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Histoire secrète de la Ve République

Ce livre comme son titre l’indique relate l’histoire secrète de la Ve République. Que nous révèlent justement ces secrets sur le fonctionnement de la Ve République ?

Les sept parties que nous avons dégagées permettent d’emblée de voir que la Vè République est née en flattant le secret : la guerre d’Algérie et l’Opération Résurrection, “coup d’état froid” avec les réseaux de polices parallèles et de services spéciaux (Partie 1). Leurs dérives vont être encore plus patentes patentes au moment de la décolonisation de l’Afrique ( Partie 2 – voir les opérations contre la Guinée ou le Cameroun, la guerre du Biafra).

La 3è Partie avec les prérogatives présidentielles pour la dissuation nucléaire et le poids spécifique du complexe militaro-industriel. De même, les diplomaties secrètes qui sont du domaine réservé du Président (Partie 4) mènent à des dérives dont le citoyen n’a souvent conscience qu’après coup.

Dans ce livre nous révélons beaucoup de faits nouveaux dans ce domaine aussi : sur la prolifération nucléaire et l’aide de la France pour permettre à Israël d’avoir la bombe atomique, le double jeu mittérandien pendant la guerre des Malouines ou encore le jeu ambigu de la diplomatie française et des services spéciaux à l’égard de l’Algérie des années 90.

Techniquement, cela est conforté par le rôle de ces services secrets (dont nous soulignons la modernisation (Partie 5). Enfin dans les deux dernières parties nous décrivons une autre forme de secret qui se niche dans les réseaux financiers et les jeux d’influence qui débouchent sur des scandales majeurs sur le plan économique (du Crédit lyonnais aux frégates de Taiwan), sans oublier les multiples lobbies, corps constitués et réseaux plus ou moins secrets qui prolifèrent souvent au dépend de la démocratie.

En quoi la décolonisation française a structuré l’attitude des élites françaises aussi bien politiques qu’économiques ?

Elle a structuré aussi bien l’attitude des élites maghrebines et dans le reste du continent africain qu’en France (voir le chapitre Les “élites noires” au service du pouvoir gaulliste).

C’est d’ailleurs les relations entre les deux, gérées par des réseaux spécifiques (les Postes de liaison et de renseignement, le système Foccart, les réseaux d’Elf etc…) qui ont fait prospérer aussi bien des grands intérêts français (dans le domaine économique ou stratégiques) que des des dirigeants africains (voir le chapitre “Nos amis les despotes”) qui ont spolié leur propre pays.

Ceci dit, tout en apportant des informations nouvelles, nous étudions ces phénomènes de manière la plus clinique possible, loin des caricatures et des idées reçues (voir par exemple le chapitre sur le Rwanda que j’ai signé avec Jean Guisnel, et qui révèle un document totalement inédit du patron de la DGSE sur la situation dans ce pays au moment du génocide…)

Qui sont ces réseaux occultes, ces lobbies puissants qui agissent à l’ombre de la République ?

Tous ces réseaux agissent plus ou moins ouvertement. Mais surtout, ils l’inervent. C’est pourquoi nous avons souvent réalisés des gros plans, des zooms sur des organismes tout à fait publiques mais puissants par leur esprit de corps (On voit bien par exemple que Ségolène Royal et Dominique de Villepin étaient dans la même promo de l’ENA), ou encore comment le général Rondot était d’une “promo Bugeaud” de Saint-Cyr dans laquelle on retrouve une douzaine des grands responsables du renseignement français…)

C’est aussi vrai du Corps de mines que décrit Martine Orange (l’auteur de la plupart des grands chapitres économiques du livre, dévoilant les dessous de la modernisation de la France (avec le nucléaire civil, les TGV, les télécoms) ou encore la face cachée de l’épopée industrielle (du Concorde à l’Airbus) dans lequel on retrouve évidemment des réseaux et des lobbies puissants

D’autres réseaux sont semi-secrets, comme la Franc-maçonnerie dont Renaud Lecadre nous raconte l’évolution sous la Vè République et le rôle puissant en France et en Afrique ; d’autres sont réellement clandestins, comme certains réseaux de renseignements pendant la guerre froide (décrits par Francis Zamponi) ou encore les réseaux du Vatican.

Certains réseaux sont constitués par l’urgence du moment, par exemple, ce que révèle Rémi Kauffer, c’est la vraie organisation des “barbouzes”, pendant la guerre d’Algérie, pour empêcher l’Organisation armée secrète (OAS) de renverser la République et de tuer le général de Gaulle.

Depuis sa naissance la Ve République a notamment été marquée par les dérives répétées des services secrets. Pourquoi n’existe-t-il pas en France un contrôle parlementaire de ces services ?

La preuve que nous sommes en démocratie c’est que nous pouvons l’apprendre, le décortiquer, l’expliquer au grand public. Il y a même des enquêtes judiciaires, voire des sanctions, depuis l’affaire Ben Barka (le kidnapping du chef de l’opposition marocaine en 1965) jusqu’à l’affaire Clearstream de nos jours. Beaucoup de scandales viennent de ce que les hommes politiques instrumentalisent ces services à des fins partisanes. Mais pendant la guerre froide, ces services secrets (SDECE, DST, RG) ont eu tendance à vouloir être des acteurs politiques et ont commis un certain nombre de bavures, en aidant par exemple des services étrangers de dictatures (voir les Crimes sous Giscard).

Cependant les choses évoluent dans le bon sens, même si le projet de loi sur le contrôle parlementaire des services spéciaux est constamment renvoyé aux calendes grecques. On ne peut pas porter un jugement négatif sur des services qui doivent faire face aujourd’hui à problèmes nouveaux ( du terrorisme islamiste t à la montée en puissance de l’espionnage chinois pour ne prendre qu’un exemple). Dans notre livre, Jean Guisnel révèle le rôle de médiateur de la DGSE entre le Mali et le Niger, de manière à régler de manière pacifique la question des Touaregs. C’est aussi la même DGSE qui a permis à notre consœur Florence Aubenas, enlevée en Irak, de revenir heureusement parmi nous…

Vous soulignez dans le livre la mainmise de la grande finance sur le capitalisme français. Quelles ont été les conséquences de cette mainmise sur l’économie française ?

Ce qui est très original et décrit dans le livre par le menu, c’est la façon dont le général de Gaulle dès la fondation de la Vè République met en forme un “captalisme administré”, sans capitaux ni actionnaires, dans laquelle les banques se retrouvent au cœur du système, en phase avec le ministère des finances et souvent actionnés par des membres de réseaux extraordinairement puissants que sont l’Inspection générale des finances ou le Corps des mines.

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Les mêmes réseaux, après une adaptation pour faire face au capitalisme international sous Pompidou et Giscard, vont devenir sous François Mitterrand, les défenseurs acharnés des vertus de la concurrence. Quand ils ne prennent pas les rênes de grandes entreprises, dont plusieurs vont défrayer la chronique dans la rubrique “délits d’initiés”, “scandales financiers”, “corruption”…

Concernant le chapitre sur l’information, vous évoquez une nomenklatura de l’information constituée en un réseau de 150 personnes ( présentateurs télés, directeurs de magazine, éditorialistes, rédacteurs en chefs de grands médias) qui entretient une connivence avec le pouvoir politique. Les médias en France sont-ils sous contrôle ?

Il ne faut pas caricaturer. Mais, il est vrai que certaines enquêtes et certains récits auraient été difficiles à concevoir dans les medias avec lesquels nous avons l’habitude de collaborer. D’ailleurs plusieurs “scoops” dans le livre proviennent du fait que certaines enquêtes n’avaient pû être publiées en temps réel. Mais plus simplement de poursuite d’investigations sur des affaires qui sont souvent restées en suspens. Nous avons coagulé révélations, éclairages nouveaux sur certaines affaires et mise en perspective de ces événements (un peu oubliés pour les plus anciens, ignorés par les plus jeunes lecteurs).

C’est ce cocktail qui fait l’originalité de ce livre et déjà son succès de librairie…

Ceci dit, il est vrai aussi que puisqu’il s’agit d’une “Histoire”, une certaine distance est possible – parfois difficile quand on travaille à chaud sur une une enquête journalistique – et nous avons eu accès à des documents jusqu’ici inédits. En cinquante ans, des archives et des bouches s’ouvrent.

A la lecture du livre, on se rend compte à quel point la Ve République est à bout de souffle. N’est-il pas temps de changer ce système est de passer à la VI e République comme certains politiques le demandent ?

On peut en effet se poser la question. Mais c’est aux lecteurs d’y répondre. Ce livre n’est pas un plaidoyer. C’est un constat clinique, un audit de ces cinquante dernières années. Certaines tares étaient liées à son origine gaullienne – le domaine réservé par exemple – ou des pratiques encore plus anciennes, comme le “Secret d’Etat” qui remonte au moins à Louis XIV et au Masque de Fer.

Les successeurs de Charles de Gaulle n’avaient peut-être pas son aura historique, son charisme et sa probité. D’où les dérives de plus en plus évidentes. Mais c’est un point de vue personnelle. Les sept auteurs de “l’Histoire secrète de la Ve République” n’ont pas forcément les mêmes points de vue en politique. Mais ils sont tous d’accord pour dire que ce livre est opportun et un outil citoyen à l’heure de grands choix politiques…

Propos recueillis par la rédaction

Roger Faligot est l’auteur de plus de trente livres sur l’histoire contemporaine française (La Piscine, Le Seuil ; Les Résistants et Éminences grises, Fayard ; DST, Police secrète, Flammarion), L’histoire irlandaise et les relations internationales (Histoire mondiale du renseignement, 2 vol, R. Laffont ; La mafia chinoise en Europe, Calmann-Lévy ; Les seigneurs de la paix, Le Seuil). www.roger-faligot.com

Les autres auteurs du livre « Histoire secrète de la Ve République » paru aux éditions La Découverte :

Jean Guisnel, grand reporter au Point et professeur associé à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, est l’auteur de nombreux ouvrages, dont, à La Découverte, Bush contre Saddam. L’Irak, les faucons et la guerre (2003), Guerres dans le cyberespace. Services secrets et Internet (1995), Les Généraux. Enquête sur le pouvoir militaire en France (1990), Services secrets. Les services de renseignements sous François Mitterrand (avec Bernard Violet, 1988).

Rémi Kauffer, écrivain, journaliste et enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris, collabore au magazine Historia, au Figaro Magazine et à La Voix du Luxembourg . Il est notamment l’auteur de : OAS, histoire d’une guerre franco-française (Le Seuil), d’une fresque historique sur la résistance : “Le réseau Bucéphale” (Le Seuil, 2006) Il a co-signé dix ouvrages avec Roger Faligot.

Francis Zamponi est journaliste, documentariste et romancier. Longtemps collaborateur de Libération, dont il a été chef des informations générales, il est un remarquable connaisseur de la police française et des services secrets. Il a notamment publié La police, combien de divisions ? (Dagorno) et Les RG à l’écoute de la France (La Découverte) et plusieurs romans noirs (Actes Sud/Babel noir) ; il a réalisé de nombreux documentaires télévisés et radiophoniques. Renaud Lecadre, journaliste à Libération, est spécialiste des affaires économiques et financières.

Martine Orange, ancienne journaliste au Monde, est rédactrice en chef de La Tribune. Elle a publié deux enquêtes sur les mondes de la grande finance : Une faillite française, consacré à Vivendi (Albin Michel) et, tout récemment, Ces messieurs de Lazard (Albin Michel).

Renaud Lecadre, journaliste à Libération, est l’auteur de Vincent Bolloré, enquête sur un capitaliste au-dessus de tout soupçon ( avec Nathalie Raulin, 2000), Les Frères invisibles. Enquête sur les dérives de la franc-maçonnerie ( avec Ghislaine Ottenheimer, 2001), Nicolas Sarkozy ou le destin de Brutus ( collectif, 2005).

François Malye, journaliste au Point, spécialisé dans les dossiers de santé publique, a notamment publié : Amiante, 10 000 morts à venir (Le Cherche-Midi).

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