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Guillaume Weill-Raynal : « Il y a un véritable climat de maccarthysme autour de la critique d’Israël. »

Juriste de formation, ancien avocat, Guillaume Weill Raynal est un empêcheur de penser (l’image) en rond. Iconoclaste, libre dans sa tête et ses propos, il est l’auteur notamment d’un livre remarquable « Les nouveaux désinformateurs » (éd. Armand Colin). Il s’exprime, ici, sur un sujet que les médias, en France, « colorent » par un parti pris déconcertant : les rapports entre Juifs et Arabes, les médias et le conflit du Moyen-Orient. Entretien !

Vous êtes l’auteur du livre « Les nouveaux désinformateurs ». Abordons, si vous le voulez bien, la nouvelle crise au Moyen-Orient. Israël a fait de cette guerre une « guerre d’images » en verrouillant l’accès aux sources des journalistes. Quelle est la part de la désinformation dans cette affaire ?

On peut effectivement parler de verrouillage. A ce titre, je ne pense pas que l’on puisse parler de désinformation au sens où j’analyse ce phénomène dans Les Nouveaux désinformateurs, à savoir un ensemble de procédés et de mécanismes précis par les effets indirects desquels on manipule consciemment l’opinion. Ce que Volkoff appelle l’effet de levier, ou que d’autres appellent le « coup de billard à trois bandes ». Pour en revenir à Gaza et au verrouillage que vous évoquez, c’est bien plutôt de degré zéro de l’information qu’il faudrait parler : « circulez, il n’y a rien à voir », en quelque sorte. Sans aucun bénéfice à la clé, d’ailleurs ! Ni sur le plan militaire ou stratégique, car les Israéliens se retirent sans être parvenus à éliminer le Hamas et les tunnels entre Gaza et l’Egypte sont déjà en reconstruction. Ni sur le plan de la « communication » : l’image d’Israël n’a pas été franchement améliorée par ces trois semaines de combat, malgré l’absence de journalistes sur le terrain, bien au contraire.

Justement, en termes d’images, quelles seront, pour vous les conséquences, à court terme et à long terme ?

Il y a bien sûr les images les plus immédiatement négatives des conséquences des combats : destructions, victimes etc. C’est au départ ce qui frappe le plus l’opinion. Mais nous ne leurrons pas. Ce qui touche et émeut sur l’instant s’oublie aussi très vite. D’autant que, sur ce terrain, le débat devient rapidement stérile et tourne en rond : qui a rompu la trêve ? Israël pouvait-il accepter le bombardement de son territoire, même si les roquettes et les missiles du Hamas ont causé infiniment moins de dégâts et de victimes etc.

Et puisque nous parlons d’ « image », ne perdons pas de vue, non plus, que le Hamas n’incarne pas, par ses méthodes et sa vision du monde, l’image la plus séduisante de ce à quoi pourrait ressembler, à l’avenir, la société palestinienne. Au-delà de l’émotion immédiate, ce qui ressort de la politique israélienne, c’est l’absence de toute perspective, de toute vision d’avenir sur le plan politique. Non pas seulement parce que le but d’éliminer le Hamas n’a pas été atteint par cette campagne.

On a l’impression que l’armée israélienne a voulu effacer l’impression désastreuse du ratage de la guerre du Liban en 2006. Mais excepté le fait que les pertes israéliennes ont été limitées au maximum, les buts de guerre ne semblent pas avoir été mieux atteints cette fois-ci que la précédente. Surtout, il aurait mieux valu ne pas « nourrir » le Hamas et le faire croître par un affaiblissement systématique de l’Autorité Palestinienne, comme l’ont fait méthodiquement les différents gouvernements israéliens qui se sont succédés depuis bientôt quinze ans. Il faut arrêter de regarder le conflit par le petit bout de la lorgnette.

Le conflit israélo-palestinien n’a pas débuté par les tirs de roquettes sur Sderot. Le Hamas n’est pas la cause de ce conflit. Il est le prétexte qui permet de ne pas en regarder les causes réelles, de s’exonérer de toute responsabilité, de toute obligation dans l’avenir quant à sa résolution. Je suis frappé du caractère surréaliste des déclarations officielles des dirigeants israéliens qui disent vouloir s’en tenir au « processus d’Annapolis » alors que celui-ci fait du surplace depuis le début. Je me suis demandé si Condy Rice faisait de l’humour noir lorsqu’elle a déclaré, il y a quelques mois, que ce processus était « irréversible », comme gage de la bonne volonté de l’administration Bush de progresser sur le chemin de la paix.

Les mêmes responsables avaient précédemment tenu un discours similaire sur la « feuille de route » (qui prévoyait la création d’un Etat palestinien en 2005…), dont la seule évocation incantatoire avait fini par leur tenir lieu de projet politique : ils martelaient qu’il fallait « s’en tenir à la feuille de route », jusqu’à ce que cette feuille finisse dans la corbeille à papier. On oublie que ceux qui tiennent ce discours dirigent Israël depuis 1996 (à l’exception d’Ehoud Barak entre 1999 et 2000) et qu’ils avaient été, dès son origine, les adversaires les plus résolus du processus d’Oslo, précisément parce que ce processus était inspiré par la volonté réelle, affirmée, de parvenir à la paix, et que Yitzhak Rabin s’attachait à le faire avancer concrètement. Il y a dans tout cela une très grande hypocrisie, et je crois que c’est au bout du compte l’image que l’Histoire retiendra de la politique israélienne actuelle

Depuis le déclenchement de la seconde Intifada, en 2000, une partie importante de la communauté juive de France – en tout cas de ceux qui parlent en son nom – s’est considérablement – et vous l’expliquez dans votre livre – « néoconservatisée » et a su instrumentaliser l’antisémitisme comme un argument pour disqualifier toute critique à l’égard d’Israël. Expliquez-nous la réalité de ce phénomène ?

J’avais été frappé, dès la fin de l’année 2001 par l’apparition d’un discours très construit, mais très biaisé, sur ce qu’on a appelé, à l’époque, le « nouvel antisémitisme ». J’y ai consacré un livre Une haine imaginaire, paru en 2005. J’y montrais, effectivement, par quels procédés on avait tenté à l’époque de faire peser le soupçon d’antisémitisme sur toute critique, même raisonnable, de la politique israélienne. Par la suite, j’ai montré dans Les Nouveaux désinformateurs comment cette forme d’intimidation pouvait être utilisée pour brouiller aussi toute critique de la politique américaine. Des gens « sérieux » ou réputés tels vous expliquaient sans rire, que la critique de la politique américaine relevait d’une forme d’antiaméricanisme obsessionnel, qui lui-même se rattachait à l’antisémitisme.

Oser utiliser l’appellation d’hyperpuissance pour qualifier la situation spécifique des Etats-Unis dans le contexte de l’après-guerre froide vous transformait de facto en adepte de la « théorie du complot », et donc en héritiers de ceux qui croyaient à la réalité du Protocole des Sages de Sion ! On aurait pu croire que de telles outrances finiraient par mourir de leur propre inanité. Mais il s’est trouvé par la suite des gens pour soutenir tout aussi sérieusement que l’anti-sarkozysme était un antisémitisme ! Et ces discours ne sont pas que des élucubrations théoriques. Chaque trimestre apporte son nouveau lot d’ « affaires » : Siné ? Antisémite ! Viré ! Le sous-préfet Bruno Guigue ? Antisémite ! Limogé ! Dernier exemple en date : au mois de décembre dernier, Stéphane Hessel, ancien résistant, ancien déporté, corédacteur de la charte universelle des Droits de l’Homme, avait été invité par le Mémorial de la Shoah pour présider le 60ème anniversaire de ladite charte.

Quoi de plus naturel, au vu d’un pareil « curriculum vitae » ? Plusieurs organisations de la communauté juive ont exercé des pressions pour que le Directeur du Mémorial revienne sur ce qu’elles appelaient une « erreur de casting », en raison des critiques formulées par Stéphane Hessel contre la politique actuelle du gouvernement israélien. Elles ont soutenu que la présence d’Hessel salirait la mémoire des victimes de la Shoah. Et elles ont obtenu gain de cause ! Personnellement, j’aurais tendance à considérer que c’est bien plutôt l’action de ces organisations qui a souillé la mémoire des victimes du nazisme. Il règne aujourd’hui un véritable climat de Mac Carthysme autour de tout ce qui touche à la critique d’Israël et ce climat est entretenu par cette instrumentalisation de l’antisémitisme dont nous parlons.

Prenons l’exemple de la mort de Mohammed Al-Dura et les images de son agonie diffusées par France 2. Cette affaire est devenue l’archétype de la désinformation puisque, aujourd’hui, des milieux communautaires et autres en France et ailleurs, accréditent la thèse d’une manipulation médiatique. Quels sont les ressorts de cette affaire ? Et comment expliquez-vous que des intellectuels juifs de renom valident cette version des faits ?

Je travaille sur cette affaire depuis plusieurs années. Elle est simple et limpide. Il suffit de regarder de bonne foi toutes les prises de vues réalisées le 30 septembre 2000 au carrefour de Netzarim pour constater qu’il ne peut pas s’agir d’une mise en scène et que les tirs qui ont touché le petit Mohamed Al Dura venait bien de la position israélienne. Des pseudos experts prétendent avoir réussi à démontrer le contraire. En temps normal, leurs arguments feraient sourire toute personne dotée d’un minimum de bon sens. Mais manifestement, nous ne sommes pas « en temps normal ».

Ces prétendus experts ont été relayés par des « intellectuels » de renom – je ne dis pas de valeur… – qui, journaliste, qui, sociologue, qui philosophe, qui directeur de recherche au CNRS, ont cru devoir valider et cautionner leurs « travaux » sans la moindre réserve, alors que ces travaux s’apparentent, dans la démarche intellectuelle, à celles de Faurisson ou de Thierry Meyssan : la négation acharnée, obsessionnelle et absurde du réel. Même avec des gens qui me sont proches, j’ai beaucoup de mal, aujourd’hui, dans la communauté juive à parler de cette affaire.

Les gens ne veulent pas écouter les arguments pourtant simples qui permettent de rétablir la vérité. C’est une ambiance qui ressemble un peu à celle du Rhinocéros de Ionesco. Comment expliquer cela ? Il y a de multiples interprétations. Disons que cette affaire soulève une telle indignation chez ceux qui croient à la thèse de la mise en scène, qu’elle ressoude le groupe, resserre sa cohésion et restitue une légitimité pleine, entière, absolue, totale à ses croyances et à ses valeurs.

Ce qui dispense ses membres de s’interroger et de réfléchir. Croire à la thèse de la mise en scène, c’est croire à l’innocence absolue d’Israël dans le conflit. Dans les années 70, même chez les sionistes de gauche, il était fréquent d’entendre un discours selon lequel le « problème palestinien », comme on disait alors, était un « faux problème », qu’il n’y avait pas de peuple palestinien, qu’il s’agissait d’une fiction inventée par les pays arabes pour nuire à Israël etc.

L’affaire du petit Mohamed est bien dans le prolongement de ce discours. Mais, autre temps autres mœurs, on est passé de l’ère de la rhétorique politique à celle de la fable édifiante, du Story Telling, comme on dit : l’affaire du petit Mohamed tient lieu de grille de lecture globale du conflit, et elle vient vous dire qu’il ne peut y avoir, par nature, de victimes palestiniennes. Il n’y a que des comédiens, des figurants ! C’est assez effrayant de voir tant de gens sombrer dans de pareilles bêtises.

Caricatures du Prophète, affaire Siné, etc. Comment expliquez-vous que l’islamophobie ne suscite que très peu d’indignation et que la figure du musulman prend de plus en plus place de celle du « nouveau bolchevik » ? Quels sont les soubassements idéologiques de cette posture intellectuelle ?

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Difficile de parler de tout cela en quelques mots, d’autant que je prépare actuellement un livre sur ce sujet un peu compliqué. Effectivement, la figure diabolique de l’islamo-gauchiste tend à se substituer à celle du judéo-bolchevique. C’est à la fois simple et compliqué parce que je me suis rendu compte en travaillant sur la notion d’instrumentalisation que finalement le fond du discours a moins d’importance que la façon dont on l’utilise. Le racisme comme l’antiracisme peuvent être tour-à-tour instrumentalisés, en tant que discours, comme un outil : une légitimation a posteriori d’un simple rapport de forces.

Les « valeurs » sont interchangeables. Ce qui explique que toutes les cartes sont brouillées aujourd’hui et que la thèse d’Alain Finkielkraut selon laquelle l’antiracisme constituerait le nouveau totalitarisme du vingt-et-unième siècle est devenue une nouvelle tarte à la crème. L’audace apparente du paradoxe permet souvent de donner à un contresens le masque séduisant de l’idée neuve. Mais cette inversion du sens des mots cache aussi une permanence d’un discours raciste très classique.

La lutte de la civilisation contre les barbares est une vieille rengaine de l’héritage colonialiste le plus traditionnel. Dans l’affaire dite des Caricatures, Philippe Val a monté toute une campagne pour faire croire que la liberté d’expression était menacée par l’obscurantisme des fondamentalistes. Mais si la publication des dessins litigieux relevait effectivement de l’exercice de la liberté d’expression, elle n’en constituait pas moins une provocation, au sens littéral du terme : non pas illicite juridiquement, mais outrancière, volontairement blessante.

Dès lors, l’action en justice des associations musulmanes, relevait, elle aussi, d’une forme de liberté d’expression. Lorsque vous provoquez inutilement les gens, il ne faut pas se plaindre que ceux-ci vous fassent un procès, qu’ils saisissent un juge, précisément pour faire entendre leur voix. Val vous dira qu’un débat ne passe pas forcément par le tribunal.

C’est vrai, mais en l’espèce, il a tout fait pour que le procès ait bien lieu, puisqu’il a volontairement saboté un arrangement qui venait d’être conclu avec Dalil Boubakeur. Dans son livre, consacré à cette affaire (1) Val feint de s’étonner de la brusque volte-face de Boubakeur, mais dans le film de Daniel Leconte(2) Caroline Fourest vend maladroitement la mèche : quelques jours avant la conférence de presse commune que Val et Boubakeur devaient tenir, Charlie Hebdo a publié une nouvelle caricature, non plus du prophète, mais du recteur de la mosquée de Paris, croqué en chien obèse, et bavant sur les genoux de Jacques Chirac.

Et Caroline d’expliquer en souriant avoir aussitôt compris, en voyant ce dessin, que la conférence de presse n’aurait pas lieu… Dans ces conditions, on est en droit de rester perplexe, lorsque Philippe Val rameute ensuite le ban et l’arrière-ban de l’élite intellectuelle à l’audience du tribunal, Elisabeth Badinter en tête, pour nous expliquer que des méchants musulmans engagent un procès pour faire interdire la liberté d’expression et que la République est en danger !

Entre les Français d’origine juive et arabe, les signes de « fractures » se multiplient. De nombreux Juifs considèrent que les musulmans de France constituent une sorte de menace pour eux. Comment analysez-vous cette crispation qui est en train de s’installer sérieusement dans les esprits ? Tout indique le « conflit du Moyen-Orient » est devenu le prisme à travers lequel tout ou presque se détermine.

A un certain niveau, de l’huile a été mise dans les rouages et certaines choses se passent plutôt mieux qu’au début de la décennie, lors du déclenchement de la seconde intifada. Le CRIF et le CNCM se rencontrent et se parlent. Mais ces échanges contribuent eux-mêmes à la communautarisation du conflit. Je ne suis pas certain que ce soit le rôle de responsables religieux et communautaires de délivrer la grille de lecture d’un conflit politique. Par ailleurs je ne sais pas trop quoi penser des rapports, ici en France, entre la « rue arabe » et la « rue juive », si vous me permettez cette expression.

Il y a certes un climat d’incompréhension, mais chacun a pu manifester pour « son camp » et quoi qu’en disent certains, les incidents violents ont été limités. Je me garderais bien d’affirmer, comme l’a fait le Président du CRIF que 95% des juifs de France soutiennent la politique actuelle de l’Etat d’Israël et j’en sais encore moins sur l’état réel de l’opinion de telle ou telle autre communauté.

Il faut se garder de toute généralisation, d’autant que tout sondage ethniquement ciblé est interdit en France. C’est déjà une forme d’essentialisation de supposer que l’on se détermine dans tel sens plutôt que dans tel autre selon que l’on appartient à tel ou tel groupe. Et même ceux qui se déterminent en ce sens – il y en a ! – ne le font pas 24 heures sur 24. Leur vie, heureusement, ne se résume pas qu’à cela ! Ce qui est certain, c’est que la clé n’est pas ici, mais « là-bas » : dans la solution des conflits du Proche-Orient. Les mois qui viennent vont voir plusieurs fenêtres s’ouvrir, mais dans quelle amplitude et pour combien de temps ? Quelle sera la nouvelle orientation de la politique étrangère américaine ? Des élections ont lieu en Israël, dans quelques semaines : quel sera le prochain premier Ministre et avec quelle coalition ? Et n’oublions pas que des élections ont lieu aussi en Iran, en juin prochain !

Propos recueillis par Amel Djait

Notes :

(1)Reviens Voltaire, ils sont devenus fous, Grasset

(2)C’est dur d’être aimé par des cons

Cet entretien paru sur le site www.webmanagercenter.com a été publié avec l’accord de Guillaume Weill-Raynal dont vous pouvez lire d’autres articles et entretien et sur oumma.com et oummatv.

http://oumma.com/Le-carnaval-des-imposteurs

http://oumma.com/Le-systeme-Leconte

http://www.oummatv.tv/Comment-fonctionne-la

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