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Ian Hamel : « Tariq Ramadan n’a pas de double discours. »

Pourquoi un nouveau livre sur Tariq Ramadan ?

C’est la première biographie de Tariq Ramadan et de sa famille. C’est un travail d’investigation qui m’a demandé deux années. J’ai rencontré Tariq Ramadan, j’ai lu ses livres, j’ai assisté à ses conférences, je me suis entretenu avec ses proches, comme avec ses adversaires. En Egypte, le frère d’Hassan Al-Banna, le fondateur des Frères musulmans, Gamal, m’a reçu longuement, tout comme Seif Al-Islam, le fils d’Hassan Al-Banna, secrétaire général du syndicat des avocats égyptiens. J’ai interrogé des chercheurs, des spécialistes de l’islam et du terrorisme, des membres des services secrets. Ma démarche est différente des deux livres d’entretiens, de très bonne tenue, que sont « Peut-on vivre avec l’islam ? », avec Jacques Neirynck, et « Faut-il faire taire Tariq Ramadan ? », d’Aziz Zemouri, que je cite à de nombreuses reprises dans mon livre. Les autres ouvrages consacrés à Tariq Ramadan ne sont malheureusement que des pamphlets, et pour la plupart, des compilations de sites islamophobes sur Internet, sans enquête sur le terrain.

Vous avez enquêté sur Saïd Ramadan, le père de Tariq. Quelle influence a-t-il exercé sur son fils ?

Une très grande influence, mais pas comme certains l’imaginent. Saïd Ramadan, gendre d’Hassan Al-Banna, a eu longtemps un rayonnement considérable dans le monde musulman. C’est lui qui a fait le lien entre les Frères musulmans égyptiens et la Jama’at-i Islami pakistanaise d’Abdul Ala Mawdoudi, l’un des principaux théoriciens de l’Etat islamique. A son arrivée en Europe en 1958-1959, Saïd Ramadan est la plus importante figure des Frères musulmans sur le continent. Mais son influence décline dès la fin des années 60. Tariq Ramadan (qui est né en 1962) a surtout connu un homme seul, meurtri, oublié par ses anciens amis. Même s’il ne le dit pas ainsi, Tariq Ramadan a voulu reprendre le flambeau qui a échappé des mains de son père.

Qu’est-ce qui distingue Tariq Ramadan de son frère Hani ?

Les deux frères ont des approches non seulement dissemblables mais opposées. Ils ne s’entendent pratiquement sur rien, mais ils se respectent et évitent de se critiquer publiquement. Hani Ramadan, directeur du Centre islamique de Genève, fait une lecture pour le moins littérale du Coran et de la Sunna, ce qui n’est pas le cas de Tariq. Hani Ramadan n’a jamais adhéré aux structures créées par son frère, comme Musulmans, Musulmanes de Suisse ou Présence musulmane. Tariq ne fréquente pas le Centre islamique de Genève depuis au moins une décennie.

Comment expliquez-vous la fascination de Tariq Ramadan pour Malcolm X ?

Malcolm X était un tribun extraordinaire, d’une intelligence vive, jouissant d’une immense popularité, et surtout capable de se remettre en question. C’était un vrai intellectuel. Tout ce que Tariq Ramadan aspire à être. Ajoutez le côté rebelle, à mon avis plus marqué chez Malcolm X que chez Tariq Ramadan. Est-ce en mémoire du prédicateur noir américain ? Tariq Ramadan s’indigne fréquemment du peu de place accordé aux Noirs dans le monde musulman, notamment francophone. On ne compte plus ses voyages en Afrique dans les régions sud-sahariennes. Sur ce point essentiel, et qui me marque personnellement (ma compagne noire est décédée récemment), je salue la démarche de Tariq Ramadan en faveur des gens de couleur.

Tariq Ramadan est-il lié aux Frères musulmans ?

Il faut être très prudent dans ce domaine, un Frère musulman ne vous dira pratiquement jamais qu’il est membre de la Confrérie. Je pense que Tariq Ramadan a été proche des Frères musulmans jusqu’à la fin des années 90, et qu’il s’en éloigne de plus en plus depuis. Il reproche à la Confrérie de ne pas avoir une pensée très constructive vis-à-vis des pays où les musulmans sont minoritaires, comme en Europe ou en Amérique du Nord. Etre Frère musulman ne veut pas forcément dire grand chose. En Irak, certains Frères musulmans pactisent avec les Américains tandis que d’autres les combattent.

Vous affirmez qu’il déploie une énergie considérable à se fâcher avec ses amis ?

Je constate qu’il s’est brouillé depuis 15 ans avec énormément de monde. La liste des personnes qu’il remercie dans son livre « Etre musulman européen » en 1999 parle d’elle-même : Fouad Alaoui, Farid Abdelkarim, Hakim Al-Ghissani, Leila Babès, Michel Renard, Christian Delorme, Tarek Oubrou, Yusuf Ibram, Henri Tincq, Olivier Roy, Claude Torracinta … Tariq Ramadan ne supporte pas les tièdes. Pour lui, un tiède devient très vite un traître. On est soit pour lui, soit contre lui. Je constate que pour un intellectuel, il a beaucoup de mal à accepter la moindre critique le concernant. Chaque fois que je lui ai posé une question sur un point qui le dérangeait, il ne m’a pas répondu.

Ses détracteurs l’accusent de pratiquer un double discours. Qu’en est-il exactement ?

En deux ans d’enquête, je me suis entretenu avec plus d’une dizaine de personnes qui me parlaient de son double langage. Curieusement, elles ne s’étaient jamais rendues elles-mêmes à une conférence de Tariq Ramadan, elles ne possédaient aucun enregistrement prouvant ce double discours. Cette situation me rappelle la fable de l’homme qui a vu l’ours. Concernant Tariq Ramadan, c’était plutôt l’homme qui a vu l’homme, qui a vu l’homme, qui a vu l’homme qui, lui, a entendu le double discours. D’ailleurs, les pamphlets de 400 pages sur Tariq Ramadan ne décrivent jamais une situation précise : lieu, date, heure, contexte, dans lesquels Tariq Ramadan aurait appelé à la lapidation des femmes adultères ou à la guerre contre l’Occident. C’est très clair pour moi, je l’ai dit à la télévision suisse récemment, Tariq Ramadan n’a pas de double discours. Ce qui ne veut pas dire que je suis d’accord avec son simple discours.

Au cours de votre enquête, avez-vous rencontré des membres des services de renseignements français. Quel regard portent-ils sur Tariq Ramadan ?

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Oui, les services de renseignements savaient que j’écrivais un livre sur Tariq Ramadan. A plusieurs reprises, des fonctionnaires différents m’ont dit qu’ils ne s’intéressaient pas spécialement à lui. Contrairement à ce que prétendent les pseudos spécialistes du terrorisme, les services secrets français ne sont pas obnubilés par Tariq Ramadan. Avant lui, son père et le reste de sa famille ont été suivis à la trace depuis un demi-siècle. J’en donne des preuves dans mon livre. Si des documents compromettants existaient, Tariq Ramadan aurait depuis longtemps été emprisonné ou du moins interdit de séjour en France ou en Grande-Bretagne, où il réside actuellement.

On parle des « réseaux » Tariq Ramadan. Qu’en est-il exactement ?

Tariq Ramadan n’est pas un organisateur. Il n’a pas, comme le prétendent ses détracteurs, un immense appareil militant à sa disposition. Il a toujours évolué dans des structures légères. En revanche, c’est un homme d’influence, qui, depuis quinze ans, a su nouer des liens dans des milieux fort différents les uns des autres. Ses relations vont des Frères musulmans au trotskystes, en passant par des francs-maçons, des hommes de différentes églises chrétiennes. En d’autres termes, c’est un petit entrepreneur de l’islam européen, pour reprendre la formule du chercheur Vincent Geisser. En fait, le “système“ Ramadan est fragile car il ne repose que sur lui, ou presque.

Tariq Ramadan est très apprécié en Angleterre. Pourquoi existe-t-il en France de nombreuses réticences à son égard, notamment de la part des médias et de la classe politique ?

Beaucoup d’hommes politiques et de journalistes français n’ont jamais lu un « Que sais-je ? » sur l’islam. Les premiers veulent montrer à leurs électeurs qu’ils ont bien pris la mesure de la menace terroriste, les seconds pensent que plus effrayants seront leurs écrits, plus nombreux seront leurs lecteurs. Il leur faut donc un bouc émissaire. Tariq Ramadan est la cible idéale. Il est connu. Son nom est facile à retenir, il s’appelle Ramadan comme le ramadan. Il ne dit pas « Oui missié » en baissant la tête lorsqu’il parle aux autres intellectuels français, et surtout il est le petit-fils d’Hassan Al-Banna. Ce n’est plus « tel père tel fils » mais « tel grand-père, tel petit-fils ». Je constate que les Britanniques, mais aussi les Suisses, les Belges, les Hollandais, se montrent nettement plus ouverts que les “intellectuels“ français.

Quel est le véritable objectif de Tariq Ramadan ?

C’est avant tout un intellectuel, qui veut être reconnu comme tel. Comme un intellectuel européen de confession musulmane et non pas comme un intellectuel musulman parlant uniquement des musulmans et de l’islam. Il se bat pour que les 15 millions de musulmans européens prennent toute la place qui leur revient sur ce continent, que ce soit au niveau politique, économique, culturel, universitaire. Pour moi, le mot « lobby », au sens anglo-saxon, n’est nullement péjoratif. Si des musulmans, des juifs, des noirs, des Indiens veulent créer des associations pour se faire entendre, ils ont raison. Pourquoi n’y-a-t-il pas un seul musulman député dans l’Hexagone ? Ce n’est pas normal. Toutefois, le mot « lobby » dans la bouche de Tariq Ramadan ne veut pas dire « sectaire ». Il préférera toujours un non musulman ouvert, qui défendra aussi les musulmans, à un musulman incompétent, qui fera du tort aux musulmans.

Les éditions Flammarion ont souhaité un livre à charge contre Tariq Ramadan, quelle a été votre réaction devant cette “exigence“ ?

Cette exigence est très récente. On sait que la presse est aux ordres, à l’exception de quelques journaux. En revanche, l’édition était libre en raison de la faiblesse des tirages. Le livre de Caroline Fourest « Frère Tariq », malgré des couvertures de magazines, des émissions de télévision, ne s’est pas vendu, comme me l’a révélé le ministère de l’Intérieur, tout simplement par ce que les Français en général sont moins islamophobes que ne le voudraient un petit milieu de journalistes parisiens et d’“intellectuels“ qui écrivent sur la banlieue en se gardant bien d’y mettre les pieds. La réaction de Flammarion, qui a refusé mon livre sous prétexte que je n’accusais pas Tariq Ramadan d’être un terroriste, est donc un phénomène récent. Nicolas Sarkozy et les 50 personnes qui font l’opinion en France veulent dorénavant tout contrôler.

Pour revenir à mon livre, Thierry Billard, le directeur littéraire de Flammarion, était si embarrassé de refuser mon livre qu’il ne m’a pas réclamé les sommes engagées pour mener mes enquêtes en Egypte, en France, en Allemagne, en Belgique, en Turquie. Toutefois, un boycott des journaux et des librairies concernant mon livre ne m’étonnerait pas.

Tariq Ramadan a-t-il lu votre livre ?

Oui. Il m’a lui-même proposé un débat au café littéraire lors du Salon du livre de Genève en mai prochain. Dans un mail, il reconnaît que ma biographie est différente des autres livres qui sont parus sur lui. Tariq Ramadan me reproche toutefois des « fautes factuelles, des approximations, des conclusions douteuses ». Ce n’est pas très gentil, mais c’est son choix. Je lui ai toujours proposé d’échanger nos informations concernant sa famille (notamment son grand-père et son père), il ne m’a jamais répondu. Comme je l’ai dit dans mon livre, la famille Ramadan – qui est propriétaire du Centre islamique de Genève – n’a jamais permis à personne de consulter ses archives. Est-ce normal qu’un lieu de prière appartienne à une seule famille alors, qu’à l’origine, en 1964, ce Centre comptait dans son conseil de direction des personnalités comme Muhammad Hamidullah, Sayed Abul Hasan Ali, Zafar Ahmad Ansari ?

Propos recueillis par la rédaction


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