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H.Seniguer: “Les pouvoirs publics n’ont pas pris toute l’ampleur des actes islamophobes”

Oumma.com: Vous refusez de faire une lecture ethno-confessionnelle des échauffourées de Trappes?

J'essaie d'être un peu plus nuancé. Sans nier ou évacuer totalement la part ethno-confessionnelle (toute relative à mon sens) de l'épisode émeutier auquel on a assisté à Trappes, je postule qu'elle n'en est absolument pas l'essence ou le moteur principal. Il ne faut surtout pas la surinvestir comme l'ont fait certains commentateurs, au point d'en faire la focale centrale.

Le langage islamique qu'on a parfois entendu sur place, les tenues, les barbes et les foulards quelquefois aperçus ne doivent pas pour autant nous conduire à adopter une grille d'analyse ethno-confessionnelle qui nous ferait passer à côté de l'essentiel, et, pis, à ethniciser notre relation aux banlieues.

D'ailleurs, tous les individus à l'islamité arborée ne réclamaient pas forcément des droits spécifiques ou collectifs, tant s'en faut. A-t-on vu les mosquées, les lieux de culte, les associations islamiques de France et de Navarre se mettre en branle pour converger vers Trappes et revendiquer la suprématie de la foi sur le droit positif ? Non.

Le contrôle d'une femme en niqâb, qui aurait mal tourné, a été un prétexte, une opportunité pour des individus ou groupes, religieux ou non, d'exprimer toutes sortes de frustrations, parmi lesquelles: les contrôles de police au faciès répétés, la relégation sociale, le sentiment, réel ou supposé, d'essuyer une triple discrimination, sociale, spatiale (territoriale) et raciale, etc.

Ce sont ainsi des logiques locales et sociales qui ont primé, même si, une fois de plus, l'islam a pu être pour des individus un cadre structurant à leurs mobilisations. Enfin, les organisations de lutte contre l'islamophobie qui sont montées au créneau devraient insister de manière beaucoup plus franche sur l'illégalité du voile intégral dans l'espace public. 

Oumma.com: Comment expliquez-vous que certaines femmes continuent à porter le niquab en dépit d'une loi qui l'interdit?

À mon sens, si c'est du port du niqâb dans l'espace public qu'il s'agit, de deux choses l'une: soit ces femmes ignorent la loi, soit elles défient la loi. Pour les autres femmes  extrêmement minoritaires   qui continuent de le porter par ailleurs, sans doute estiment-elles, de leur propre point de vue, que la loi céleste ou prophétique supplante la loi civile qu'elles peuvent quelquefois considérer comme violant les droits de l'homme, au premier rang de ceux-là la liberté de conscience. Ce qui n'est pas sans manifester un irrésistible paradoxe ou une contradiction de leur part.

Celle-ci pourrait être formalisée de la sorte : "je suis parfois prête à me mettre hors la loi pour m'afficher publiquement en voile intégral au nom des droits supérieurs de Dieu et de son prophète, cependant que je m'élève contre la loi française au nom de droits humains : les droits de l'homme". Il n'est pas exclu que ces femmes admettent aussi de façon a-critique des lectures rigoristes promues par certains littéralistes exaltés encore une fois "minoritaires"  qui les encouragent à garder le niqâb. Néanmoins, rappelons que le port du niqâb, plutôt favorisé dans des espaces de ghettoïsation qui glisse vers l'entre-soi, est un phénomène très minoritaire qui n'est pas la variable d'ajustement de l'islam de France.

Oumma: Vous avez écrit que la question du Niqab n’est pas liée directement à la laïcité?

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Je ne fais en cela que suivre scrupuleusement le législateur qui a très officiellement reconnu que la loi ne visait au fond qu'à préserver la sécurité de tous, en interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public. Mais, naturellement, personne n'est dupe. La loi est née de la volonté de légiférer sur le port du niqâb. En tout état de cause, dans l'espace public, qui est le lieu de la pluralité, le foulard, le voile intégral ou n'importe quels autres signes religieux ne tombent pas sous l'empire de la laïcité qui s'applique uniquement dans certains endroits précis généralement prévus par la loi. 

Oumma.com: Que pensez-vous de l'attitude pouvoirs publics face à la recrudescence des actes islamophobes?

Il me semble que les pouvoirs publics n'ont peut-être pas pris tout de suite l'ampleur de ces actes, visiblement en hausse, qui ne touchent pas seulement des individus, puisque des édifices religieux musulmans sont également régulièrement touchés par différents types de souillure. À l'origine de l'attitude quelque peu retenue ou contenue des pouvoirs publics, notamment du ministère de l'Intérieur, hier comme aujourd'hui, il y a peut-être une polémique sémantique.

Le vocable islamophobie a fait couler beaucoup d'encre ces dernières années, certains estimant, à tort ou à raison, qu'il a pour finalité, chez ceux qui l'utilisent ou le brandissent, à désamorcer la libre critique des religions. Si certains musulmans, groupes, organisations ou personnes l'emploient effectivement pour contrarier le droit au blasphème, en revanche la polémique sémantique, aussi justifiée soit-elle du point de vue scientifique, ne doit certainement pas occulter la réalité d'actes anti-musulmans dans notre pays.

Aussi, de plus en plus de concitoyens de confession musulmane ont l'impression, à tort ou à raison, que les plus hautes autorités de l'État ne prennent pas suffisamment en considération les discriminations dont ils font l'objet. Et ils vivent cela comme une profonde injustice, voire une défiance vis-à-vis des souffrances qu'ils peuvent exprimer ou taire.  

Dans son blog, le députe Noël Mamère estime qu'il faut « accepter une certaine logique communautaire, en s’appuyant sur les forces vives de « l’empowerment », c’est à dire la capacité des populations à faire surgir en leur sein de nouvelles élites urbaines, comme aux Etats-Unis ou en Afrique du Sud ? » Partagez-vous ce point de vue? 

En partie seulement. Assurément, de fait, les communautés, confessionnelles ou non, existent dans notre pays. Si je puis dire, des logiques communautaires, parfaitement légales du reste (celles qui ne substituent pas à la loi de la République d'autre
s lois), sont déjà à l'oeuvre. Toutefois, si de prime abord la proposition de Noël Mamère semble séduisante, il m'est avis qu'elle ne fait que renforcer le préjugé selon lequel seul un traitement spécifique, seul un rapport communautaire avec les populations issues de l'immigration, et quelquefois aussi musulmanes, est la planche de salut pour résoudre les discriminations qu'elles subissent. Or, dans ce cas, on n'affronte pas le problème de face, on le contourne et on aggrave les barrières communautaires.

Sans vouloir donner dans un républicanisme abstrait, il est possible de préserver la singularité du modèle français, celle d'une laïcité égalitaire ou inclusive (qui s'applique à tous de la même façon), à la condition expresse que l'État, ses services, ainsi que toutes les instances de socialisation prennent à bras le corps ce problème massif, en l'examinant sous toutes ses coutures, c'est-à-dire en scrutant les sources et les manifestations de toutes ces discriminations. Pour ma part, j'incline fort à penser qu'il faut commencer par retisser, du plus haut sommet de l'État jusqu'à la base, les fils rompus de la confiance réciproque.

C'est par la reconnaissance des difficultés et des problèmes, notamment ceux rencontrés par les "minorités", que le pacte social et laïque en sortira renforcé. À ce titre, le discours public est de prime importance symbolique. La grandeur d'une nation se mesure également à l'aune de cette capacité critique à écouter les revendications et à les discuter. Je crois qu'il faut associer deux paramètres: le socio-politique et le religieux, notamment du côté de ceux qui veulent communautariser l'affaire (politiques et radicaux de l'islam).

Propos recueillis par la rédaction

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