Votre livre « Que dit vraiment le Coran » a connu un beau succès de librairie et la deuxième édition revue et corrigée vient de paraître aux Éditions Zénith. Nous avions déjà eu le plaisir de présenter la première édition, pouvez-vous nous rappeler les grandes lignes de cet ouvrage ?
En cet ouvrage, j’ai abordé des sujets qui s’avèrent être toujours d’une actualité brûlante : la sharia, la laïcité, la démocratie, le voile, les violences faites aux femmes, le terrorisme, l’égalité, les droits de l’homme, la foi et la raison, les peines corporelles, la polygamie, la lapidation, l’excision, la liberté, la tolérance et la reconnaissance interreligieuse, etc. [NDLR Table des matières consultable sur : http://editionszenith.fr/ ] En tout plus de quarante sujets nés d’un constat : la visibilité de l’islam en Occident et en particulier en France interpelle et fait débat.
Mais ce « débat » a plus maltraité que traité ces questions. Il m’a donc semblé nécessaire que les musulmans puissent disposer d’une information objective et claire. À cette fin, j’ai envisagé chaque question selon ce que le Coran en disait vraiment, c'est-à-dire en fonction du sens explicite, non interprété, des versets coraniques. Au total, ce sont plus de 700 versets qui sont ainsi mis en situation et en exergue. Mes commentaires sont brefs et seulement destinés à éclairer contextuellement les versets afin que le lecteur puisse se faire un jugement personnel.
– Justement, peut-on avoir un jugement personnel sur le Coran ou doit-on se fier obligatoirement à l’avis des spécialistes, les ulémas ?
Je considère que le lecteur est adulte et responsable, ce n’est pas un mineur intellectuel que l’on devrait prendre par la main pour lui dire ce que le Coran lui dit. Dieu s’est adressé à tous les hommes, « afin qu’ils y réfléchissent ». Le texte est là, qu’on le lise en arabe ou en français il nous parle et fait appel à notre intelligence : « Ne méditerez-vous donc pas le Coran ! ». En cet ouvrage je ne dis jamais au lecteur ce qu’il doit penser, mais je cherche seulement à lui fournir des clefs et des outils qui lui permettent de former son propre jugement. Pensons-nous qu’un musulman puisse d’un coté être un citoyen du monde et un homme de son temps, un croyant humaniste doué de raison critique et, de l’autre, être religieusement replié sur des concepts et des croyances d’autres lieux et d’autres temps ?
J’ai confiance au Coran et en l’homme et je pense sincèrement que pour affronter les défis de l’ouverture aux mondes nous devons apprendre à affiner nos jugements, à déconstruire certaines certitudes, à relativiser certaines croyances et à redécouvrir le message intemporel et universel du Coran. À ma modeste mesure, je me suis efforcé en "Que dit vraiment le Coran" de participer à cette si nécessaire recherche.
– Vous avez donc suivi une démarche déconstructive ?
Faudrait-il s’entendre sur les termes, mais l’esprit critique est effectivement par définition déconstructif. De fait, certains ont cru bon de me qualifier d’orientaliste. Il est quand même surprenant que l’usage de la raison soit quasiment considéré comme contrevenant à la foi ! Ou alors nous faudrait-il comprendre que nous devrions accrocher notre intelligence aux porte-manteaux de la mosquée ? Ceci étant, je comprends certaines réticences, car l’islamologie en son versant hypercritique s’est beaucoup attachée à déconstruire l’islam et le Coran en particulier, et ce, pour détruire. Les musulmans doivent apprendre à utiliser l’outil de la méthode critique non pas pour détruire, mais pour construire. Déconstruire pour construire est un passage obligé si nous voulons pouvoir discerner dans notre héritage la part du juste et du faux, la part d’utile à nous et à l’autre. Il nous faut donc apprendre à reconstruire du sens à notre religion afin d’être en équilibre et harmonie avec le monde qui nous entoure.
– Pourquoi avoir donné la priorité au Coran pour traiter ces sujets ?
Certains m’on taxé de coraniste, sans vraiment sans doute savoir ce que cela signifiait ! Je n’en suis pas un, et je prendrais alors cela pour un compliment, un « coraniste » est pour moi un homme de Coran. Ceci dit, il me semble parfaitement sain et logique qu’un musulman lorsqu’il se pose des questions essentielles se penche en premier lieu sur le Coran, telle est la fonction de la Révélation, un non-musulman ferait du reste la même démarche. L’on ne peut pas prétendre être « Gens du Livre » et ne pas lire le Coran avec attention, ne pas le consulter pour en tirer guidée.
Donc, en "Que dit vraiment le Coran" chaque sujet est abordé en fonction de nombreux versets du Coran et, étonnement, le Coran est tout à fait apte à répondre avec pertinence et équilibre, de manière contemporaine pourrions-nous dire, aux défis actuels. L’intérêt de notre démarche est de redonner au Coran la priorité dans l’ordre du discours, nous sommes tous d'accord sur ce point essentiel, mais fallait-il encore pouvoir se donner la possibilité d’entendre son message au-delà des murs de la citadelle historique.
– La priorité donnée au Coran suppose-t-elle que l’on ne fasse pas recours à la Sunna ?
Pas exactement, disons que, logiquement, il nous faut d’abord chercher les réponses dans le Coran. Si vous voulez savoir ce que Dieu vous a dit quant au “voile”, al hijâb, par exemple, ou l’usure, ar-ribâ, vous devez en priorité chercher les réponses dans le Coran, si le Prophète a ensuite donné des informations elles ne peuvent être que des compléments s’inscrivant dans le même sens que le Coran, elles ne pourront que confirmer la « Parole de Dieu », et non pas s’y opposer. En "Que dit vraiment le Coran" j’ai d’ailleurs pour chaque sujet traité cité un ou deux hadîths authentifiés, sahîh, montrant qu’il y a concordance entre ce que le Prophète a dit et ce que le Coran a dit, rien de plus cohérent et de plus sûr. Si Dieu dans le Coran a interdit l’usure le Prophète ne peut pas l’avoir autorisée, si Dieu dans le Coran n’a pas institué le port du voile de tête le Prophète ne peut pas l’avoir ordonné. Si Dieu dans le Coran a donné la définition de ribâ, le Prophète ne peut pas en avoir donné une autre, si Dieu a donné dans le Coran la définition du « hijâb », le Prophète ne peut pas en avoir donné une autre.
– Il y a donc un principe de cohérence entre le Coran et la Sunna ?
Oui, obligatoirement. Comment pourrait-il en être autrement ! Devrions croire que le Prophète puisse s’être opposé en parole à la « Parole de Dieu ». Il s’agit là de minimum de logique et du seuil maximum de ce que la foi peut accepter.
Si ensuite vous entendez le point de vue des hommes, celui des ulémas en premier, et celui la tradition, al ‘urf, qui ne s’en distingue pas toujours, ils ne seront acceptables que s’ils s’inscrivent dans le droit fil du propos coranique et prophétique et, disons le, ce n’est pas toujours le cas. En "Que dit vraiment le Coran" pour les questions qui relèvent à priori du fiqh, le Droit musulman, ou de la « sharia », j’ai présenté en parallèle les thèses officielles, et cette comparaison met parfois en évidence de manière flagrante soit un décalage, soit une divergence, soit une contradiction d’avec le Coran et la sunna authentifiée.
– Comment expliquer cette différence ?
De manière simple : la Révélation est un phénomène particulier, qui relève du mystère de Dieu, la constitution du Hadîth et l’élaboration du Droit ne relèvent que l’histoire, des hommes. Nous, musulmans, croyons que le Coran a été révélé au Prophète Muhammad. Nous pensons [car cela ne relève pas du domaine de la foi] que le Prophète a aussi transmis des propos, les hadîths, dont certains ont pu nous parvenir avec une certaine fiabilité. Mais, le fait même que sur une masse prétendue de 500.000 milles « hadîths » il n’a été retenu par les spécialistes du IIIe siècle, comme al Bukhârî, Muslim ou Ibn Hanbal, qu’environ 7000 hadîths dits sahîh, authentifiés, doit nous interpeller sur les conditions de création, de collecte et de sélection de ces propos attribués au Prophète Muhammad.
De la même manière, il est encore plus évident que le fiqh, le Droit musulman, a été élaboré par les musulmans durant essentiellement les quatre premiers siècles de l’islam à partir d’interprétation de quelques dizaines de versets du Coran, de quelques centaines de hadîths, d’usages locaux, de Droit romain, de Droit sassanide, et d’une bonne dose de halakha talmudique, principalement. Le fiqh, dont la sharia n’est qu’une expression idéologique et/ou conceptuelle, n’est pas une discipline révélée, tout droit descendue du ciel, mais le résultat d’une réflexion humaine et d’une adaptation aux besoins de développement d’une société en formation. À ce titre, cet effort est louable et a servi de base à la civilisation de l’islam. Cela signifie donc que le fiqh ou la sharia ne sont pas l’exact reflet du Coran ou même du Hadîth, mais bien celui des mentalités et nécessités d’une certaine époque. Du reste, tout système de Droit n’est que l’expression des peuples et des cultures qui l’ont généré. Ceci explique les divergences entre le Droit et la Révélation et ce constat indique que rien n’oblige le musulman à se conformer à ce ou ces systèmes dès lors qu’ils sont manifestement opposés au message coranique. En que "Que dit vraiment le Coran" nous avons fourni de nombreux exemples de ces différentiels entre le Coran et les autres systèmes de référence islamiques.
– Vous dites qu’il y a des divergences et des contradictions, comment faire pour s’y retrouver ?
De manière simple, il faut hiérarchiser l’information, comprendre l’ordre de priorité, cela repose sur une règle d’or, le principe de cohérence :
1– Le degré de fiabilité et d’utilité de l’information pour un musulman en sa religion suit le gradient suivant : le Coran, le Hadîth authentifié, les Écoles de Droit. Le critère premier et absolu est le Coran, le Hadîth comme le Droit ne sont que des données complémentaires et sont à rejeter si elles sont en contradiction d’avec le Coran.
2 – Le Coran dit de lui-même qu’il est explicite [ex : S12.V1-2], intemporel [ex : S33.V40], universel [ex : S34.V28]. Tout avis, tout discours qui relève de l’implicite, du régionalisme, et d’une époque donnée, ne représente au maximum qu’une interprétation partielle et limitée du message coranique et, au minimum, n’a qu’une valeur relative.
3– Dieu a donné à l’homme la raison et une âme sensible, Il lui en a enseigné le bon usage et l’orientation, la guidée [ex S91.V6-7] Ainsi, tout ce qui se heurte ou s’oppose la raison saine et l’éthique universelle ne peut être considéré comme l’expression de la volonté de Dieu.
En "Que dit vraiment le Coran" je me suis donc efforcé de dégager le sens coranique puis de montrer de manière directe les convergences ou les divergences d’avec nos systèmes de production de sens, droits, traditions et croyances. Ceci étant, je le répète, je ne suis pas un mufti, je ne prétends pas être l’exégète de référence, je ne dicte pas à chacun ce qu’il doit en penser, ou quels sont les choix qu’il doit faire. Je considère que les musulmans sont responsables et libres et que c’est en leur âme et conscience, en fonction de leur situation propre, qu’ils prennent leurs décisions. Je n’ai vocation qu’à essayer de fournir des éléments permettant à tout un chacun de se déterminer.
À suivre : Interview avec Dr Al Ajamî « Que dit vraiment le Coran ». Deuxième partie.
Dr Al Ajamî « Que dit vraiment le Coran » aux éditions Zenith
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