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François Burgat : « Ben Laden a été un révélateur des déséquilibres »

Entretien

François Burgat, chercheur au CNRS, a écrit L’islamisme à l’heure d’Al-Qaïda, en 2005 (Ed. La Découverte).

Quelles sont les réactions prévisibles dans le monde arabe ?

Il se trouvera dans le monde arabe peu de voix institutionnelles pour regretter la disparition de Ben Laden ou même condamner les circonstances de son élimination. Et les désaveux des milieux religieux ne seront pas les moins sonores. Pour autant il est peu probable que l’exécution du planificateur des attaques du 11-Septembre donne lieu à des scènes de liesse populaire. D’abord parce que les objectifs politiques énoncés par Ben Laden – combattre la formule permettant aux Etats-Unis d’asseoir, par dictateurs interposés, leur hégémonie sur la Péninsule arabique – étaient et restent partagés par une écrasante majorité de la population de cette partie du monde. Si la plus emblématique des méthodes qu’il a employées n’y a jamais été approuvée explicitement, le fait de voir s’inverser en quelque sorte le rituel dominant de la violence régionale, et des victimes pour une fois américaines souffrir de l’attaque d’avions « pilotés » par des musulmans, n’en avait pas moins eu une charge symbolique forte, ce que bon nombre d’intellectuels avaient exprimé.

Dix ans plus tard, aucune des formations politiques ayant pignon sur rue, y compris les courants islamistes, ne portera évidemment le deuil de l’ennemi américain nº 1. Mais la victoire de la force américaine et la jubilation médiatique à laquelle elle donnera logiquement lieu n’en seront pas moins ressenties par bon nombre comme une humiliation supplémentaire.

Est-ce la fin des « jihadistes » ?

La disparition physique de Ben Laden ne changera sans doute rien à la capacité d’action ou de mobilisation des individus et des groupes partisans du recours à l’action directe pour combattre les pratiques des Etats-Unis et de leurs alliés.

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L’attrait de ces groupes radicaux et leur capacité de mobilisation ont plus de chance d’être affectés par la dynamique amorcée par les « printemps arabes » : l’espoir de voir émerger des institutions représentatives crédibles redonne sens au combat politique national. Le ralliement de l’Egyptien Aboud Zummer, l’un des assassins de Sadate, dès sa sortie de prison, aux règles de la compétition électorale, le montre bien. Outre la fin de la spirale répression/radicalisation, certaines des causes que la jeunesse radicalisée allait défendre dans l’aventure jihadiste internationale ont par ailleurs des chances de l’être davantage par des régimes mieux en phase avec leurs concitoyens. C’est là que se trouve la vraie source d’un possible changement dans la configuration « jihadiste ».

Bien des restrictions restent toutefois à prendre en compte. Il n’est pas démontré d’abord que des régimes moins autoritaires résisteraient mieux aux pressions américaines et que, par exemple, une Egypte plus démocratique oserait rompre avec la ligne américaine dans le conflit israélo-arabe. Si la compromission de régimes répressifs avec la super-puissance américaine peut être affectée par la dynamique d’ouverture politique, les autres ressorts de la mobilisation jihadiste musulmane demeurent en revanche plus que jamais à l’œuvre : le bellicisme israélien et son compère américain ne cessent en effet de donner quant à eux au contraire de nouvelles preuves de leur vitalité et de leur impunité !

Ben Laden a été l’un des révélateurs des profonds déséquilibres de la scène mondiale. Tant que ces déséquilibres n’auront pas été adressés, avec ou sans Ben Laden, la fracture profonde qui sépare l’action des Etats-Unis et de leurs alliés d’une majorité de l’opinion publique du monde musulman restera d’actualité. Et pour tous ceux pour qui les institutions politiques (nationales, régionales ou internationales) n’ont pas encore acquis de crédibilité suffisante, la tentation de s’en détourner au profit de la lutte armée risque de demeurer présente.

Propos recueillis par Baudouin Loos

Le Soir, Bruxelles

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