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Droits de la femme en Islam : la stratégie des « meilleures pratiques » (1/2)

Dans tous les pays musulmans, à l’exception de la Turquie, le statut de la femme est régi par les règles du droit musulman. Parmi la panoplie de règles juridiques qui définissent ce statut, il est possible d’identifier, pour chaque rubrique, des règles spécifiques, appliquées dans un pays donné, qui octroient plus de droits aux femmes ou qui protègent mieux leurs intérêts. D’après les organisations de défense des droits des femmes, l’application de ces règles (dénommées par elles « meilleures pratiques » du droit musulman de la famille) contribuerait à réformer le droit de la famille “de l’intérieur”, dans le cadre de la charia, et à le rapprocher de manière significative des normes internationales contemporaines.

L’unité de la charia dans la diversité des rites

Contrairement à ce que beaucoup de musulmans pensent, la charia n’est pas la même dans l’ensemble des pays musulmans. Elle varie même de manière considérable d’un pays à l’autre, et d’une époque à l’autre. Il ne s’agit pas d’une dérive, mais d’un choix délibéré effectué par les fondateurs des grandes écoles juridiques, et entériné par les califes et leurs successeurs, dès les premiers siècles de l’Islam.

Ainsi, lorsque Malik ibn Anas eut préparé, à la demande du calife Abu Jaafar al Mansur, sa compilation de règles de droit intitulée « al-Muatta », le calife lui proposa de faire adopter cet ouvrage dans l’ensemble des territoires du califat pour servir de code de droit musulman de référence. La justice y serait ainsi rendue de manière uniforme, en appliquant partout les mêmes règles. Mais, Malik s’y opposa, semble-t-il, expliquant que les différentes communautés musulmanes avaient déjà adopté chacune ses propres règles et sa méthodologie d’élaboration du fiqh. Il estimait qu’il valait mieux les laisser libres de leurs choix.

Les fondateurs des quatre grandes écoles de pensée juridique sunnite (Abu Hanifa, Malik ibn Anas, Chafi’i, Ibn Hanbal) ont, d’ailleurs, chacun emphatiquement souligné, dans ses enseignements à ses disciples, qu’il n’était en aucun cas le détenteur d’une Vérité absolue en matière d’interprétation des règles du droit musulman. Ses interprétations des dispositions de la charia ne devaient en aucun cas être considérées comme des données définitives, qui lieraient les musulmans en tous lieux et en tous temps.

Si une école de pensée juridique différente présentait une meilleure interprétation d’une règle, il fallait en tenir compte. C’est ce qui explique l’ouverture d’esprit et la richesse des travaux des juristes musulmans, pendant des siècles, jusqu’à ce que les autorités politiques décrètent la « clôture de l’ijtihad » au 10è siècle.

Les juristes musulmans s’enorgueillissent, aujourd’hui, de la diversité des règles développées par les différentes écoles juridiques islamiques, la décrivant comme une bénédiction du Ciel. D’après eux, toutes ces règles sont conformes aux prescriptions coraniques et à la Sunnah, malgré leurs différences.

Mais, cette diversité d’interprétations complique de manière considérable le travail des associations de défense des droits des femmes, quand elles doivent oeuvrer dans des environnements juridiques aussi différents que ceux de l’Arabie Saoudite ou du Maroc, par exemple, qui se réclament pourtant tous de la charia.

Deux exemples contrastés : l’Arabie Saoudite et le Maroc

D’après un rapport soumis par un groupe de femmes s’identifiant comme « Women for reform » (Femmes pour la Réforme) au « Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes » de l’ONU (CEDAW) en 2007, les femmes saoudiennes se plaignent d’être confrontées de manière routinière, dans leur vie quotidienne, à de grandes difficultés, du fait des facteurs suivants :

  •  Il existe une ségrégation totale entre les sexes, avec toutes les conséquences négatives qui s’ensuivent pour les femmes, dans tous les aspects de leur vie
  •  Pendant toute leur existence, les femmes saoudiennes vivent littéralement « sous la tutelle » d’un mâle, qu’il s’agisse d’un père, d’un mari ou d’un proche parent
  •  « Sans la permission de son « tuteur », une femme ne peut ni étudier, ni accéder aux soins médicaux, ni se marier, ni voyager à l’étranger, ni gérer des affaires, ni faire pratiquement quoi que ce soit de significatif… »

    En réponse à ces observations, les autorités saoudiennes expliquent que la charia a défini des règles différentes s’appliquant à chacun des deux sexes. Par conséquent, en appliquant à chacun des deux sexes les règles de la charia qui le concernent, elles ne bafouent les droits d’aucun individu, qu’il soit mâle ou femelle. La charia présente, tout simplement, une conception des droits humains qui diffère de celle des pays occidentaux.

    Les autorités saoudiennes ajoutent que le Coran et la Sunna contiennent des règles claires et incontournables, visant à s’assurer que les femmes jouissent des mêmes droits et responsabilités que les hommes, sur une base d’égalité. « Si une femme est victime de discrimination ou d’une injustice, les lois du pays exigent qu’on la rétablisse dans ses droits. »

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    En contraste, au Maroc, le Code de Statut Personnel de 1957, adopté au lendemain de l’indépendance, a été entièrement refondu en 2004, à la suite de plusieurs décennies de lutte des associations féminines, pour tenir compte de l’évolution de la société marocaine dans le demi-siècle écoulé. Le Code, dans sa nouvelle mouture, a complètement redéfini le statut juridique de la femme au sein de la famille et de la société, le rapprochant considérablement des normes internationales.

    Il place la famille sous la responsabilité conjointe des deux époux, permet à la femme d’agir comme son propre tuteur, et fixe à 18 ans l’âge minimum de mariage des personnes des deux sexes. Il impose des conditions draconiennes au mariage dans le cadre du régime de polygamie et encourage l’épouse à inclure dans le contrat de mariage, si elle le désire, une clause pour interdire un second mariage de l’époux. Il place la répudiation sous un strict contrôle judiciaire et exige la répartition équitable des biens du couple avant que le divorce ne puisse être finalisé.

    Les oulémas et juristes marocains associés à la refonte du Code soulignent que toutes ses dispositions ont été basées sur une lecture attentive, minutieuse et complète de la charia, dans toute sa complexité, en tenant compte des « meilleures pratiques » juridiques en vigueur dans les autres pays musulmans.

    Pourtant, à la suite de cette refonte du Code, les autorités marocaines ont progressivement levé les différentes réserves qu’elles avaient précédemment exprimées au sujet de l’application sur le territoire marocain de certaines dispositions de différentes conventions internationales relatives aux droits de la femme et de l’enfant « qui pouvaient être incompatibles avec les prescriptions religieuses ».

    La stratégie des « meilleures pratiques »

    Confrontées à un tel éventail d’interprétations dans les règles appliquées au statut de la femme dans les différents pays musulmans, les organisations de défense des droits des femmes comprennent parfaitement la vanité d’essayer de remettre en cause les interprétations qui sont à la base des règles appliquées dans un pays donné.

    Ainsi, bien que les cas saoudien et marocain soient représentatifs de situations extrêmement différentes, aussi bien les autorités saoudiennes que marocaines sont convaincues que les dispositions juridiques appliquées au statut de la femme sur leur territoire sont parfaitement conformes aux prescriptions de la charia.

    Les ONG féminines telles que « Collectif 95 Maghreb-Egalité » ou « Sisters in Islam » de Malaisie, qui ont étudié ces questions de manière approfondie, proposent une nouvelle stratégie pour faire progresser la cause des droits des femmes musulmanes :

    « Si toutes ces règles sont également valables dans la charia, et si certaines d’entre elles accordent plus de droits aux femmes ou protègent mieux leurs intérêts, n’est-ce pas ces règles (dénommées les “meilleures pratiques” du droit musulman) qui devraient s’appliquer en droit de la famille, en ce début du 21è siècle, de préférence aux règles qui sont moins favorables aux droits des femmes ? Pourquoi les femmes devraient-elles faire les frais de ces différences d’interprétation, qui sont clairement le fait des hommes ? »

    A l’appui de ce dernier point, les ONG féminines rappellent que les Codes de Statut Personnel des différents pays musulmans font périodiquement l’objet de révision (Egypte 2000, Mauritanie 2001, Maroc 2004, Algérie 2005), alors qu’ils se basent sur les prescriptions coraniques et la Sunnah. Si les règles présentées dans ces codes ont été périodiquement changées, n’est-ce pas là la preuve que beaucoup de dispositions contenues dans les codes de droit de la famille relèvent du choix des hommes, et non de prescriptions religieuses ?

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