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En Egypte, l’ONU s’inquiète pour les chrétiens

Non, ce n’est pas une blague même si l’histoire aurait pu passer pour telle si les circonstances auxquelles elle se rapporte n’étaient pas aussi tragiques. Après le carnage du « mercredi noir » qui a fait officiellement selon le ministère égyptien de la santé 632 morts et 3700 blessés même si le bilan réel est malheureusement beaucoup plus lourd et même s’il faut s’attendre à d’autres boucheries comme celles de vendredi, deux hauts responsables de l'ONU n’ont pas trouvé mieux que d’exprimer leurs vives inquiétudes contre le risque de représailles anti-chrétiens en Egypte.

Dans un communiqué datant du 15 août, le conseiller spécial de Ban Ki-moon sur la prévention du génocide Adama Dieng et la conseillère spéciale sur la responsabilité de protéger, Jennifer Welsh, ont rendu public un communiqué dans lequel ils  "notent avec inquiétude qu'un certain nombre d'églises et d'institutions chrétiennes ont été visées" dans plusieurs provinces "en représailles après les incidents au Caire". Ils appellent les Egyptiens «  à éviter d'utiliser la violence pour exprimer leurs revendications, en particulier en visant des minorités et institutions religieuses".

Les deux responsables de l’Onu ont également demandé aux autorités égyptiennes de mener « une enquête rapide, indépendante et efficace sur les circonstances des événements tragiques du Caire et des attaques contre des minorités et institutions religieuses".

Après le massacre effroyable du mercredi, et comme il fallait s’y attendre, des protestations populaires ont éclaté partout dans le pays et ont parfois pris un caractère insurrectionnel. Des bâtiments et des véhicules de police ont été notamment incendiés. Dans quelques localités, des églises coptes ont été visées. Si parmi les policiers, on compte des morts et des blessés, fort heureusement, aucune source n’a déploré de victimes dans les rangs de l’église copte. Le chef de la junte militaire, le général Abdelfattah Al Sissi a tout de suite déclaré que l’armée prendra à sa charge les frais de réparation des destructions subies par les églises visées. La dimension oeucuménique d’un tel geste ne sera que plus justement appréciée quand on sait que c’est le même général Al Sissi qui a ordonné de brûler la mosquée de Rabiya Al Adawiya et de bombarder les mosquées dans lesquelles se sont réfugiés les manifestants pourchassés par la police.

Cependant, les observateurs les mieux intentionnés ne manqueront pas de se réjouir du communiqué des responsables onusiens. Pour une fois, des responsables internationaux de la prévention des génocides n’ont pas attendu que l’irréparable soit commis pour tirer la sonnette d’alarme. On aurait souhaité que pareille sollicitude ait été de mise à la veille de l’assaut sanglant lancé par les forces de sécurité égyptiennes contre les camps de Rabiya Al Adawiya et Al Nahda au Caire. Pourtant, ce massacre était prévisible mais visiblement les voix qui n’arrêtaient pas de mettre en garde contre de pareils dérapages n’ont pas été entendues dans les couloirs des Nations unies.

Le communiqué de ces responsables onusiens pose question dans la mesure où dans un climat aussi chargé sur le plan émotionnel, il risque d’être compris comme une nouvelle manifestation d’indifférence à l’égard des victimes de la répression sauvage des services de sécurité qui se comptent par milliers.

En appelant les Egyptiens «  à éviter d'utiliser la violence pour exprimer leurs revendications, en particulier en visant des minorités et institutions religieuses", les responsables onusiens ont déjà désigné le coupable des méfaits dénoncés à juste titre sans attendre les résultats d’une enquête indépendante. Peu importe que la « Jamaa islamiya » à Assiout ait fermement condamné les atteintes aux églises.

Il n’est pas venu un seul instant à l’esprit de ces responsables onusiens que les attaques contre les églises puissent être le fait d’agents provocateurs au service de la sûreté de l’Etat en vue de discréditer le mouvement populaire et créer un climat de tension confessionnelle qui donnerait au pouvoir militaire le beau rôle du saveur de la paix civile. Pourtant, ce ne serait pas la première fois que la sûreté de l’Etat égyptienne se rabaisse à ce genre de vils procédés. On se souvient que lors de la révolution de janvier 2011, les services de sécurité de l’ancien ministre de l’intérieur Habib el-Adly ont attaqué l’église des Qidissiyines à Alexandrie et ont imputé l’attentat aux révolutionnaires avant que la vérité n’éclate au grand jour et qu’ils ne soient finalement démasqués et confondus. Pour revenir aux dernières attaques, un prêtre copte de l’église Mary Gergis dans la localité de Miny a ouvertement accusé les baltadjia au service de la police d’être derrière les récentes attaques ayant visé des églises.

Aussi déplacé soit-elle, la sortie de ces responsables onusiens qui, en s’inquiétant légitimement des risques de représailles à l’encontre des chrétiens en Egypte, n’ont pas cru nécessaire de rappeler le contexte tragique dans lequel des milliers de leurs compatriotes musulmans sont massacrés, risque d’augmenter le sentiment de discrimination et de séparation entre les communautés confessionnelles au lieu de le diminuer comme cela est recherché.

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Quand les victimes humaines sont ainsi discriminées en fonction de leur appartenance religieuse par des institutions internationales censées protéger le droit international et humanitaire au mépris de l’esprit et de la lettre des conventions internationales, le risque est grand de voir ces organisations subir un grave discrédit. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que dans le monde arabe s’élèvent des voix appelant à boycotter ces organisations internationales.

Pire, le mépris qui peut être ressenti par de nombreux musulmans à travers une telle déclaration risque de les conforter dans le sentiment d’injustice qu’ils éprouvent devant l’attitude du « deux poids, deux mesures » dans laquelle se confine la « communauté internationale » dès lors qu’il s’agit de la protection des droits de l’Homme des uns ou des autres.

Entre cette déclaration indécente et la situation qui sév
it dans le monde arabe par la faute de pouvoirs et d’élites autochtones qui n’ont rien à envier à leurs  anciens maîtres coloniaux, on pourrait malheureusement y déceler un fil logique. Il s’agit du mépris de tout ce qui ne relève pas de la civilisation occidentale. Aussi stupide que cela puisse paraître et même si la civilisation chrétienne copte est plus ancienne que la civilisation chrétienne occidentale, dans l’inconscient d’une grande partie élites politiques et intellectuelles occidentales, le christianisme en Orient constitue un des derniers vestiges de l’Occident dans la région que leurs officines cherchent à instrumentaliser dans leurs desseins géopolitiques sordides.

Que l’Eglise copte ne soit pas plus « moderne » ni plus « progressiste » que les méchants islamistes décriés, que sa hiérarchie se soit honteusement compromise dans le coup d’Etat militaire et qu’elle ait eu l’indécence de rendre public un communiqué soutenant le pouvoir militaire après les massacres du « mercredi noir », tout cela n’a aucune importance. Ce qui compte c’est que l’Eglise copte est du bon côté, le côté de l’Occident « civilisé et démocratique » contre le péril islamiste qui a, depuis la fin de la guerre froide, remplacé le péril communiste dans le nouvel imaginaire politique du « monde libre »

Dans cette construction fantasmatique et dangereuse, l’islam représente l’Autre négatif par excellence dans tout ce qu’il a de repoussant. Les formes de mépris et de rejet peuvent bien entendu varier suivant le lieu et les circonstances. Du rejet soft qui se manifeste à travers les différentes formes de l’exclusion sociale aggravée par le climat islamophobe qui se développe en Europe à la guerre totale pratiquée dans certains pays du Moyen Orient au nom de la guerre contre le terrorisme.

Mais quelles que soient les variantes du mépris dans lequel on veut enfermer les musulmans, ces derniers doivent prendre conscience que la résistance contre ce mépris est indivisible. S’ils s’habituent aux formes soft sans réagir, ils risquent de se retrouver dans un futur plus ou moins proche devant des formes plus dures et plus violentes. S’ils se laissent abattre par un sentiment d’impuissance ou pire d’indifférence face à ce qu’endurent leurs frères et sœurs dans le monde arabe, en particulier en Syrie et en Egypte, sans oublier la Palestine, ils ne feront qu’alimenter les complexes de supériorité et les sentiments de mépris dans lesquels les tiennent ceux qui leur dénient en Europe le droit à l’égalité et à la citoyenneté pleine et entière à moins qu’ils acceptent de se fondre dans l’invisibilité pseudo-républicaine du genre qu’affectionne en France l’imam faussaire de triste renommée Chelghoumi.

Les musulmans ont raison de se battre en Europe pour leurs droits démocratiques élémentaires et contre les agressions islamophobes aussi bien physiques que symboliques. Mais leur aspiration légitime à la dignité et à l’égalité ne sera prise en considération comme elle le mérite que s’ils se hissent au niveau que requiert aujourd’hui la tragique solitude de leurs frères égyptiens qui résistent les mains nue à des hordes surarmées et excitées. La vie humaine sacralisée dans le Coran comme dans la plupart des sagesses de l’humanité est aujourd’hui ouvertement bafouée en Egypte dans un déchaînement de barbarie sans précédent.

Si les organisations internationales et les grandes puissances ne semblent pas se soucier outre mesure de la vie humaine dans certains contextes géopolitiques précis et si les musulmans se sentent à juste titre abandonnés à leur sort aux côtés des nombreux autres damnés de la terre, il est de leur droit et de leur devoir de montrer pacifiquement à la face du monde que leur vie, tout autant que la vie de n’importe quel humain sur terre, mérite le respect. Dans ce combat, les musulmans rencontreront à leurs côtés les hommes libres de tous horizons. Et c’est dans ce combat commun pour la dignité humaine que toutes les diversités se hisseront ensemble à la compréhension et à l’entente que les organisations internationales devraient se donner comme horizon au lieu de se rabaisser à alimenter, même involontairement, la discrimination et la division.

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