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Finance Islamique : la Murabaha, une avancée pour le financement du logement des particuliers

C’est une grande nouvelle pour l’ensemble des Français : l’annonce faite par un notaire parisien, lors du séminaire de recherche sur la Finance Islamique co-organisé par l’EBS et 570 easi, le 14 juin dernier,  concernant l’acquisition d’un logement par un Français de confession musulmane, représente une réelle avancée pour tous les concitoyens.

En effet, le grand public, et non plus seulement les investisseurs du Moyen-Orient,  va enfin avoir accès à une offre alternative de financement conforme à cette finance éthique à sensibilité islamique. Le client en question, un couple trentenaire, tout ce qu’il y a de plus normal – pour reprendre un terme à la mode  – a souhaité devenir propriétaire après des années de location, car le produit proposé sous la forme d’un achat-vente à tempérament par un établissement bancaire, selon les dispositions de l’instruction fiscale Murabaha FE4/SE1/02, répondait à ses attentes.

Si ce nouveau produit proposé par 570 easi avec son partenaire la Chaabi Bank, acteur de petite taille sur la scène bancaire française, suscite au mieux du scepticisme et au pire un certain rejet, c’est davantage par méconnaissance que par compréhension des mécanismes mis en œuvre.

Rien d'étonnant à cela, car le grand public, abreuvé de termes pseudo-scientifiques financiers ou arabophones sans réalité concrètes pour lui, et sans la moindre pédagogie, n'est pas en mesure de faire le tri entre les préjugés et les critiques constructives sur les modalités financières de ce genre de produit bancaire.

Aussi, allons-nous nous attacher à rappeler, dans un premier temps, un certain nombre de réalités, en commençant par la définition et l’origine de la pratique de la Murabaha ou le contrat de l’achat-vente, sans forcément le restreindre au monde bancaire, pour ensuite montrer son évolution, justement au niveau financier, à travers les techniques bancaires actuelles, tout en illustrant les strictes règles de son éligibilité, avant de conclure sur ce qui effectivement ne correspond pas à la conformité à l’éthique musulmane, voire même ce qui peut poser problème au niveau de l’éthique et non plus seulement sur le plan juridique.   

Un nouveau venu dans le paysage français

Imaginons un village proche d’une côte marine, qui a été privé pendant des dizaines d’années d’animaux pour sa consommation quotidienne, et ayant développé de grandes techniques alternatives de pêche pour s’alimenter en différents aliments de la mer (poissons, crustacés, algues, œufs de tortue…). Lorsqu’un jour,  un petit bateau arrive avec, dans sa cargaison, de vrais animaux éligibles à la consommation comme de la volaille, des ovins, caprins et autres bovins. On peut facilement anticiper les réactions des villageois : d'un côté, il y aura les anciens qui vont crier au diable, certains chefs de tribus qui vont défier les bêtes et leurs éleveurs, et de l'autre côté, des femmes, plus sensibles, qui vont se poser des vraies questions sur l’utilité de la chose pour nourrir leurs enfants, sans oublier les jeunes susceptibles de se  laisser entraîner et de jouer avec ces petits animaux assez sympathiques, et pas si diaboliques que ça finalement…

De même, la situation des musulmans français est similaire à ce village, à la différence près qu’ils sont confrontés à une autre problématique : ne pas avoir accès à un crédit conforme à leur éthique, aux exigences de la foi musulmane. Le mot est lâché, il s’agit bien de crédit, du latin credere qui signifie croire et par extension : le créancier qui fait confiance à son débiteur. Il n’y a pas de raison que cela soit différent en Islam.  Quand vous sollicitez un proche ou un ami pour vous prêter de l’argent, en lui promettant de le rembourser dans un an par exemple, une certaine relation de confiance s’impose. Le fait d’être musulman ne devrait qu’accentuer le côté rigoureux de la transaction, à l’image de l’Imam Abu Hanifa (ra) qui refusait de profiter de l’ombre de la maison de son débiteur de peur de ne devoir justifier d’un avantage supplémentaire perçu dans son prêt.

Un contrat à crédit, mais dont l’objet n’est pas un prêt d’argent

A la différence d’un prêt, qui ne peut être que sans intérêt pour être licite (halal), car l’objet du contrat est une somme d’argent, faire crédit, c’est-à-dire sur la base d’une transaction commerciale, de l’échange d’un bien réel n’a rien d’illégitime. Il est essentiel de savoir sur quoi porte ce crédit pour se prononcer sur sa conformité, principalement son objet, sa durée, son montant et les conditions de remboursement. Comme vous pouvez le constater jusqu’ici,  on ne mentionne nulle part que la banque est un passage obligé pour faire crédit, les achats-vente entre particuliers ou entre un fournisseur et son client avec paiement au comptant ou à tempérament (en plusieurs fois), avec ou sans marge, ne posent aucun problème encore une fois selon les critères simples de licéité des objets de l’échange. Ainsi, un vendeur informatique qui vous propose de payer comptant un ordinateur d’une valeur de 500 euros, ou, si vous n’avez pas le cash nécessaire, de le régler en 3 mensualités de 200 € , cela est tout à fait admis pour la majorité des savants de l’Islam. Ces derniers rappellent que si la pratique du commerce des biens réels (Bay-al-Amanah) a toujours existé, avant et après l’arrivée de l’Islam, le fait d’adjoindre un paiement sans marge (Tawliyah), avec une marge non connue (Bay Muajjal) ou un paiement à tempérament (Bay-bi-Thaman Ajil), ne rend pas ces pratiques illicites. En résumé, ce qui est condamnable, c’est le commerce de l’argent ou de la dette (monnaie entaché de Riba) et non pas le commerce avec un profit (ribh), qui a donné la formalisation du produit Murabaha dans le monde bancaire.

Autre cas de figure, quand vous dépassez le cadre de la vente directe des biens usuels et vous recherchez à acheter des grosses machines pour votre entreprise, ou bien une maison pour votre famille, généralement, vous ne vous adressez pas directement au fournisseur ou au promoteur pour demander un financement, car il n’est pas dans leur capacité ni d’avoir acheté ou faire fabriquer le bien en question en le payant comptant, ni d’attendre des années que vous leur remboursiez la totalité du prix, au risque d'un  potentiel défaut de votre part.

C’est pour cela que la banque existe, sa fonction première est d’être un intermédiaire dans les échanges, en collectant les ressources financières auprès des déposants et d’allouer ces sommes d’argent sur des actifs réels, en faisant des transactions d’achat-vente, de location ou de co-investissement. Et c’est bien la vocation de la banque islamique de participer au financement de l’économie réelle, pour les entreprises et les particuliers, pour leurs besoins de financement et de consommation, et non pas de spéculer sur les marchés, et encore moins d’œuvrer au commerce de l’argent. Ce qu’elle finance à la demande de ses clients, notamment en matière de consommation, et si cela est utile à la société ou pas, est un autre débat, qu’il convient davantage de poser à l’aune de la surconsommation et du surendettement, et auxquels banquiers comme savants doivent prendre toute leur part.

Le consentement mutuel comme principe essentiel du financement et de sa transparence

Mais revenons au crédit que propose une Banque Islamique sous la forme de la Murabaha, le Sheikh Taqi Usmani rappelle que pour que le contrat soit conforme, il faut absolument réunir les conditions d’une offre explicite et l’acceptation de celle-ci par le client, soit la rencontre d’un consentement mutuel, élément obligatoire également en droit français. De plus, pour que la banque puisse légitimement financer par exemple un logement à la demande de son client – une banque commerciale réglementée, islamique ou pas, ne peut généralement pas détenir un bien immobilier pour son compte propre, car elle utilise les dépôts de ses clients – il faut qu’elle l’achète au préalable, qu’elle assure ses obligations, en tant que propriétaire même temporaire, et qu’elle reçoive l’acceptation du montant proposé pour la revente du bien à son client (par le biais d’un échéancier incluant l’ensemble des frais et des coûts avec la marge).

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Balayons tout de suite les critiques simplistes qualifiant la Murabaha de crédit déguisé, critiques qui existaient déjà à l’époque de la révélation en comparant le commerce à la pratique du Riba, alors que le verset 275 (S2) rappelle avec force et  simplicité que "Dieu a autorisé le commerce et interdit le Riba".

Si la critique vise essentiellement le fait qu’il s’agit d’un financement non pas intrinsèque à la banque qui devrait posséder un stock de biens au préalable, avant que le client ne vienne la solliciter, cela n’est, dans les faits, une exigence ni d’ordre réglementaire ni d’ordre religieux, les textes islamiques ne précisant rien sur la temporalité de la détention du bien. La question à se poser, au-delà de l’aspect de la conformité à l’éthique musulmane, est de savoir si cela conduit à des comportements spéculatifs de la part de la banque ou des abus en matière des conditions de la transaction, et notamment sur sa prise de risque en tant que vendeur du bien ?

Payer à tempérament le prix d’un bien avec une marge est différent de payer des intérêts

Ce troisième aspect des choses est ce qu’il y a de plus intéressant à discuter. Finalement, cela revient à se demander en quoi la Murabaha est différente – non pas économiquement, car on sait que la pratique des banques en matière de rentabilité les conduisent à retrouver la même marge qu’un financement classique – mais en matière de risque et d’impact sur la relation avec le client et par extension sur les pratiques financières.

Rappelons que le standard 8 de l’AAOIFI (organisme de standardisations des pratiques en matière de finance islamique regroupant les plus grands savants mondiaux spécialisés en fiqh mu’amalat) est consacré à cette pratique de la « Murabaha avec ordre d’achat » montrant bien le fait qu’à partir d’un simple contrat de vente avec option de paiement à tempérament sur la base d’un bien réel justifiant une marge (ribh), les acteurs de la banque islamique au niveau mondial se sont saisis de cet instrument pour en faire un produit phare du secteur de la finance islamique.

Faut-il le déplorer ou le critiquer sur la seule base que c’est un contrat finalement simple, qui permet à la banque de dégager une marge du même ordre qu’avec un autre client sur un produit conventionnel ? La critique doit aller un peu plus loin, car les ressorts de la conformité éthique ne peuvent s’appliquer ici, aussi longtemps que les conditions de la transaction sont respectées. Et pour preuve, en exposant le cahier des charges de la Murabaha à une banque classique, celle-ci s’interrogera aussitôt sur l’intérêt d’ajouter un risque supplémentaire, celui de la propriété (car la banque doit justifier de son titre de propriété avant de pouvoir revendre à son client), au risque déjà existant de crédit (possibilité de défaut du client). De plus, pour montrer combien les conditions d’application de la Murabaha sont strictes sur, d’une part , l’existence et la possession du bien (« ne pas vendre ce qu’on en possède pas »), et d’autre part, la responsabilité de la propriété (« le profit se justifie par son risque »), il est par exemple impossible de vendre un bien neuf pas encore construit, ou un bien dont on ne peut justifier de son titre de propriété complet.

Finalement, la grande différence de la Murabaha avec un crédit à intérêt réside essentiellement dans son principe éthique et dans les conditions contractuelles de responsabilisation, et non pas dans sa dimension économique ; pour simplifier, le crédit en général pose le même problème de coût pour le client moins fortuné, le même potentiel problème pour la société de surconsommation et le même impact nocif sur le système monétaire avec la technique de la réserve fractionnelle).

Aller au-delà de la recherche du profit, sans la responsabilité liée au bien réel

Le principe de la Murabaha est  simple : l’objet de l’échange ne peut pas être un prêt d’argent, mais la vente d’un bien existant. Cela implique les obligations suivantes :
– L’ordonnancement des étapes : le bien doit exister avec toutes ses caractéristiques connues, le client doit connaître son prix d’achat, la banque doit acquérir le bien et le payer en totalité, le client peut alors, et seulement une fois que la banque soit entièrement propriétaire, accepter l’offre de revente du bien immobilier à tempérament incluant la marge ;
– La transparence du prix total de la transaction : tous les frais doivent être explicites et acceptés par le client, d’abord au titre de la première acquisition par la banque (frais réglementés ou pas, ainsi que ceux des intermédiaires comme l’agent immobilier); ensuite le prix de revente total, incluant la partie du prix payée comptant (équivalent au montant de l’apport), la partie à tempérament (selon l’échéancier du contrat), la marge et les autres frais de dossier ou de commission (de courtage par exemple) ;
– L’équité dans les contrats : même si les termes de créancier et débiteur sont souvent utilisés en pratique pour les contrats de Murabaha, fondamentalement, les relations sont plus proches de celle d’un financier qui fait un crédit-vendeur à son client avec tout ce que cela implique en matière de l’objet de l’échange, les caractéristiques réelles de la propriété, les obligations équilibrées entre le promettant et le bénéficiaire lors des étapes préalables à la vente définitive du bien, une fois les droits de préemption urbain au titre de l’achat et de la revente sont purgés. 

La conséquence principale de ce genre de modalités contractuelles est un rééquilibrage entre les parties, il n’existe plus une position très favorable du créancier sur le débiteur, ce dernier peut avant la possession du bien par la banque se désister sans pénalités financières, et d’ailleurs ne pas devoir payer d’agios à la banque directement en cas de retard de paiement car le prix est fixe avec un échéancier qui ne peut plus évoluer dans le temps. Et pour répondre au dernier argument consistant à dire que ce produit ne peut être éthique car on fait payer le temps, le crédit est plus cher selon qu’on le rembourse en 5 ans ou 10 ans.  Il est nécessaire de revenir à cet exemple de l’ordinateur vendu à 3 mensualités de 200 € au lieu de 500 € comptant, cela aurait été également licite de le vendre, toujours selon le consentement mutuel des parties, à 5 mensualités de 150€.

Selon le dicton, le client est roi, c’est donc lui qui choisit le montant et le nombre de mensualités qu’il veut ou peut payer, et si cela implique de rallonger de quelques années la vente à crédit du bien, forcément le coût total sera mathématiquement la somme de ces mensualités, ni plus, ni moins.

Au final, autant la Murabaha est et restera un produit controversé parmi la clientèle musulmane ou non-musulmane,  en quête d’un produit totalement différent du système conventionnel –  même si les savants n’émettent aucune objection à son autorisation,  selon les règles strictes de son application telles que rappelées plus haut -, autant il demeurera le produit phare de la Banque Islamique, car c’est le moins pire de tous, en terme de vente à crédit.

Il est intéressant, cette fois-ci, d’observer l’autre produit qui cristallise les dissensions chez les savants et les professionnels de la finance islamique : le Tawarruq, dont l’objectif principal vise à dégager des liquidités à partir d’une double vente  sur des matières premières, et de façon parfois trop organisée. On retrouve, en l’occurrence, les arguments acceptables d’un contrat fleuretant par trop avec un crédit conventionnel, à savoir, que le bien qui fait l’objet de la transaction n’est pas en lien avec la réalité du besoin du client (se loger ou se déplacer) et les autres parties impliquées dans l’échange ne participent pas aux risques intrinsèques du bien, le contrat reproduisant des ordres d’achat et de vente sur des marchés purement financiers, déconnectés de l’économie réelle.

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Un commentaire

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  1. GECOCIB Import – Export ( Burkina Faso ).
    Je salue le monde arabe pour l’ initiative et la mise en place de la MURABAHA :
    Sans quoi les moins fortunés de la planète en souffriront d ‘avantage par manque de moyens de se nourrir , de s’habiller , de se loger , de se déplacer, de se communiquer , et de commercialiser des biens et services . Encore une foi merci pour les accords du CEMAC et la BID .
    Mr ILBOUDO .

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