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Être à la fois pleinement Français et musulman

Des musulmans en Occident, ou des occidentaux musulmans ?

Le débat sur l’identité nationale a fourni l’occasion à toutes les voix de s’exprimer, au cours des derniers mois, des plus sensées aux plus déraisonnables. Il a donné lieu, dans certains cas, à un regrettable étalage d’islamophobie. Cependant, en dépit de tous les dérapages, ce débat soulève des questions importantes pour les "communautés musulmanes", qui méritent une ample réflexion.

Il n’est pas inutile, pour commencer, de replacer ce débat dans son contexte. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, des centaines de milliers de nationaux de différents pays du Maghreb et du Moyen-Orient sont partis, chaque année, s’établir dans différents pays occidentaux, dont la France, à la recherche de travail, ou pour poursuivre des études supérieures, ou pour échapper à des persécutions d’ordre politique, religieux ou social.

Souvent, ils n’avaient envisagé leur départ du pays natal qu’à titre temporaire, en attendant qu’un changement de circonstances leur permette de retourner parmi les leurs. Mais, avec le passage du temps, nombreux furent ceux qui finirent par s’établir définitivement dans ces terres d’accueil, y fondant leur foyer et y élevant leurs enfants, en espérant que ces derniers y jouiraient d’une vie encore meilleure que ne fut la leur. Aujourd’hui, ces immigrés et leurs descendants se comptent par dizaines de millions en Europe et en Amérique.

Leur nombre continue d’augmenter tous les jours, du fait de l’immigration illégale de nationaux de pays du Tiers-monde à la recherche d’opportunités de travail dans les pays occidentaux, après que les politiques chaotiques menées dans les pays nouvellement indépendants, au cours du dernier demi-siècle, les guerres civiles, la mondialisation, etc… aient réduit à la portion congrue les opportunités de travail dans ces pays.

La première génération de ces immigrés a préservé jalousement, pendant des décennies, sa langue, sa religion, son mode de vie, ses coutumes et traditions, sa culture. Mais, les enfants de ces immigrés sont confrontés, le plus souvent, dès leur adolescence, à de véritables questions existentielles. Ainsi, les enfants nés en France de parents maghrébins immigrés se sentent-ils tiraillés, dans leur vie quotidienne, entre diverses identités virtuelles, sans parvenir à en faire taire l’une au profit de l’autre, ou à établir une coexistence pacifique entre elles.

Certaines voix, dans leur famille et dans la communauté musulmane, les encouragent à se considérer comme des musulmans vivant en pays étranger, et à rester repliés au sein des communautés musulmanes, préservant le mode de vie islamique et les coutumes et traditions des terres d’origine de leurs ancêtres. Certains les poussent, même, à revendiquer l’application de la charia aux membres des communautés musulmanes, pour ce qui concerne les questions de statut personnel telles que le mariage, le divorce, l’héritage, etc… (comme cela se fait depuis des siècles dans certains pays asiatiques tels que l’Inde, qui compte plus de 140 millions de musulmans).

Mais, d’autres voix leur expliquent qu’ils ne sont plus des immigrés, mais les nationaux des pays où ils sont nés. Ils doivent donc s’intégrer à la population de leur propre pays natal, y faire leur vie, en se soumettant aux lois nationales, et en acceptant l’application des règles de droit français, même quand elles sont incompatibles avec les prescriptions du droit musulman.

Qui suis-je ?

Ces tiraillements n’ont nullement un caractère métaphysique ou académique. Ils concernent des jeunes qui cherchent de bonne foi, dans le monde réel, à identifier des balises qui leur permettront de bâtir leur avenir sur des fondations sûres.

Il n’y a qu’à prendre, à titre d’illustration, le cas de cette jeune « beur » née en France d’une première union entre un père marocain musulman et une mère juive tunisienne. Est-elle marocaine, tunisienne ou Française ? Est-elle musulmane ou juive ? Pour compliquer les choses, – car, la réalité dépasse souvent la fiction – après le divorce de ses parents, son père a épousé en deuxièmes noces une Française catholique, avec laquelle il a eu deux enfants élevés dans le respect de ce culte. La jeune beur, déjà tiraillée entre trois nationalités, se retrouve également tiraillée entre trois religions, celle de son père musulman, celle de sa mère juive et celle de ses demi-frères catholiques. L’exemple n’est pas outré.

Non seulement il est réel, mais il se retrouve de plus en plus fréquemment, sous les variantes les plus diverses, dans les communautés musulmanes de tous les pays. Par exemple, dans la même famille maghrébine, il n’est pas rare que les parents soient d’une nationalité, les enfants d’une autre, et les gendres ou belles-filles d’une autre encore. La colonisation des pays du Maghreb au 20è siècle, puis la mondialisation ont frappé de plein fouet, et fait voler en éclats les structures rigoureuses et simples qui caractérisaient les sociétés musulmanes d’antan. Aujourd’hui, se relevant au milieu des débris des structures passées, les enfants peuvent très sérieusement se poser la question existentielle « Qui suis-je ? »

« Parce que c’est là que je suis né ! »

Ces questions identitaires peuvent sembler, à première vue, d’une inextricable complexité. Elles sont, pourtant, relativement simples à analyser, quand on tient compte uniquement des fondamentaux de la situation. Ainsi, les nouvelles générations de musulmans nés et élevés dans les pays occidentaux sont, sur le plan du droit, et doivent se considérer, sur le plan concret, comme des citoyens à part entière de ces pays. Ce sont, par exemple, des citoyens Français, des Britanniques, des Néerlandais, ou des Italiens de religion musulmane. Au premier titre, ils ont des droits et des devoirs.

Au deuxième titre, ils jouissent, à l’égal des autres confessions, de la liberté de culte, qui est garantie par la Constitution et les lois nationales. Les citoyens d’origine immigrée doivent donc aimer ce pays qui est le leur, respecter ses lois et ses institutions, et y participer à la vie politique, économique et sociale à l’instar de tous les autres citoyens. Ils doivent participer à son développement en y préparant leur propre avenir, en fonction de leurs aspirations individuelles, et au mieux de leurs capacités. Ils doivent, en particulier, prendre leur destin en main, se faire leur place dans la communauté, et essayer activement de résoudre les problèmes auxquels ils peuvent se trouver confrontés dans leur vie quotidienne, sans attendre que les autorités institutionnelles apportent d’elles-mêmes les solutions idoines aux problèmes des immigrés.

Les maghrébins qui ont vécu toute leur vie dans une cité de banlieue, qui ont fait des études dans des écoles médiocres, qui voient autour d’eux de nombreux jeunes au chômage, et qui n’ont pas trop d’espoir de pouvoir s’en sortir un jour, peuvent rester dubitatifs au sujet de telles propositions. Ils ont certainement raison, dans l’état actuel des choses. Mais il leur appartient, à eux, à leurs parents, à leurs amis, à leur communauté, d’oeuvrer pour que tout cela change. Ils doivent, dans ce but, mobiliser toutes les bonnes volontés et tous les groupes susceptibles de leur apporter leur aide.

Jusqu’à présent, les médias occidentaux, quand ils ont parlé des musulmans, ont surtout porté leur attention sur les revendications associées au domaine religieux, tels que les lieux de culte, le foulard, la burqa, les caricatures danoises, les horaires spéciaux de piscine pour dames, les minarets suisses, les muezzins dotés de haut-parleurs dans les mosquées, etc.

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Il serait temps, pour les citoyens français de confession musulmane, de tourner leur attention vers d’autres sujets également prioritaires, mais à caractère social, qui peuvent leur apporter un « plus » dans leur vie quotidienne, que ce soit dans les domaines du travail, du logement, de la santé, du transport, de l’éducation, etc.

La charia ou le droit français ?

Certains lecteurs pourraient se demander, de bonne foi, dans le cadre de cette discussion, s’il n’existe pas une incompatibilité entre le fait d’être Français, et le fait d’être musulman. Ils pourraient souligner que le musulman doit respecter et appliquer la charia dans tous les aspects de sa vie, alors que l’Etat français impose au citoyen Français musulman de respecter et d’appliquer le droit français.

La question est tout à fait légitime. Il faut noter, cependant, que l’islam s’est étendu, au fil des siècles, à des communautés situées sur tous les continents de la Terre, représentant aujourd’hui un milliard et quart de personnes réparties, pour l’essentiel, dans une cinquantaine de pays. Dans nombre de pays situés en Asie, en Afrique, en Amérique du Nord et du Sud, les musulmans ne constituent qu’une minorité au sein d’une population beaucoup plus importante. Ils continuent, en général, d’être assujettis à leur droit national, dans tous ses aspects, tout en pratiquant la religion musulmane.

Similairement, les citoyens occidentaux qui se convertissent à l’islam, aujourd’hui, continuent d’être assujettis au droit de leur pays dans tous les aspects de leur vie. Mas, cela n’affecte en rien leur statut de musulman. En effet, pour être un bon musulman, dans quelque pays que ce soit, il suffit de respecter les cinq piliers de l’islam, c’est-à-dire :

 

  •  attester qu’il n’existe pas d’autre divinité que Dieu, et que Mohamed est son Prophète ;
  •  

     

  •  faire ses prières
  •  

     

  •  faire la zakat (aumône)
  •  

     

  •  faire le jeûne pendant le mois de Ramadan
  •  

     

  •  faire le pélerinage (pour ceux qui en ont les moyens).

    Il faut souligner, de plus, que l’islam s’oppose à tout usage de la violence, dans quelque but que ce soit, ne l’autorisant que dans une situation de légitime défense. Il ne demande donc pas aux musulmans de se dresser contre les lois des pays où ils sont nés, ni de renverser le système juridique existant pour lui substituer la charia. Cette dernière n’est appliquée que dans les pays dont la majorité de la population est musulmane et où elle détient les rênes du pouvoir. Par contre, dans les pays où les citoyens musulmans sont minoritaires, ils doivent se plier aux lois du pays, à l’instar de tous les autres citoyens.

    Par conséquent, on peut être, à la fois, pleinement Français et musulman, sans qu’il y ait la moindre incompatibilité entre les deux situations.

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