir politique est annoncé, en des termes censés convaincre les Irakiens qu’ils seront désormais dirigés par leurs leaders plutôt que par une force étrangère.

Les deux aspects de cette nouvelle stratégie constituent des revirements politiques majeurs. Dans l’immédiat après-guerre, l’Amérique peinait à démanteler les restes de l’armée irakienne ; désormais, l’administrateur Paul Bremer ne parvient à la remettre sur pied dans des délais acceptables aux yeux de la Maison Blanche. La formation initiale des recrues de la police et de l’armée a donc été raccourcie de moitié. Ceci ne fait que renforcer la présomption selon laquelle l’Amérique ne veut pas d’une armée irakienne qui puisse à long terme menacer ses intérêts dans la région ; elle a simplement besoin de vigiles, de policiers, d’agents de renseignement et de pousse-cailloux. Ce procédé typiquement colonial n’est pas sans rappeler la façon dont les Britanniques réprimèrent l’insurrection qui suivit leur conquête de l’Irak sur les Ottomans en 1917. Sur les deux mille soldats qui laissèrent leur vie pour écraser cette rébellion irakienne née sur les bords de l’Euphrate, environ mille cinq cent cinquante étaient des supplétifs de l’armée des Indes.

Sur le front politique, l’objectif de Bremer avait jusque là été de freiner la transition, de peur que la communauté chiite, majoritaire et faisant figure d’épouvantail, ne s’empare du pouvoir. Dorénavant, il s’agit d’accélérer le processus, sans toutefois en perdre le contrôle.

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Voilà donc le dernier rebondissement d’un plan dont la conduite à vue en a connu quelques autres.

Le Pentagone avait initialement sorti du tiroir sa marionnette, l’exilé politique Ahmed Chalabi, jouissant par ailleurs de peu de crédit, qu’il brandissait au-dessus de la tête de ses troupes en pleine offensive, espérant l’installer au pouvoir sans plus de formalités, comme l’avaient fait les Anglais en 1921 avec le prince Fayçal. C’était sans compter sur l’opposition des Chiites et des Kurdes. Les Américains lancèrent donc leur plan de rechange : un conseil de gouvernement à vingt-cinq membres, représentatifs des intérêts religieux, ethniques et tribaux irakiens, mais concrètement dépourvu de pouvoir. Que ces membres reprochent maintenant à Paul Bremer l’absence d’avancées en terme de situation sécuritaire et de démocratie ne peut que renforcer le scepticisme des Irakiens. Les Américains ont donc fait savoir, pas plus tard que la semaine dernière, en la personne de Richard Lugar, membre du Congrès, que le Conseil n’avait qu’a « faire son travail », ce à quoi le leader Kurde, Massoud Barzani a répliqué : « le Conseil ne sait pas quel est son travail ».

La nouvelle directive présidentielle va sans doute faire taire, dans l’immédiat, ce jeu de récriminations mutuelles. Probablement pas pour longtemps. Il n’y a en l’état actuel des choses pas de feuille de route cohérente déterminant si une assemblée constituante sera élue, comme le veulent les Chiites, ou désignée ; si la rédaction d’une constitution précédera ou suivra des élections générales ; s’il y aura bien des élections, à moins que nous n’assistions finalement à la mise en place envers et contre tous d’un Chalabi ou autre homme de paille.

Quant au pouvoir dévolu à ce nouveau gouvernement, comprendra-t-il la liberté de renverser les politiques économiques de privatisation et de pillage déjà lancées, avec pour seules bénéficiaires les compagnies américaines, ainsi que le droit universel d’aller à l’encontre des intérêts géopolitiques américains ?

Il serait naïf de croire que les Etats-Unis veulent autre chose qu’un état satellite, en dépit des conférences de George W. Bush sur les bienfaits de la démocratie.

Au final, les Irakiens sont les véritables laissés pour compte de ces enjeux politiques. Près de six mois après l’annonce officielle de la fin de la guerre la situation sanitaire reste dramatique, ce dont le miroir grossissant des images télévisées rend rarement compte ; pour beaucoup d’Irakiens, l’eau courante, l’électricité, l’essence : « ma kou »*. Quant au quotidien de bon nombre d’entre eux, il est fait de petit boulots et s’apparente à de la survie. Voilà de quelle façon l’administration américaine maintient la tête sous l’eau d’un peuple déjà asphyxié par plus de dix ans d’embargo.

* « il n’y a pas » en dialecte irakien.

Eric Rendek, depuis Bagdad.

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