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Entretien avec l’historien Rochdy Alili (partie1/ 6)

Oumma.com a entrepris un ensemble d’entretiens avec Rochdy Alili, qui a déjà eu l’occasion de nous informer d’un certain nombre de questions d’histoire. C’est ainsi qu’il a pu nous parler de l’Irak au moment où se préparait l’agression américaine contre ce pays, nous rappelant ce qu’était ce pays, et comment la colonisation britannique, puis la diplomatie occidentale, avaient usé de manipulations, de mensonges et d’hypocrisie, réprimant les peuples et utilisant le dictateur Saddam jusqu’à ce qu’il devienne inutile et encombrant. C’est ainsi qu’il nous a donné un descriptif des Eglises chrétiennes d’orient ou a pu évoquer le statut des juifs dans l’espace musulman au cours de l’histoire.

Après la parution de son ouvrage récent « L’éclosion de l’islam », nous avons commencé avec lui, en partant de quelques questions sur ce livre, une sorte de dialogue à bâtons rompus, où il nous explique ce qu’il a voulu entreprendre avec cette publication. Cette conversation entre Oumma et cet historien mènera par des chemins imprévus vers les prises de position d’un homme qui tente de rester lucide dans les confusions idéologiques du temps et s’efforce de toujours être un pédagogue efficace de la complexité historique.

Rochdy Alili, vous venez de publier aux éditions Dervy, un livre intitulé « L’éclosion de l’islam », consacré, comme le dit la présentation, aux premières décennies d’histoire impériale de cette civilisation, entre la date de la mort du prophète, en 632, et celle de la fondation de Bagdad en 762. Vous ne manquez pas, avant de vous pencher sur ces cent trente années fondatrices, de brosser un vaste tableau historique des zones que va recouvrir l’empire arabe musulman et de celles qui vont lui faire concurrence. Ma première question porte sur deux points ; qu’est ce qui vous a poussé à écrire un tel ouvrage et qu’est ce qui justifie le choix de ces deux dates limites ?

 Si vous le permettez, je répondrai d’abord à la deuxième de vos questions. Comme vous venez de le dire, je consacre un bon tiers du livre à une rapide histoire, parfois en remontant à une lointaine antiquité, de ce monde où vont surgir les conquérants arabes musulmans. Je ne me limite donc pas vraiment à la date de départ de 632.

C’est exact, vous consacrez sept chapitres sur vingt à des histoires multiples, de l’occident à la Chine. Vous y évoquez les grandes religions que va rencontrer l’islam et bon nombre de réalités historiques la plupart du temps inconnues du public.

Comme sont inconnues, ou mal connues excusez-moi de le souligner, les vraies réalités historiques des débuts de l’empire arabe islamique. Elles sont mal connues des musulmans eux-mêmes, qui ne sont pas sortis de l’apologie systématique et de l’histoire orthodoxe officielle. Elles sont mal connues de l’Europe qui a construit des idéologies anti-musulmanes diverses, selon les besoins des Eglises ou des nations à des époques différentes, depuis le moyen âge jusqu’à nos jours.

C’est pourquoi, vous consacrez, après ces sept chapitres sur des siècles d’histoire, voire des millénaires, onze chapitres aux cent dix, cent vingt premières années de l’histoire de l’islam. Les deux chapitres que je ne compte pas sont, au début du livre, une introduction précise à ce que vous allez exposer et, à la fin du livre, un épilogue résumant les prolongations de cette époque conquérante, avec ce qu’a représenté, en termes géopolitiques, l’arrivée des Arabes musulmans dans les espaces asiatiques, africains et européens.

Oui, c’est dans cet épilogue que je parle de l’époque où va se construire la ville de Bagdad, inaugurée en 762. Et pour finir de répondre à votre interrogation sur la période que j’ai cru bon de couvrir, je confirme ce que vous laissez entendre et je dirai que je me suis attaché dans ce livre aux décennies où les tribus arabes musulmanes ont été conquérantes et ont constitué un immense empire de l’Afghanistan jusqu’à l’Espagne. Ces décennies sont celles des premiers califes, dits « bien dirigés », entre 632 et 661, puis celles des quatorze califes omeyyades, entre 661 et 750.

C’est l’objet effectivement des onze chapitres dont je parlais. Vous reprenez pour ce qui les concerne, du neuvième au dix-neuvième de ces chapitres, une progression chronologique en retraçant les œuvres et les conquêtes de califes assez mal reconnus par l’histoire universelle alors qu’ils ont été des personnages aussi importants dans cette histoire que des César, des Charlemagne, des Louis XIV ou des Pierre le Grand de Russie, pour ne citer que quelques exemples.

Vous avez raison de rappeler de telles évidences, hélas bien oubliées. Des califes comme Umar 1er, Muawiya 1er, Abd al-Malik, Walid 1er, Hicham, avec les grands collaborateurs qui les entouraient, ont eu sur l’histoire d’immenses régions du monde, comme conquérants et organisateurs, des influences largement aussi décisives que celles des personnages que vous citez. Je crois que ce livre, en rappelant tout simplement leur existence, en racontant leurs aventures, en évoquant leur œuvre, fera faire connaissance au citoyen qui cherche à s’éclairer, avec des acteurs importants de l’histoire du monde. Ils furent les califes de la conquête arabe musulmane, menée avec opiniâtreté jusqu’aux années 750, où cet élan s’arrête, non par la vertu de Charles Martel, mais parce que, dans les dynamiques internes à l’empire musulman, les contestations, les luttes intestines, en œuvre dès les origines, l’emportent sur les capacités diverses qui avaient permis cette annexion déterminée d’immenses territoires pendant un peu plus d’un siècle.

Maintenant, si j’ai prolongé mon propos, dans ce travail, jusqu’à la date de la fondation de Bagdad, c’est pour conclure sur une année symboliquement forte, c’est pour faire la part de l’œuvre de reconquête de certains territoires échappés au contrôle impérial pendant quelques décennies, et c’est pour faire comprendre que les choses vont vraiment changer pour l’empire musulman avec le règne d’un autre personnage, le calife al-Mansur, qui fait entrer réellement cet empire dans l’ère abbasside, qui est une toute autre histoire.

J’ai noté aussi que vous parlez, à ce propos, des changements politiques et dynastiques du moment, comme vous le faites d’ailleurs à de multiples étapes de cette histoire de l’islam conquérant. Vous nous apprenez ainsi un événement bien connu des sinologues, la révolte d’An Lusan dans la Chine des Tang, au milieu du huitième siècle, et vous nous rappelez que la dynastie carolingienne, nouvelle protectrice de la papauté, commence presque la même année que la dynastie abbasside.

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En effet, et je crois que l’on prend conscience, à la lecture de ces histoires, que la grande puissance du moment où les Arabes musulmans sont conquérants, c’est la Chine de la dynastie Tang, qui abrite la plus prospère capitale du monde à l’époque, la ville de Chang An. C’est aussi une raison qui m’a fait prolonger mon propos jusqu’à la date de 762, que de vouloir noter l’importance de ces évolutions qui procurent, à cette époque charnière du milieu du huitième siècle, une nouvelle puissance à l’occident et conduisent vers un affaiblissement de la Chine des Tang, dont la capitale va céder bientôt au prestige et à la richesse de Bagdad.

Nous terminons donc votre livre au moment où l’islam arabe n’est plus le moins du monde conquérant, mais où commence l’époque de sa domination économique et culturelle.

C’est exactement cela, et je crois que j’ai à peu près répondu à la deuxième partie de votre question, avec tout ce que je viens de vous dire. Maintenant, s’il faut justifier l’édition d’un tel livre, je le ferai en évoquant quelques évidences qui me sont apparues, soit fortuitement, soit depuis un certain nombre d’années, pour ne pas dire de décennies. Celle qui fut déterminante ici, alors que je me préparais à entreprendre un ouvrage orienté vers la spiritualité, c’est que l’on fait nécessairement appel, dès que l’on parle d’islam, même dans des domaines aussi éloignés, à un ensemble de connaissances de l’histoire musulmane ignorées par ceux qui n’ont pas une culture islamologique de base.

Or c’est le cas, naturellement, de la grande majorité des lecteurs auxquels l’on s’adresse en France ?

Bien entendu, même si ces lecteurs possèdent la culture encyclopédique que notre pays a su diffuser longtemps chez les citoyens les plus éclairés, ils ne sont pas introduits à cet arrière-plan historique nécessaire à une bonne compréhension de tout ce qui concerne l’islam comme religion et comme civilisation. Cette bonne compréhension n’est pas inutile, à notre époque où la démographie des pays musulmans est ce qu’elle est, à notre époque où pas un jour ne passe sans qu’une question liée à l’islam et aux musulmans ne se pose dans l’actualité.

Vous pensez vraiment qu’une vision d’historien est nécessaire à la compréhension de toutes ces questions ?

Tout de même, mon cher ami, qu’au moins les petits messieurs qui veulent laisser une trace dans l’histoire sachent ce que c’est que l’histoire au-delà des horizons d’un ou deux siècles. C’est comme cela que l’on peut appréhender, dans la réalité des faits eux-mêmes, et non dans des reconstructions théoriques et idéologiques, l’évolution des choses dans la durée et dans l’espace. C’est ainsi que l’on voit comme les sociétés humaines, les peuples, et tous les acteurs qui prétendent les gouverner, ont pu s’employer à survivre, à se déplacer, à entreprendre, à bâtir ou à renoncer, à se replier sur eux-mêmes et décliner, dans les dynamiques qui les portèrent ou les contraignirent, dans les moments de prospérité ou de crise.

A suivre …

Propos recueillis par Saïd Branine

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