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« Frère Jocelyn »

« Peuple élu », « pauvreté spirituelle », « l’estomac du juif », « Mur des Jérémiades », « dieu sanguinaire »… On pourrait croire que toutes ces expressions haineuses sont extraites d’un site d’extrême droite antisémite. Et pourtant non ! Elles figurent sur un site prétendument « laïque » soutenu par un certain nombre d’associations se réclamant de la « gauche républicaine ». Dans cette étude inédite, Vincent Geisser, chercheur au CNRS, analyse textes à l’appui la rhétorique antisémite de J. Bézecourt, animateur du site www.atheisme.org et proche de l’Union des familles laïques (UFAL). Il tente ainsi de dégager la spécificité de cet antisémitisme républicain qui s’inscrit moins dans l’héritage chrétien de l’antijudaïsme ou dans la tradition de l’antisémitisme nationaliste d’extrême droite que dans celle de l’antisémitisme laïque de gauche, hérité de Voltaire. Cette filiation « noble » explique peut-être le silence actuel des associations laïques face à une évidente dérive antisémite d’un des leurs.

Le 5 novembre dernier paraissait sur ce même site oumma.com un article d’Antoine Haddad intitulé « Le vrai visage des nationaux-laïcistes : quand l’antisémitisme pointe sous l’islamophobie ». Dans celui-ci, l’auteur mettait à jour les « accents antisémites » d’un texte publié par Jocelyn Bézecourt, animateur du site www.atheisme.org, connu pour ses analyses passionnelles sur l’islam et les musulmans de France. A. Haddad s’étonnait ainsi qu’un polémiste « réputé » pour ses positions islamophobes puisse également verser dans un antijudaïsme, voire même un antisémitisme à peine larvé. Quelques jours plus tard, dans l’hebdomadaire indépendant Actualité juive, le spécialiste de l’extrême droite, Jean-Yves Camus déplorait que « derrière la lutte contre les intégrismes religieux peut pointer la haine de la religion tout court, et derrière l’opposition à l’islamisme, un vieil anti judaïsme bien français »1. Si nous partageons ces conclusions sur l’évident « dérapage antisémite » de J. Bézecourt, nous souhaiterions apporter un certain nombre de précisions. D’abord, il ne s’agit pas d’un « accident antisémite » mais bien d’une confirmation : sur son Web site, J. Bézecourt a publié trente-cinq textes sur le judaïsme en France et dans le monde (Canada, USA, Israël…) qui relèvent tous de la même ambivalence, ses propos naviguant en permanence entre « antijudaïsme » et « antisémitisme ». Ensuite, l’idéologie sous-jacente aux articles de J. Bézecourt relève moins de l’héritage nationaliste de droite et d’extrême droite (filiation maurrassienne)2, comme le prétend Antoine Haddad, mais davantage de l’antisémitisme de gauche laïque (filiation voltairienne)3. Enfin, l’athéisme de Jocelyn Bézecourt n’est pas simplement une façade présentable à ses lecteurs, mais l’un des vecteurs majeurs de son combat prétendument républicain. De ce point de vue, l’on peut affirmer que J. Bézecourt est « sincèrement antisémite » ou plutôt « sincèrement judéophobe », comme il le revendiquait lui-même lors d’une conférence donnée récemment à la mairie du IIe arrondissement de Paris : « Pour ma part, je vous l’avoue, je me sens pleinement islamophobe autant que judéophobe, christophobe ou autre »4. On ne peut pas être plus clair : J. Bézecourt assume ouvertement sa judéophobie (et son islamophobie) et, de plus, dans une enceinte de la République française (la mairie de Paris).

Sur ce plan, il convient de relire plus attentivement les historiens de l’antisémitisme moderne, et notamment les spécialistes américains, qui nous apprennent que, depuis la Révolution de 1789, il existe bien un « antisémitisme laïque », se distinguant nettement de l’antijudaïsme chrétien (de type Mel Gibson par exemple)5 et de l’antisémitisme national-conservateur (de type Le Pen ou Gollnish)6. Force est d’admettre que l’antisémitisme de l’animateur du site www.atheisme.org n’a rien à voir avec Monseigneur Lefebvre ou le Front national, et encore moins avec Charles Maurras. C’est cette confusion que nous voudrions lever ici, sans minimiser pour autant sa « portée discriminatoire ».

Avant de procéder à un décryptage minutieux de l’antisémitisme républicain, véhiculé par les écrits de J. Bézecourt, nous allons rendre compte brièvement des origines et des principaux ressorts actuels de cet antisémitisme de type voltairien.

La faute à Voltaire ? Un antisémitisme d’origine laïque

Les universitaires et les chercheurs français travaillant sur la question de l’antisémitisme éprouvent une certaine difficulté à conceptualiser ses manifestations post-révolutionnaires de type jacobin, laïque et républicain. Pour ces derniers, la haine du juif relèverait principalement de deux postures majeures : l’antijudaïsme chrétien traditionnel7 ou l’antisémitisme moderne nationaliste8. Récemment, certains auteurs ont ajouté une troisième « variante » : la judéophobie ou l’antisémitisme arabo-musulman, comme produit dérivé du conflit israélo-palestinien9. En revanche, on recense très peu de travaux français sur l’antisémitisme laïque et républicain. Encore une fois, comme pour la compréhension du « syndrome de Vichy » (Robert O. Paxton)10, les analyses éclairantes sont venues des Etats-Unis. Concernant cet antisémitisme franco-français d’origine laïque, on doit notamment les développements les plus pertinents à Arthur Hertzberg, professeur à la New York University (NYU) et président du Congrès juif américain (AJC). Dans un travail remarquable, publié pour la première fois en 1968, intitulé The French Englightenment and The Jews. The Origins of Modern Anti-Semitism, traduit en français sous le titre Les origines de l’antisémitisme moderne (2004), ce dernier remet en cause radicalement la thèse selon laquelle la laïcité « à la française » aurait constitué un rempart absolu au développement de la haine antijuive. Au contraire, l’historien américain montre, qu’elle a même favorisé une nouvelle forme d’antisémitisme qui a utilisé les arguments de l’universalisme républicain pour mieux pénétrer les couches intellectuelles de l’Hexagone. C’est en ce sens que A. Hertzberg parle de l’émergence en France d’une véritable « théorie antisémite laïque »11 qui est venue en quelque sorte marginaliser l’antijudaïsme chrétien : « L’antisémitisme moderne et laïc s’est formé, non pas en réaction aux Lumières et à la Révolution, mais en leur sein même. Certains grands fondateurs de l’ère libérale se chargèrent personnellement de le moderniser et de le rendre laïc. Cette métamorphose donna de nouvelles et puissantes racines, en rattachant la haine des Juifs à des traditions païennes pré-chrétiennes »12. On peut, certes, contester la radicalité de la thèse de l’historien américain13, mais, elle a au moins le mérite de démystifier l’idée de naturalité de la « tolérance républicaine » et de montrer que la « laïcité française » mal comprise peut être également source d’intolérance religieuse et de discrimination ethnique. Tous les laïcistes ne sont pas antisémites, loin s’en faut, mais un certain laïcisme radical, tel que celui prôné par Jocelyn Bézecourt, conduit inévitablement au rejet du fait minoritaire au profit d’un culte de l’homogénéité : la laïcité se trouve érigée en norme absolue de jugement, jusqu’à conduire ses défenseurs à l’exclusion ou à la volonté de « régénérer » autoritairement l’Autre (le chrétien croyant, le Juif, le musulman, le laïque libéral qui se sont écartés de la norme…). A cet égard, Jocelyn Bézecourt et certains membres de l’Union des familles laïques (UFAL) se situent bien en filiation directe avec l’antisémitisme voltairien14 : « Pour Voltaire, la malhonnêteté des Juifs dans la Bible et dans l’histoire est une obsession. Il est vrai qu’il attaquait la Bible pour mieux frapper le christianisme, mais nul ne peut lire ces attaques sans avoir la conviction croissante, fondée sur des centaines de référence au judaïsme, que le philosophe les considérait comme des être radicalement différents […]. De son vivant, les travaux de Voltaire encouragèrent l’antisémitisme et constituèrent l’un des principaux obstacles à la libération des Juifs. Pour le siècle qui suivit, il fournit les fondements et la rhétorique d’un antisémitisme laïc. Ces deux éléments nous poussent à considérer Voltaire lui-même comme un antisémite. Pour l’histoire, il reste à jamais le principal architecte des ambivalences qui entourèrent l’émancipation »15. On remarquera au passage que la référence à Voltaire est récurrente sur les sites de la nébuleuse national-républicaine (UFAL, Mouvement des Maghrébins Laïques, Comité Laïcité République, Lutte contre l’obscurantisme, Résistance pour une école républicaine, ….), ces derniers ne retenant de l’œuvre du philosophe que le registre « libérateur » et « anticlérical », occultant délibérément le registre antisémite et anti-mahométan (l’ancêtre de l’islamophobie actuelle). Or, lorsqu’on veut émanciper et régénérer l’Autre à sa place (le musulman, le Juif, le métèque…), on finit par le mépriser ou, pire, par le nier dans sa particularité qui n’est d’ailleurs pas forcément incompatible avec les valeurs dites « universelles ». Aussi les dérapages antisémites de certains auteurs et responsables associatifs laïques, qui nous avaient jusqu’à présent habitué à leurs « obsessions antimusulmanes », ne devraient-ils plus aujourd’hui nous étonner : ils participent du même complexe régénérateur qui vise à imposer une « norme laïque », érigée en Vérité absolue, légitimant une forme de « totalisme » de la pensée.

Le nœud colonial : antisémitisme et haine antimusulmane au nom de la République

Toutefois, on commettrait probablement une erreur d’interprétation si on limitait cette manifestation d’intolérance laïque à son versant théorique et philosophique. Celle-ci a connu malheureusement des « terrains d’application » bien réels. De ce point de vue, l’Algérie coloniale a constitué un contexte propice au développement simultané d’un antisémitisme laïque et d’une haine antimusulmane qui se sont réclamés ouvertement des valeurs progressistes et républicaines. A ce propos, on ne peut que conseiller de relire les travaux forts documentés de l’historien Charles-Robert Ageron qui soulignent cette prégnance d’une culture antisémite dans certains milieux républicains radicaux de l’Algérie française, culture qui entendait jouer pleinement sur la division entre les « autochtones » (Juifs/Musulmans) pour mieux asseoir la domination des colons. La représentation stratégique, fortement entretenue, d’un conflit latent et permanent entre « indigènes juifs » et « indigènes musulmans » participait du processus de consolidation du pouvoir colonial : « L’Algérie coloniale se croit alors en marche vers l’autonomie et se déclare résolument antijuive […]. Surtout depuis le décret Crémieux, voulu par les colons algériens pour diviser la masse indigène et regretté par eux du jour où ils s’aperçurent que la masse des voix juives pouvait arbitrer leurs élections, l’antijudaïsme est, en Algérie, une plate-forme électorale »16. C.-R. Ageron rappelle que certains républicains patriotes avaient même composé à l’époque (années 1890) une « Marseillaise antijuive »17. Ainsi, l’antisémitisme ne se limitait pas exclusivement aux milieux conservateurs de droite (les milieux anti-dreyfusards) mais touchait également très largement les milieux socialistes et républicains : « Le mouvement socialiste, né en Algérie dans la conjoncture économique difficile (…) trouva vite une certaine audience en dénonçant dans le Juif ‘le capitaliste oppresseur et spoliateur’. Anticapitalisme et antisémitisme paraissaient liés dans un pays où la terre était le capital et où les Juifs faisaient notamment fonctions de courtiers, huissiers, d’avoués ou de marchands de biens »18.

Il ne s’agit pas de soutenir ici la thèse simpliste, selon laquelle la France des années 2000 reproduirait ex nihilo ce contexte colonial. Néanmoins, on notera la perpétuation d’une tendance chez certains responsables laïques et républicains à renvoyer les Juifs et les Musulmans à leur communautarisme respectif, comme si ces derniers n’étaient pas complètement parties prenantes de la culture majoritaire (sous-entendue républicaine et laïque) et qu’il fallait donc encore les aider à s’émanciper de leur esprit grégaire. Tout le monde se souvient encore de cette phrase malheureuse prononcée par le président de la République, François Mitterrand, aux lendemains de la première guerre du Golfe (mars 1991) : « Je remercie les communautés musulmane et juive qui ont donné l’exemple de la sagesse et du sang froid »19. Cette déclaration contenait en creux la représentation dramatique de deux « communautés » censées s’entredéchirer ou s’entretuer.

Si l’Eglise catholique est toujours combattue par les « laïques radicaux » par peur qu’elle ne restaure sa domination passée sur la société française, les juifs et les musulmans pratiquants sont surtout perçus en termes d’archaïsme, d’obscurantisme, porteurs de la tare d’une « orientalité primitive », qu’il convient d’expurger à tout prix du corps national. Le projet de « laïcisation » porté par des associations comme l’UFAL renvoie bien à une opération de « purification nationale » : purifier la nation républicaine de ses stigmates communautaires.

C’est donc bien dans cette double perspective de l’héritage antisémite voltairien et de la perpétuation de représentations néocoloniales, qu’il convient maintenant de décrypter la judéophobie laïque et païenne de Jocelyn Bézecourt.

Décryptage du discours de « Frère Jocelyn » : une judéophobie laïque et païenne

S’abritant derrière une rhétorique virulemment anticléricale, qu’il prétend appliquer à toutes les religions monothéistes, J. Bézecourt n’en développe pas moins une vision très particulière – pour ne pas dire particulariste – du judaïsme qui reprend les grands thèmes de l’antisémitisme voltairien avec, toutefois, l’apport de préjugés néocoloniaux sur le judaïsme sépharade maghrébin. Si l’on ne peut nier une certaine sincérité de l’auteur dans son rejet radical de toutes les religions (« je me sens pleinement islamophobe autant que judéophobe, christophobe… »), il difficile de ne pas déceler chez lui la présence d’une vision fondamentalement péjorative du judaïsme, représenté comme une religion dégénérée, portée par des débiles (les rabbins), à destination d’adorateurs niais et aveugles. Le judaïsme français est ainsi identifié à une secte fanatique et obscurantiste, sous le contrôle d’un gourou oriental, le Grand rabbin « Haim-Sitruk »20, dont J. Bézecourt rappelle au passage qu’il est né en Tunisie, pour mieux signifier son extériorité à « notre » culture nationale : « Le premier personnage du judaïsme français ne sait que tenir des propos simplistes qui ravissent les niais et les adorateurs aveugles […]. On est confondu par tant d’absurdité. Sitruk, afin de montrer qu’il n’est pas le personnage austère que sa barbe abondante laisserait supposer, tente quelques traits d’humour qui ne dérident que son public et consternent plutôt le téléspectateur par ses piètres qualités de comique et de comédien. L’allocution du rabbin Sitruk n’aura été, du début à la fin, qu’une suite ennuyeuse et exécrable de propos approximatifs, de phrases sans envergure, de réflexions basses et simplistes, qui, néanmoins, ne manquaient pas d’impressionner un auditoire béat »21.

Les preuves irréfutables du caractère fondamentalement dégénéré et spirituellement pauvre du judaïsme par rapport aux autres monothéismes seraient principalement, selon J. Bézecourt, ses rites, et notamment ses pratiques alimentaires débilisantes : « À défaut de méditer sur les questions essentielles de l’existence humaine, les superstitieux ont l’illusion de satisfaire leur divinité en mangeant ceci ou en n’ingérant pas cela. Même si un dieu gastronome est très préférable à un dieu vengeur, l’indissociabilité de ces deux caractères rend assez bien compte de la pauvreté spirituelle d’une religion qui proscrit l’utilisation des sachets de levure sèche de boulangerie fournis avec les préparations à pizza… Les interdits alimentaires, qui ne se limitent pas au dégoût du porc, prennent en charge l’estomac du juif de son lever à son coucher »22.

Dans la droite ligne de l’antisémitisme voltairien, J. Bézecourt tourne en dérision toutes les pratiques religieuses et pire, les lieux saints du judaïsme. Le mur des Lamentations est ainsi rebaptisé par l’auteur le « mur des Jérémiades ». Les juifs religieux sont dépeints sous les traits de pleurnicheurs et de comédiens professionnels, renvoyant aux images du « ridiculement comique », véhiculées par un certain antisémitisme populaire : « Toujours plus idiot : après les prières par SMS qui finissent dans les anfractuosités du mur des Jérémiades, c’est au tour du courrier adressé à ’’Dieu’’ d’être consciencieusement placé dans le mur. Si “Dieu” brille par son absence et son silence, il est par contre plus aisé de lui écrire. Sous l’adresse “Dieu, Jérusalem, Israël” ou “Dieu, le Mur des Lamentations”, les lettres terminent leur voyage postal dans un des bureaux de poste de Jérusalem et sont ensuite placés dans le Mur des Jérémiades »23.

Cette dénonciation du « ridiculement comique » s’accompagne aussi d’une critique de la violence fanatique qui s’exercerait principalement sur les femmes juives. A la bêtise juive s’ajouterait la violence sexiste des mâles juifs, dont l’auteur reconnaît qu’elle n’est pas propre à la religion juive mais qui, dans le cas présent, se déclinerait selon des modalités particulières, rapprochant ainsi le judaïsme de cette autre « religion orientale » qu’est l’islam : « Les juifs ultraorthodoxes sont furieux : on leur aurait menti ! Les perruques que portent les épouses des plus obscurantistes d’entre eux proviendraient d’Inde, confectionnées avec les cheveux de polythéistes qui ne sont certainement pas casher… Le drame pourrait faire sourire s’il n’était pas révélateur de la bêtise de certaines prescriptions religieuses et de la violence qui est inséparable du fanatisme. Dans le judaïsmecommedansles autres monothéismes,les cheveux sont la marque de la perversité des femmes et, à défaut de changer la nature de ces êtres bibliquement inférieurs, on décrète qu’elles accèdent à la respectabilité par une simple coupe de leurs cheveux  »24.

Jusqu’ici, l’on pourrait penser que la judéophobie laïque de Jocelyn Bézecourt se fond dans un athéisme viscéral qui, s’il est choquant par sa virulence, s’expliquerait surtout par sa haine des religions davantage que par une haine spécifiquement dirigée contre le judaïsme. Or, très rapidement, les thèmes classiques de l’antisémitisme reviennent en force, confirmant son adhésion au mythe du « peuple élu » : « Mais cette introduction amenait une réponse imparable : les juifs, peuple élu, ont LA25 solution. Le shabbat les occupe chaque fin de semaine ce qui les protège de l’oisiveté »26. En effet, pour J. Bézecourt, la véritable finalité du judaïsme ne serait pas religieuse mais politique et économique (le Dieu argent). Sur les 35 articles de l’auteur portant sur le judaïsme et publiés sur www.atheisme.org, quatre sont consacrés à la dénonciation de l’ affairisme juif 27, thématique qui revient comme une obsession dans ses écrits : « En 1998 avait été ouvert un dossier sur une filière de blanchiment d’argent entre la France et Israël et l’enquête vient d’être déclarée terminée. 130 personnes physiques ou morales sont mises en cause dont de nombreuses banques ainsi que des dizaines d’associations juives et des rabbins. Les manœuvres consistaient à faire encaisser des chèques frauduleux par des bureaux de change en Israël où la législation permet de donner l’argent en liquide à une autre personne que le destinataire du chèque. Le procès se déroulera en 2004 »28.

La motivation principale de la prière des Juifs religieux ne serait donc pas le salut des âmes mais bien l’argent, puisque pour J. Bézecourt, il semble que l’appât du gain soit l’obsession centrale du judaïsme : « Les vœux adressés à ce dieu sanguinaire témoignent de la profonde spiritualité qui anime la masse superstitieuse : l’un souhaite devenir conducteur de bulldozer, une autre demande pardon pour avoir volé des cendriers dans des hôtels, quand d’autres, plus simplement, rêvent d’être millionnaires »29.

J. Bézecourt persiste sur cette thématique des dérives de l’ « affairisme juif » dans un second article, rendant compte à sa façon de l’affaire du Sentier : « Dans l’affaire du Sentier, ce quartier de Paris où pullulent des commerces de textile, six rabbins, dont deux sont en fuite en Israël, vont être renvoyés en correctionnelle. Plus d’une centaine de personnes sont mises en cause dans une escroquerie gigantesque qui a été examinée à Paris début mai 2004. Le filon exploité par les religieux jouait sur la présomption d’honnêteté qui flatte tout religieux au titre qu’un serviteur de “dieu” ne saurait voler… »30.

Cet antisémitisme laïque de type voltairien se marie volontiers à un antijudaïsme teinté de préjugés coloniaux. Dans son portrait au vitriol du Grand rabbin de France, Joseph Sitruk, ce n’est pas seulement le juif religieux que J. Bézecourt entend démasquer mais aussi le juif sépharade, oriental et maghrébin, procréateur en puissance : « Elu grand rabbin de France en 1987 et deux fois fois réélu (pour des mandats de sept ans), Joseph Haïm Sitruk n’est pas ce qui se fait de plus moderne (photo). Né en 1945 à Tunis, c’est donc un séfarade qui occupe la plus haute place du judaïsme en France. Il avait été, auparavant, en poste à Strasbourg et Marseille […]. Noter aussi que Joseph Sitruk est père de neuf enfants »31.

Cette orientalité du « juif tunisien » Sitruk déboucherait naturellement sur une alliance avec les musulmans, selon le principe que deux fanatismes orientaux ne peuvent que s’unir pour mieux s’attaquer à laïcité française : « Comme c’est dans le besoin qu’on rencontre ses vrais amis, les musulmans ont reçu un allié inespéré, mais fort logique, en la personne du rabbin Joseph Sitruk, premier personnage du judaïsme français. Dans une entrevue au quotidien Le Monde du 16 mai 2003, qui relayait un document transmis au président de la République en avril 2003, le rabbin a déclaré qu’il n’était pas favorable à l’interdiction du voile islamique à l’école. Quand on sait que les élèves juifs aiment à porter la kippa, l’opinion de Joseph Sitruk n’en est que mieux compréhensible… Selon la pratique déloyale qui consiste à déformer une doctrine pour mieux l’attaquer, Sitruk, en donnant sa définition de la laïcité, insinue qu’elle consiste en l’interdiction d’une pratique religieuse. L’œcuménisme antilaïque s’exprime de même dans sa compréhension, et son respect, du refus de quelques jeunes musulmanes de participer aux séances de piscine “pour des raisons de pudeur »32.

A cette alliance judéo-musulmane contre la laïcité française viendrait s’adjoindre assez logiquement l’Eglise catholique qui, comme nous l’a rappelé, dans un article récent, J. Bézecourt, est aujourd’hui dirigée par un juif dissimulé, Monseigneur Lustiger, qu’il qualifie d’ailleurs de « juif converti Lustiger » et de « Jean-Marie Aaron Lustiger »33 pour mieux l’enfermer dans sa judéité originelle.

Pourtant, cette nouvelle alliance des Religieux obscurantistes contre la laïcité serait fragile car, selon J. Bézecourt, les Juifs souffriraient du complexe du « peuple élu », ne pouvant donc renoncer à la croyance en leur supériorité : « Mais les amabilités envers l’islam sont vite contredites, et avec abondance, par la supériorité que le rabbin croit trouver dans le judaïsme »34.

Sauver le « soldat Bézecourt » : antisémitisme laïque, silence républicain

En somme, dans l’esprit de Jocelyn Bézecourt, si le catholicisme doit être combattu, parce qu’il représente la religion de la cléricature dominante en France, l’islam, parce qu’il constitue la « nouvelle religion conquérante », le judaïsme reste la quintessence du fanatisme et de l’obscurantisme religieux. En ce sens, la christophobie et l’islamophobie, hautement revendiquées par l’animateur du site www.atheisme.org, s’inscrivent dans une lutte plus large contre le judaïsme, cette religion orientale et dégénérée qui serait responsable des maux de notre humanité laïque : l’affairisme, le sexisme, la violence, « l’orientalisation » de notre culture occidentale et universelle…

A ce titre, on ne saurait trop conseiller à Jocelyn Bézecourt de lire dans le dernier numéro de la revue Mouvements, cet article fort éclairé de Nadia Marzouki consacré aux « Lumières juives » (l’Haskala), et notamment à deux auteurs, Abraham Geiger et Ignaz Goldziher, qui en opposition aux thèses racialistes d’Ernest Renan (antisémite et antimusulman), développèrent une autre idée de la relation entre Modernité et Religion35. Mais il est vrai que Geiger et Goldziher étaient allemands et, en plus, « juifs », ce qui n’est pas fait pour plaire à notre grand défenseur de la laïcité « à la française ».

Bien que l’antisémitisme de J. Bézecourt se situe dans la filiation voltairienne, force est de constater qu’il ne s’en réapproprie que le versant le plus « stigmatisant ». Dans le chapitre XIII du Traité sur la Tolérance, Voltaire écrivait : « En un mot, si l’on veut examiner de près le judaïsme, on sera étonné de trouver la plus grande tolérance au milieu des horreurs les plus barbares. C’est une contradiction, il est vrai ; presque tous les peuples se sont gouvernés par des contradictions. Heureuse celle qui amène des moeurs douces quand on a des lois de sang !  »36. Il semble, en effet, que J. Bézecourt ait délibérément laissé de côté « la plus grande tolérance » du judaïsme pour n’en retenir que les « horreurs les plus barbares » et les « lois de sang ».

En effet, pour l’animateur du site www.atheisme.org, les Juifs d’aujourd’hui sont encore plus nocifs que les autres religieux et cléricaux, parce qu’ils sont précisément animés d’un sentiment de supériorité et qu’ils ne parviendront jamais à se détacher de leur complexe du « peuple élu ». Il faut donc les inciter à se régénérer en les aidant à se débarrasser définitivement de leur tare orientale, incarnée aujourd’hui par le juif « Haïm Sitruk » (sic), ce « gourou adulé par ses ouailles ».

Nos laïques et nos républicains bons teints préfèrent rester muets et aveugles face à cette « dérive antisémite » qui sévit pourtant dans leurs propres rangs. Pire, certains d’entre eux, parmi les membres de l’Union des familles laïques (UFAL), du Mouvement des Maghrébins Laïques et de la Gauche républicaine, en appellent aujourd’hui à sauver le « Soldat Bézecourt », ce nouveau héros de la lutte contre l’obscurantisme islamique. On peut lire ainsi dans le n° 307 de Respublica, daté 8 novembre 2003 : « nous savons que nombre de nos adversaires guettent depuis de longs mois une occasion de discréditer Respublica, et à travers ce journal en ligne, l’UFAL et tous les laïques et féministes qui combattent les intégristes et leurs alliés de gauche et d’extrême gauche […]. Ces basses manœuvres ne font que renforcer notre détermination. Nous serons évidemment aux côtés de Jocelyn Bézecourt. Sur www.atheisme.org, Jocelyn, depuis 1996, effectue un travail remarquable, et tient un site fort respecté dans le milieu laïque ». Mieux encore, Jocelyn Bézecourt a ouvert, le 30 octobre, le colloque « Islam contre Islam », organisé par l’association AIME (satellite associatif du régime du Général Ben Ali)37 aux côtés de personnalités « laïques » comme Nadia Amiri (vice-présidente du Comité Laïcité République de Paris), Kébir Jbil (Mouvement des Maghrébins Laïques), Tewfik Allal (coordinateur du Manifeste des libertés) et Caroline Fourest (ProChoix, auteure de Frère Tariq), dans les locaux de la mairie de Paris et en présence du maire du IIe arrondissement, Jacques Boutault. A priori, nos conférenciers et notre élu de la République, pourtant toujours très attentifs aux moindres « dérapages antisémites » dans les milieux arabo-musulmans, semblent avoir rien eu à redire sur la présence à leurs côtés d’un auteur revendiquant ouvertement sa judéophobie.

Pourquoi cette « discrétion » des milieux laïcistes face à un cas avéré d’antijudaïsme primaire, s’interroge également J.-Y. Camus dans le dernier numéro d’Actualité Juive : « Il s’est bien trouvé des laïcs pour s’émouvoir de cette prose que même Emile Combes n’aurait pas signée. D’autant que le site de la Gauche républicaine est soutenu par plusieurs associations, comme l’Union des Familles Laïques (UFAL) et Initiative Républicaine, qui d’ordinaire réservent plutôt leurs flèches à « l’offensive islamiste », et à l’islam tout court. Une réponse critique d’un lecteur a bien été mise en ligne. Mais l’auteur de l’article persiste et signe, expliquant que ‘antisémitisme’ est ‘un mot explosif qui salit quiconque ose examiner le judaïsme ou le ramener à sa place dans la même catégorie que les autres monothéismes’ »38.

Quelle belle leçon de morale républicaine, celle qui consiste à tolérer une certaine « dose » d’antijudaïsme ou, pire d’antisémitisme, au nom de l’impérieuse nécessité d’endiguer le « communautarisme musulman » !

A quand un ouvrage sur « Frère Jocelyn » ou une étude approfondie sur les soubassements antisémites de certains courants laïcistes ? On peut toujours rêver.

Notes :

1 Jean-Yves camus, « Dérapage. Un texte aux relents antijuifs attaque le cardinal Lustiger », Actualité juive, 11 novembre 2004.

2 Sur l’influence des thèses antisémites de Charles Maurras en France, cf. le dernier ouvrage de Michel winock, La France et les Juifs, Paris, Seuil, 2004.

3 Léon poliakov, Histoire de l’antisémitisme. Tome 4 : de Voltaire à Wagner, Paris, Calmann-Lévy, 1977.

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4 Jocelyn bézecourt, « Pour le droit à la libre critique des religions », communication au colloque « Islam contre Islam », organisé par l’association AIME, mairie du IIème arrondissement, Paris, le 30 octobre 2004.

5 Mel gibson, « La passion du Christ » (The Passion of The Christ), long-métrage,Twentieh Century Fox Home Entertainment, 2004.

6 Ariane chebel d’appollonia, L’extrême-droite en France de Maurras à Le Pen, Bruxelles, Editions Complexe, 1996, 519 p.

7 Pour une analyse synthétique de cette forme d’antijudaïsme, cf. Carole iancu, « L’antijudaïsme médiéval chrétien et musulman », dans Les mythes fondateurs de l’antisémitisme. De l’Antiquité à nos jours, Toulouse, Privat, 2003, p. 33-53.

8 Les références sur l’antisémitisme moderne nationaliste sont trop nombreuses pour pouvoir être citées ici. Nous conseillons le lecteur de se référer aux ouvrages de Michel winock, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Le Seuil, Paris, 1990 et à l’ouvrage collectif dirigé par Léon poliakov, Histoire de l’antisémitisme, 1945-1993, Le Seuil, Paris, 1994.

9 Emmanuel Brenner, Les Territoires perdus de la République. Antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, Paris, Mille et une Nuits, 2002, 238 p. (coll. « Essai ») ; Raphaël Draï, Sous le signe de Sion. L’antisémitisme nouveau est arrivé, Paris, Michalon, 2001, 255 p. ; Shmuel Trigano, La Démission de la République. Juifs et Musulmans en France, Paris, PUF, 2003, 145 p. (coll. « Intervention philosophique ») ; Alain Finkielkraut, Au nom de l’Autre. Réflexions sur l’antisémitisme qui vient, Paris, Gallimard, 2003.

10 Robert O. paxton, La France de Vichy. 1940-1944, Paris, Le Seuil (Points Histoire), 1999.

11 Arthur hertzberg, Les origines de l’antisémitisme moderne, Paris, Presses de la Renaissance, 2004, p. 354.

12 Ibid., p. 11.

13 Pour une approche contradictoire sur l’antisémitisme de Voltaire, cf. René Desné, « Voltaire était-il antisémite ? » Les Cahiers rationalistes, n° 559.

14 Sur cette question de l’antisémitisme voltairien on peut lire aussi : L. poliakov, Histoire de l’antisémitisme. Tome 4 : de Voltaire à Wagner, op. cit.

15 A. hertzberg, Les origines de l’antisémitisme moderne, op. cit., p.285-286.

16 Charles-Robert ageron, Politiques coloniales au Maghreb, Paris, PUF, 1972, p. 154.

17 Ibid., p. 157.

18 Ibid., p. 156-157.

19 Discours du 3 mars 1991 à l’Elysée, cité par Vincent geisser, « Mitterrandisme d’Etat et mythe de réconciliation », Ethnicité républicaine. Les élites d’origine maghrébine dans le système politique français, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 20.

20 Jocelyn bézecourt, « Qui est le grand rabbin Joseph Sitruk », www.atheisme.org, juin 2003.

21 J. bézecourt, « 31 mai 2003 : Cours autant pitoyable que simpliste du grand rabbin sur Télévision Française Juive », www.atheisme.org., mai 2003.

22 J. bézecourt, « Le judaïsme et l’obsession alimentaire », www.atheisme.org, avril 2004.

23 J. bézecourt, « Des lettres pour ‘Dieu’ », www.atheisme.org, septembre 2003.

24 J. bézecourt, « Des perruques de polythéistes pour les juives ultraorthodoxes », www.atheisme.org, juin 2004.

25 Le choix des lettres capitales « LA » est dans le texte original.

26 J. bézecourt, « 31 mai 2003 : Cours autant pitoyable que simpliste du grand rabbin sur Télévision Française Juive », op. cit.

27

28 J. bézecourt, « Scandale financier gigantesque en France dans le milieu bancaire avec l’implication d’associations juives », www.atheisme.org, mai 2003.

29 J. bézecourt, « Des lettres pour ‘Dieu’ », www.atheisme.org, octobre 2003.

30 J. bézecourt, « L’industrie prospère du détournement de fonds par des rabbins », www.atheisme.org, mai 2004.

31 J. bézecourt, « Qui est le grand rabbin Joseph Sitruk », www.atheisme.org, juin 2003. En insistant sur le nombre d’enfants du Grand Rabbin (neuf), J. Bézecourt fait référence au mythe de la prolifération et de l’exceptionnelle fécondité des Orientaux, véhiculé notamment par l’extrême droite.

32 J. bézecourt, « Le rabbin Joseph Sitruk défavorable à l’interdiction du voile islamique à l’école », www.atheisme.org, 2003.

33 J. bézecourt, « Les cathos veulent réévangéliser Paris : non merci ! », www. atheisme.org, novembre 2004.

34 J. bézecourt, « Le rabbin Joseph Sitruk défavorable à l’interdiction du voile islamique à l’école « , op. cit.

35 Nadia marzouki, « Les Lumières juives ou la réforme de l’islamologie », Mouvements, n° 36, novembre-décembre 2004.

36 voltaire, Chapitre XIII, « Extrême tolérance des Juifs », Traité sur la Tolérance : A l’occasion de la mort de Jean Calas, 1763, Paris, Gallimard (Folio Poche), 2003.

37 L’association aime (D’Ailleurs ou d’Ici Mais Ensemble) est présidée par Samia Labidi et dispose d’une adresse postale en France et en Tunisie. Dans ce dernier pays, il n’existe que huit ou neuf associations réellement indépendantes du régime, les autres (dont AIME) étant directement contrôlées par lui. Cf. Michel Camau, Vincent Geisser, Le syndrome autoritaire. Politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali , Paris, Presses de Sciences Po, 2003. Sur son site www.assoaime.net, Samia Labibi vante la liberté du Web en Tunisie. Scandale quand on sait que les sites de l’opposition tunisienne et même ceux de journaux français comme Le Monde et Libération sont verrouillés par le régime et interdits de consultation.

38 Jean-Yves camus, « Dérapage. Un texte aux relents antijuifs attaque le cardinal Lustiger », Actualité juive, op. cit.

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