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Ibn ’Atâ’ Allâh al-Iskandarî (1259 – 1309)

Troisième maître de l’ordre (tarîqa) des Shâdhilis, Ibn ’Atâ’ Allâh est l’un de ces nombreux maîtres du soufisme (mystique musulmane) qui ont uni en leur personne les aspects ésotérique et exotérique de l’islam. Natif d’Alexandrie, il est issu d’une famille de ’juristes’ musulmans (fuqahâ’), et reçoit donc une formation complète dans les diverses sciences islamiques.

Chez ces ’juristes’, les réticences sont encore nombreuses à l’égard de la mystique, et le jeune homme nourrit tout d’abord de forts préjugés contre le tasawwuf, ce soufisme auquel il reproche, sans le connaître, de ne pas respecter la lettre de la Loi. Sa rencontre, à l’âge de dix-sept ans, avec Abû l-’Abbâs al-Mursî le bouleverse et donne une nouvelle dimension à sa vie : dans son livre Latâ’if al-minan, il s’attarde sur cette ’conversion’ à la mystique car, pour lui, elle a valeur d’exemple et peut éclairer l’être qui se cherche.

Son maître lui enjoint cependant de ne pas négliger l’étude des sciences religieuses. Ce souci d’harmonie entre exotérisme et ésotérisme, si affirmé dans la Shâdhiliyya, se concrétise au Caire, où Ibn ’Atâ’ Allâh va enseigner à la fois le droit musulman et le soufisme. A l’université al-Azhar, il acquiert une grande audience, du fait de son sens aïgu de la pédagogie spirituelle. Il y tenait, nous dit Ibn Hajar, ’ un langage qui apaisait les âmes, mêlant les paroles des soufis à ce qu’on rapporte des pieux devanciers (al-salaf)… Le peuple accourait pour l’écouter, mais aussi beaucoup de juristes ’.

En 1287, Ibn ’Atâ’ Allâh succède à al-Mursî à la tête de l’ordre shâdhilî, dont il devient ainsi le troisième maître. Il partage désormais sa vie entre l’enseignement, la direction spirituelle et la rédaction de son oeuvre. Il a notamment pour disciple le savant Taqî al-Dîn al-Subkî (m. en 1355). Le rôle prépondérant qui lui revient dans le conflit entre les soufis cairotes et Ibn Taymiyya (m. en 1328) témoigne de la grande influence qu’il a alors jusque dans les sphères du pouvoir. Il meurt au Caire en 1309, et est enterré dans le cimetière de la Qarâfa, au pied du Muqattam.

Son oeuvre, porteuse d’une grande spiritualité tout en se voulant accessible au commun des croyants, se diffuse rapidement au Proche-Orient et au Maghreb, puis dans le reste du monde musulman. Le projet fondamental qui l’anime est de transmettre l’enseignement de ses maîtres. En effet, Abû l-Hasan al-Shâdhilî (m. en 1258) et Abû l-’Abbâs al-Mursî n’ont écrit que des oraisons (ahzâb). Comme beaucoup de maîtres, ils ont répugné à consigner l’expérience ineffable de l’initiation spirituelle.

A quelqu’un lui ayant demandé pourquoi il n’avait rien rédigé sur la Voie soufie, al-Shâdhilî fit cette réponse : ’ Mes disciples me tiennent lieu de livres ’. L’ouvrage d’Ibn ’Atâ’ Allâh de loin le plus connu est son recueil de sentences spirituelles intitulé al-Hikam (’Sagesses’). Ses Latâ’if al-minan sont un vibrant témoignage sur l’amour spirituel qui l’unissait à son maître, et dressent en même temps un plaidoyer très étayé en faveur du soufisme et de la sainteté en islam.

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Parmi les caractéristiques de la Shâdhiliyya, retenons la concentration sur Dieu seul. L’aspirant doit éviter d’être distrait dans sa contemplation, fût-ce par des phénomènes ou des plaisirs spirituels. Il faut adorer Dieu pour Lui-même, et se défier des idoles intérieures. Ceci s’accompagne d’une grande sobriété, se manifestant notamment dans la méfiance des miracles (karâmât), qui appartiennent encore au monde sensible et peuvent cacher une ’ruse’ divine.

La voie shâdhilie est aussi bâtie sur l’agrément du destin (al-ridâ) en toute situation, la remise de la gouverne individuelle à Dieu (al-tafwîd) et l’action de grâces (al-shukr). Elle se défie par contre de pratiques trop ascétiques. En effet, en mortifiant son ego et en renonçant au monde, l’homme accorde à ceux-ci une place indue ; il tombe donc sous le coup de l’ ’ associationnisme ’ (shirk) subtil, puisqu’il ne peut les évacuer de sa conscience : ’ Tu glorifies le monde en cherchant à t’en détacher ! ’, avertissait al-Shâdhilî. Commentant cette parole, Ibn ’Atâ’ Allâh ajoutait qu’il n’y a pas lieu de se détacher de ce qui n’a pas d’existence réelle.

La Shâdhiliyya, dans laquelle l’auteur des Hikam fait référence, est une voie éminemment orthodoxe ; elle a toujours mis l’accent sur la formation en sciences exotériques et sur l’écriture. Le grand Suyûtî (m. en 1505), qui était rattaché à cet ordre, en a fait l’éloge dans un traité indépendant. René Guénon était lui-même shâdhilî, et le cheikh Ahmad al-’Alawî (m. en 1934) de Mostaganem a grandement contribué à faire pénétrer cette tarîqa en Occident par la ’Alawiyya, issue de lui, et par l’intermédiaire de Frithjof Schuon et de ses disciples (Michel Vâlsan, Martin Lings, Sayyed Hossein Nasr, etc.)

Bibliographie essentielle :

  •  Paul Nwyia : Ibn ’Atâ’ Allâh al-Sikandarî et la naissance de la confrérie shâdhilite, Dâr al-Machreq, Beyrouth, 1971.
  •  Eric Geoffroy, La sagesse des maîtres soufis, Grasset, Paris, 1998.
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