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Entretien avec l’islamologue Denis Gril : le Prophète, ce grand «Serviteur de Dieu»

Au fil des pages de son ouvrage passionnant « Le Serviteur de Dieu » (Editions du Cerf), que parcourt un souffle spirituel vivifiant, l’islamologue de renommée internationale, Denis Gril, brosse le portrait du Prophète Muhammad (saws) sous un angle essentiel, empli de dévotion. 

Un portrait auréolé de Lumière divine, qui a été par trop occulté par les autres facettes, plus politiques que foncièrement théologiques, du grand homme de l’Islam : celles de fondateur d’une communauté, de législateur et de juge, de chef de guerre et de conquérant.

C’est à l’exploration de l’autre dimension intrinsèque du Messager de Dieu, et de sa vie entièrement consacrée à honorer le Très-Haut, rythmée par les prières diurnes et nocturnes, entouré de ses femmes, de sa famille et de ses fidèles compagnons, mais aussi à porter un autre regard sur l’islam et ses prolongements dans la tradition spirituelle du soufisme, que convie cet éminent spécialiste de la biographie du Prophète.

Dans cet entretien accordé à Oumma, Denis Gril explique pourquoi il a voulu, à partir des sources scripturaires musulmanes, mettre en lumière l’une des missions primordiales sur Terre de l’illustre «Serviteur de Dieu».

Votre livre, fruit d’une relecture des textes fondateurs de l’islam, présente le Prophète comme un maître spirituel. Pourquoi, selon vous, cette dimension du Messager de Dieu n’est-elle pas davantage mise en avant en Occident comme en Orient ? Pourquoi a-t-elle été éclipsée par sa stature, plus communément admise, de chef de clan ou de guerre ?

Pour les musulmans comme pour les non musulmans, Muhammad est avant tout le fondateur de l’islam. Il reçoit le Coran, le transmet à ses Compagnons, fonde une communauté soudée par la pratique des rites, l’observance de la Loi et le combat pour la défense de sa communauté. 

Cette vision du Prophète est exacte, mais incomplète. Elle est due à une lecture insuffisante des sources scripturaires : le Coran, la Sunna et la Sîra, la vie du Prophète, élaborée à partir du Coran, du hadith et de traditions historiques diverses, en particulier les maghâzi, le récit des expéditions guerrières du Prophète et des Compagnons. 

Or, la Sîra s’attache avant tout à reconstituer la trame chronologique des évènements qui jalonnent la fondation de l’islam. Toutefois, ces sources diverses ne manquent pas d’indications sur la vie privée et spirituelle du Prophète, sur les divers enseignements qu’il transmet à ses disciples, sur ses vertus et son comportement, ainsi que sur sa relation avec ses Compagnons et tous les êtres. 

Il suffit de rechercher et de réunir toutes ces indications pour se faire une idée plus complète et plus juste de la personne du Prophète, tel que le dépeignent ces sources. C’est sans aucun doute le Coran qui rend le mieux compte de la réalité complexe, à la fois individuelle et supra individuelle, du Prophète, comme j’ai essayé de le montrer dans le premier article de ce recueil.

Chacune des tendances, appartenances et spécialisations du savoir islamique ont privilégié un ou certains aspects de la figure prophétique et ont constitué leur corpus de références dans leur domaine propre. L’élaboration progressive de la jurisprudence islamique (fiqh) a valorisé l’image d’un prophète législateur, explicitant les versets juridiques du Coran, le détail des rites et donnant des indications précises ou des lignes de conduite pour la vie privée et familiale, l’économie, la judicature, la guerre et la conduite de la communauté. 

Les théologiens se sont consacrés avant tout à développer les deux parties du témoignage de foi : l’Unité divine et les fondements de l’autorité prophétique. Les premiers historiens de l’islam, s’appuyant sur les maghâzî, ont montré le Prophète comme stratège et chef de guerre. 

Dans le monde sunnite, c’est avant tout dans le milieu des traditionnistes, prenant en compte l’ensemble des hadiths, que les traditions soulignant la dimension spirituelle du Prophète, sa relation à Dieu dans l’adoration et dans la pratique des vertus avec tous les êtres, ont été diffusées et réunies. Ces milieux ont toujours été étroitement liés à ceux du soufisme où, au fil des siècles, la réalité du Prophète est devenue de plus en plus centrale. Ceci a inspiré ma lecture du Coran comme première source de la spiritualité musulmane.

Vous écrivez que le Coran insiste sur l’humanité ordinaire du Prophète, qui va de pair avec sa mission divine. Est-il exact d’affirmer, que contrairement à une opinion qui semble avoir prévalu plus tard, le Coran ne loue pas son impeccabilité ?

Le Coran commande au Prophète de demander pardon pour ses péchés, tout en lui annonçant par ailleurs le pardon de Dieu pour ses fautes passées et à venir. Le péché, en effet, fait partie de la condition adamique, et la perfection humaine incarnée par le Prophète doit comporter cette dimension.

Ce sont les théologiens sunnites, avec toutes sortes de nuances, et chiites, en y incluant les imams, qui ont élaboré la doctrine de l’impeccabilité (‘isma) pour distinguer les Prophètes du commun des hommes.

L’expérience spirituelle du Prophète Muhammad est-elle indissociable de la réception et de la transmission de la Révélation ?

Elle l’est en large partie, car chaque nouvelle révélation est pour le Prophète un accroissement de science et donc de proximité divine. Elle en découle comme la prière de veille que pratique longuement le Prophète, conformément à l’injonction du Coran. 

Elle se réalise aussi dans les visions dont est gratifié le Prophète, comme celle où il voit son Seigneur « sous la plus belle des formes » et où lui est enseignée « la science des premiers et des derniers ». On pourrait citer bien des exemples, et nous espérons prolonger notre étude sur le Prophète dans le Coran par une autre sur le Prophète dans la Sunna. 

On peut ajouter que chaque instant de la vie du Prophète est, pour lui, une expérience spirituelle dans la mesure où, selon l’expression de ‘Â’isha : « il invoquait Dieu pour chacun de ses moments ». 

Concernant la famille du Prophète, elle ne se limite pas, dites-vous, à ceux qu’il côtoie tout au long de son insigne mission. Elle inclut également ascendance, descendance et autres parents. Pourriez-vous être plus précis à ce sujet ?

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Il faut distinguer à propos de la famille, d’une part, les Ahl al-bayt « les Gens de la Maison », qui désignent aussi bien ses épouses que sa proche famille et plus précisément les Cinq –  le Prophète, ‘Alî, Fâtima, Hasan at Husayn, puis leurs descendants qui constituent une famille sacrée que le Prophète a confié à sa communauté –  et, d’autre part, la famille dans un sens plus large (al-Âl). 

Certains l’ont restreint aux Ahl al-bayt, d’autres l’ont élargie à tous les descendants et héritiers spirituels du Prophète. On pourrait encore élargir cette notion en considérant que le Prophète est le père spirituel de tous les croyants, tout comme ses épouses sont leurs mères.

Alors que la première fonction du maître spirituel est de guider les hommes vers Dieu, est-il vrai que le Coran semble dénier ce rôle au Prophète ? 

Le Coran dit d’un côté au Prophète : « Tu ne guideras pas qui tu aimerais, mais Dieu guide qui veut » (28, 56), car la guidance est l’acte et l’initiative de Dieu, et lui dit de l’autre :  « et tu guides sur une voie droite » (42, 52), dans la mesure où sa guidance est une délégation divine.

Comme on l’a relevé à plusieurs reprises, Dieu dépouille le Prophète pour le revêtir de ses attributs.

Comment définiriez-vous l’amour inconditionnel, empli d’admiration et de respect, que vouaient au Messager de Dieu ses fidèles compagnons ? 

Les Compagnons ont perçu de leurs yeux le Prophète tel qu’il était : un homme comme eux, qui partageait leur vie en toute simplicité, et avec les yeux de la foi ou leur cœur, comme un être sacralisé par la Révélation, habité par la présence divine. 

Leur attachement était celui qu’on voue à un être dont on sait qu’il est notre garant auprès de Dieu. On aime quelqu’un pour sa beauté et le bien qu’il vous fait. La beauté et le bienfait du Prophète, le croyant les perçoit dans l’ordre extérieur et intérieur.

Contrairement à la Sunna qui contient de nombreux témoignages sur l’apparence physique de Muhammad, pourquoi le Coran n’en esquisse-t-il aucun portrait ?

Le Prophète enseigne lui-même : « Dieu ne regarde pas vos formes, mais il regarde vos cœurs et vos œuvres ». 

En s’adressant à son Envoyé, que Dieu a-t-il à faire de son aspect corporel ? Par contre, pour le croyant, cette apparence physique compte car elle révèle quelque chose de sa perfection intérieure et fixe dans la mémoire sa présence bénéfique et irradiante. C’est pourquoi les Compagnons nous ont transmis ce qui s’était imprimé dans leur mémoire et leur conscience.

Concernant le Mawlid, la commémoration de la naissance du Prophète, qu’est-ce que, d’après vous, révèlent de la communauté musulmane les controverses qui subsistent autour de sa célébration ou de son absence de célébration ?

Les ‘ulamâ’ et les maîtres spirituels qui ont institué la commémoration du Mawlid ont voulu faire participer l’ensemble de la communauté à la présence de plus en plus centrale du Prophète dans le développement de la spiritualité musulmane. 

Si le Mawlid a pris une dimension à la fois officielle et festive, c’était pour les dirigeants une manière de légitimation par la référence au Prophète et pour le peuple de fêter dans la joie l’amour du Prophète. Si c’est la naissance du Prophète qui a été choisie, et non un autre événement majeur de sa vie, c’est que, selon la tradition, c’est à ce moment-là que s’est manifestée la lumière qui est celle de son être primordial. 

Perdre la foi en cette réalité, ne plus manifester la joie de son avènement sur la terre, ne plus chanter à cette occasion et d’autres la beauté et l’amour du Prophète et pire, interdire de le faire, c’est priver la communauté muhammadienne de sa cohésion intérieure.

Vous consacrez un chapitre au théologien et maître soufi, l’éminent Ibn Al-Arabi, intitulé : « Le Hadith dans l’œuvre d’Ibn Al-’Arabï ». Il a toujours affirmé le caractère inépuisable du message coranique et la multiplicité des niveaux d’approfondissement des significations qu’il contient. Quelle était sa position à l’égard de la Sunna ?

Ibn al-‘Arabî, après avoir connu, dès ses débuts dans la Voie, une immense ouverture spirituelle, n’a cessé tout au long de sa vie d’étudier le hadith et de le recevoir comme la parole inspirée du Prophète. 

Tout comme pour le Coran, il en a souvent une compréhension particulière, à la mesure de sa proximité et de son héritage du Prophète. Pour lui, le moyen le plus sûr d’avoir la confirmation de l’authenticité d’une tradition, c’est de la recevoir directement par le dévoiement et la vision du Prophète. De très loin, dans toute son œuvre, le Coran et le hadith sont ses principales références.       

Propos recueillis par la rédaction Oumma                                                            

 

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6 commentaires

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  1. Salam Water Water, je ne suis pas aussi catégorique que vous s’agissant du mawlid ennabaoui, je le tiens pas pour une fête religieuse mais il n’est pas défendu hors du culte d’ajouter des jours de fête. Mais si vous trouvez l’Islamologue trop partisan, eh bien que voulez-vous, un Islamologue, c’est un Islamologue, prenons les gens tels qu’ils sont, sans oublier le principe du bon soupçon car après tout je ne connais pas celui-là, mais le seul fait qu’il se laisse donner de l’Islamologie suggère certain Islam de France, ou des lumières il paraît, parce qu’il y aurait un Islam excuses-moi faut les compter, qui serait des ténèbres, demandes à Djeser et à son iman Lyonais pas très lumineux.

    Islamologiquement votre.

    Croissant de lune.

  2. Mais non, pauvre Djeser, modérateur moi? Non et mes journées sont chargées, j’ai pas le temps d’inventer un iman Lyonais qui connaît pas Fourvière, rien que pour celle-là, tu devrais t’&abstenir de hanter ce malheureux site, vil menteur.

    Croissant de lune.

  3. Cdl, tu n’a donc pas compris , que je ne désire pas échanger avec toi. Je n’ai pas compris ta présence sur ce site , tu remet en question la neutralité de ce site , mais tu y passes tes journées j’ai l’impression .
    A quoi sert tu exactement ? Est tu un modérateur ? Un lanceur alerte ? Un indic ? Tu n’a donc pas de vie sociale ?
    Sort un peu , va prendre l’air…

  4. @ Djeser, tu déposes combien de fois le même commentaire copié? Je l’ai déjà lu sous un autre article, tu es si persuadé que ça que ta parole a de l’importance? T’en fais des efforts, faudra continuer à t’accrocher comme ça mais pas facile quant on débite autant de banalités à l’heure, et à force de démonstrations, on risque de se prendre les pieds dans le tapis des raisonnements.

    Bon allez, je passes mon tour, le vocable “Islamologue” me révulse, je ne connais pas de christianologue ou Judéologues, peut-être que ça existe mais on ne nous en parle pas à la télé. Souvent, ceux qu’on présente comme “Islamologues” quand ils sont interrogés par les médias, ils répondent sous forme d’opinions personelles, un peu finalement comme tous ces spécialistes de tout et de rien convoqués pour ponctuer la propagande du gouvernement et des groupes médiatiques privés qui lui sont associés. Je peux me tromper s’agissant de celui-là, mais du moment qu’il ne récuse pas la qualification d'”Islamologue” donc il l’avalise, moi ça m’ennuie.

    Que dirait-il de certain iman Lyonais qui connaît pas Fourvière?

    Croissant de lune.

  5. La pensée musulmane dont nous avons besoin.

    Construire une pensée musulmane contemporaine, ne veut pas dire selon moi repenser l’Islam.

    En revanche, définir ou rappeler les fondements de l’Islam est le rôle des théologiens, ce qui est une chose, mais repenser l’Islam en revanche, est une aberration. Qui sommes nous pour faire cela, sommes-nous les fondateurs, ou les héritiers légitimes de cette religion ? Altérer le sens ou la signification d’une religion est une chose qui ne nous appartient pas.

    La foi est invisible, son expression, est t’elle uniforme ? Est-elle nécessairement et systématiquement visible? Non, elle peut s’exprimer de différentes façons … Par la pensée, par l’art et la culture également…

    Il y a eu un loupé quelque part, car l’Islam du XXIe siècle n’aurait pas dû être un islam revendicateur ou un islam politique, mais plutôt un islam intellectuel, et militant, un islam possédant une expression artistique, culturel et littéraire.

    Sa vocation première a toujours été le « monothéisme pure », voilà l’islam originel. L’islam n’a pas été envoyé pour les droits de l’homme ou pour la laïcité ou autre chose.

    Arrêtons d’attribuer à l’islam des notions ou des objectifs qui lui sont étranger (humanisme, rationalisme, féminisme, démocratie, ). Cette attribution est symptomatique d’une incapacité à penser par soi-même,) à assumer ses propres idées. Arrêtons également cette mode devenue tendance, autant chez les musulmans que dans la société : la réhabilitation. A défaut de construire une pensée possédant une colonne vertébrale, nous essayons de réhabiliter Iqbal, René guenon, Arkoun, al afghani, Al ghazali, Albert camus, le maréchal Pétain, Victor Hugo, encore des symptômes de notre stérilité intellectuelle.

    Cependant, je pense qu’il faut s’attacher à notre Métaphysique, mais en même temps, sans renier “notre rationalité, notre réalité, et notre humanité également” ou sinon que serions nous ? Des machines dépouillées de sentiments et de logiques ? Vous comprenez la nuance ?

    L’Islam originel ? Le monothéisme pure est l’islam originel. Mais penser ou adhérer au paradigme et à la vison du monde qu’avait les premières générations de musulmans est simplement insensé.

    Produisons alors une pensée musulmane, qui consiste plutôt selon moi, à apporter une analyse, une réflexion ou une pensée sur un sujet précis, sur une société où même un ensemble de société. Une pensée qui se nourrie de sa foi, de son éthique, mais qui se nourrie aussi d’un vécu, d’une expérience, personnelle ou collective. C’est donc un point de vue personnel au départ et qui peut faire légion dans le monde selon sa pertinence, sa capacité d’adaptation, et de compréhension aussi.

    Le monde est sécularisé, le monde Musulman le devient lentement aussi. Alors au lieu de tenter de rassembler autour d’un dogme qui ne parle qu’à une petite partie de la population , travaillons surtout sur l’éthique musulmane (respect de la création de Dieu, l’intégrité, la solidarité, l’ordre social, la famille…), qui rejoint finalement les valeurs universelles du monde. Ces valeurs expriment aussi le monothéisme auquel nous croyons, puisqu’elle en est l’expression.

    En effet, nos traditions et notre expérience personnelle en Europe, nous donnent les moyens de répondre aux crises que rencontrent le monde (environnement, lien sociaux, modération, modèle économique,..), répondre à ces problèmes, est l’un des meilleurs moyens de changer l’image de l’Islam et des Musulmans. Il faut s’en convaincre, nous possédons les outils pour répondre aux crises mondiales, j’en suis personnellement convaincu.

    La pensée musulmane reste ouverte et accessible à tous du moment que le dogme et l’éthique sont respecté. Quant à l’idéologie ou la vison du monde, elle reste subjective, personnelle et variable dans le temps.

    Les prophètes ont enseigné le même dogme, la même éthique, mais n’avaient pas la même vision de la société, et du monde.

    Alors, préservons notre dogme, partageons notre éthique, et construisons un nouveau monde.

    https://renouveaudelislam.over-blog.com/

  6. L’islamologue devrait, à mon sens , parler du prophète avant la révélation, depuis son grand père, quand le prophète était enfant.

    Le prophète dit, les meilleurs avant la révélation, sont les meilleurs aprés la révélation.

    Remarquez que je n’aime dire, avant l’islam, tous les prophètes sont musulmans, depuis Adam.

    Quand à la célébration du mawlid, je parle evennement et non pas interprétation :

    Les compagnons du prophète n’ont pas feté le mawlid, l’état omeyade et Abbasside non plus.
    Les premiers , à feter le mawlid, sont les fatimides en égypte, parcequ’ils ont disjoncté.

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