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Dr Al Ajamî : «Les musulmans n’éprouvent que rejet face à ces moutons noirs de l’islam»

Drame de Toulouse. Youssef d’EMF et le Dr Al Ajamî ont tous deux été très actifs dans le milieu associatif musulman de Toulouse. Alors que la série d’exécutions commises par Mohammed Merah les 11, 15 et 19 mars dernier (sept morts dont trois enfants) produit toujours ses effets politiques, ils répondent à trois questions1.

Propos recueillis par Cédric Baylocq

Youssef, 25 ans Diplômé en management de l’IAE de Toulouse, actuellement responsable commercial pour une entreprise française à Dubaï. Il a été président de la section toulousaine d’Etudiants Musulmans de France (EMF) entre 2008 et 2011 et chargé du dialogue interreligieux du Forum for Muslim Youth in Europe (FEMYSO), une association membre du Conseil de l’Europe.

 

Docteur Al Ajâmi, 55 ans. Docteur en médecine à l’Université de Toulouse-Purpan, ville où il s’est engagé dans le milieu associatif musulman. De la deuxième moitié des années 80 au début des années 90 il est membre du bureau de la F.N.M.F (Fédération Nationale des Musulmans de France) et de l’AMT (Association des musulmans de Toulouse), et l’un des principaux fondateurs de la plus grande mosquée de Toulouse sur le terrain du château de Tabar (1987). Retiré en denors de l’Hexagone, il se consacre désormais à l’étude théologique. Les lecteurs d’Oumma.com le connaissent bien de par les nombreux articles de fond qu’il a publié sur le site : http://oumma.com/Dr-Al-Ajami

Quelle est votre réaction après la série de meurtres, puis la neutralisation du jeune terroriste toulousain Mohamed Merah ?

Youssef : Avant tout j’aimerais dire à quel point je m’associe à la douleur des familles des victimes juives, catholiques et musulmanes. La mort d’innocentes victimes m’est insupportable et quoique l’on puisse dire, ces meurtres sont injustifiables. Comment peut-on regarder un enfant dans les yeux et en quelque seconde lui retirer la vie ? Je suis encore sous le choc.

Néanmoins, je trouve dommage que l’on n’ait pas pu appréhender vivant le jeune Mohamed Merah. Même si je salue le courage des hommes du Raid, je ne comprends pas comment des policiers, entraînés à intervenir dans de pareilles situations, ne peuvent pas neutraliser (sans tuer) un individu même lourdement armé. Cette question et bien d’autres, notamment sur la surveillance de Mohamed Merah, ont été soulevées par Christian Prouteau, fondateur du GIGN, et je dois avouer qu’elles me laissent également perplexe

Dr Al Ajamî : C’est en premier lieu à titre personnel, en tant qu’être, que je me sens concerné par la violence de tels actes. Puis, en tant que religieux, ma douleur est plus grande encore, je ne peux concevoir que la relation à Dieu, toutes religions confondues, puisse entraîner et encore moins justifier la violence ou la ségrégation. En tant que théologien, je fais la différence entre ce que le dogme vrai énonce : toute vie est sacrée et la miséricorde est l’essence de l’amour et du respect… et l’usage perverti que les hommes font de la religion. En tant que citoyen, je m’interroge sur la gestion de cette affaire, sa récupération, les retards.

Pourquoi n’a-t-on arrêté ce délinquant, excité notoire ? Au nom de quelle politique sécuritaire ? Comment un jeune de quartier fiché et connu se déplace-t-il librement avec des armes de guerre ? Quelle justice y a-t-il à livrer des suspects morts ? Quelles lignes profondes vont diviser la société française ? Nos dirigeants, nos élites intellectuelles, n’ont-ils aucune notion d’histoire ? Sont-ils amnésiques ? Qui voudrait que l’on rejoue la sombre partition des sombres années ?

– Avez-vous pensé à un crime antisémite provenant d'un membre de votre propre communauté de foi quand l'école juive a été attaquée ?

Youssef : Avant d’appartenir à ma « communauté de foi », ce jeune est français ne l’oublions pas. N’oublions pas également qu’avant d’attaquer l’école juive, ce jeune Français avait également tué deux militaires appartenant à « ma communauté de foi » et un militaire français de confession catholique.

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Sur le coup, j’ai surtout pensé à l’atrocité de l’acte et à la douleur des familles. Je ne pouvais même pas imaginer qu’un être humain puisse tuer de sang-froid des enfants, il m’était donc difficile le jour même d’envisager qu’un homme se réclamant de l’islam puisse être l’auteur de ces crimes.

Dr Al Ajamî : Non, pas directement. Et ce que je vais dire ne relève pas d’un angélisme feint, mais de ma propre volonté de ne pas céder à l’émotionnel ; ne pas se démarquer de la rationalité permet sûrement mieux de comprendre la réalité des évènements. N’y aurait-il que les musulmans pour commettre de tels crimes ?! Pourquoi de prime abord aurais-je pensé qu’il s’agissait d’un crime antisémite ? Un désaxé peut tuer au hasard, il peut tuer aussi les membres de sa propre appartenance, au demeurant celui-ci l’a aussi fait, ne l’oublions pas. N’importe quel déséquilibré peut tuer à l’aveugle, et la plupart des serial killers ne sont pas, à ma connaissance, prétendument musulmans.

Ensuite, « Communauté de foi » est une locution qui suppose au minimum que nous partagions les mêmes valeurs éthiques fondamentales et là, à l’évidence, ce n’est pas le cas. Aussi, et en toute logique, un musulman ne peut penser que son coreligionnaire soit un assassin. Ceci vaut d’ailleurs pour tout citoyen, un criminel n’est plus considéré comme un membre à part entière de la société, car, dans le cas contraire, chacun serait responsable des actes commis par une ultra minorité. Alors, faudrait-il que nous, musulmans, soyions coupables des agissements déments d’une frange obscure, absolument non représentative de la religion que nous pratiquons au quotidien ?!

– Aviez-vous remarqué certaines dérives vers le radicalisme, du temps où vous exerciez dans le milieu associatif musulman toulousain ?

Youssef : Le milieu associatif musulman toulousain n’est pas très grand. Les associations que j’ai côtoyées et avec qui j’ai pu travailler, sont composées de jeunes français musulmans parfaitement équilibrés et épanouis et n’ont jamais développé un discours radical.

Néanmoins, ce que l’on a pu constater c’est la création de petits groupes peu structurés qui développent des discours rigoristes et littéralistes en matière de compréhension de l’islam et de sa pratique. Mais même lors de mes plus virulents débats avec ces gens-là, je n’ai jamais senti de démarche ou de motivations djihadistes.

Les rares individus que j’ai rencontrés, faisant l’apologie du djihad, sont des jeunes dont le profil se rapproche de celui du jeune Mohamed Merah. Des jeunes entre 20 et 25 ans, souvent en rupture avec la société (chômage, prison…), qui ne sont pas forcément pratiquants, qui sortent en boîte, fument, boivent pour certains et qui développent une haine inquiétante envers le "système français" qu’ils accusent de les avoir abandonnés. Pour eux, soutenir Al Qaeda n’a aucun fondement religieux, ils veulent juste « en faire baver à la France » ou « mettre la France à genoux » comme l’a dit Mohamed Merah. L’islam dans tout cela n’est qu’un outil, un outil dont ils ignorent totalement le mode d’emploi, mais dont ils vont se servir pour essayer de justifier et de donner une légitimité à leurs actes.

Aujourd’hui, j’appelle la communauté musulmane à ne pas se renfermer dans la peur. Je souhaite que nous puissions créer des ponts entre les différentes communautés, afin que le dialogue et l’échange soient un rempart contre les thèses extrémistes et les amalgames. Je suis convaincu que l’ensemble de la communauté nationale répondra à cet appel positivement, car il n’y a rien de pire qu’une nation divisée.

Je prie de tout mon cœur pour que le militaire qui est encore dans le coma se rétablisse, et je prie Dieu pour qu’il apaise la douleur des familles de victimes.

Dr Al Ajamî : Les années 80-90 sont celles de la redécouverte de l’islam par les musulmans eux-mêmes. Le discours était alors très constructif : intégration à la société moderne, l’islam compris comme un moyen de participer avec foi au monde actuel. Malgré ce que l’on projette sur la révolution islamique iranienne et le jihâd afghan, dont on ne peut nier à l’époque le rôle de catalyseur, il n’y avait pas eu de retombées en terme de radicalisation. C’est qu’en effet, le vrai travail de réappropriation de l’islam était antérieur à cela et était le fruit d’un long travail de réflexion mené par une élite intellectuelle. En France, ce sont les étudiants des pays arabes qui ont islamisé les populations immigrées qui n'avaient pour seul bagage que leurs traditions. L’islam était alors pensé et vécu essentiellement comme une religion de réalisation personnelle, et tel est bien le sens de l’islam. Les années 2000, brisées par l’alternance terrorisme/invasions militaires, sont malheureusement celles l’Occident découvrit l’islam ou, plus exactement, les musulmans à travers le prisme déformant de l’activisme délirant de quelques individus. Al Qaeda n’est pas la Mafia, al Qaeda ne représente pas les musulmans, pas plus que la Mafia les italiens.

Au-delà de ces jeux de miroirs, il faut noter que ces jeunes délinquants en qamis et calotte-courtes sont principalement le produit, les victimes collatérales aussi, d’une instrumentalisation de type wahhabite. Ce courant de radicalisation des musulmans agit par l’intermédiaire de prêcheurs médiatiques financés par les puissances pétrolières du Golfe se réclamant, sans paradoxe, ouvertement alliées des États-Unis. Ceci étant, nul n’est dupe, et je suis intimement persuadé que les musulmans, parce qu’ils sont en leur immense majorité sains d’esprit, de cœur et de corps, n’éprouvent face aux horreurs dont se rendent coupables ces moutons noirs de l’islam que dégoût et rejet. Ainsi, cette caricature réactionnaire et toxique suscitera-t-elle par contrecoup une évolution humaniste et moderne, et les musulmans pourront alors reprendre la marche du temps avec le reste de leurs frères en humanité.

[1] L’imâm toulousain et docteur en biologie Mamadou Daffé que nous souhaitions intégrer au panel n’a pas pu répondre à nos sollicitations…
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