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Djihadisme et fantasme mémoriel

A l’heure où les fiefs de l’Etat islamique tombent tour à tour en Syrie et en Iraq, DAESH multiplie les attaques sur le sol européen semant l’effroi, le dégoût et la colère. Derrière celle qui vient d’endeuiller l’Espagne, le groupe terroriste ne se cache pas de la valeur symbolique du vocable « Andalousie musulmane » (1), marqué par la vision fantasmée qui en habite les termes et dont l’évocation est hautement nostalgique.
Une nostalgie idéalisée
En effet, il apparaît toujours en seconde lecture des communiqués diffusés par des combattants du Califat (2), que l’Espagne est le baromètre de l’essor et du déclin de l’Empire Musulman à l’aune de la piété qui y régnait jadis. Selon eux, les musulmans de Cordoue et de toute l’Andalousie n’auraient eu de puissance qu’à la mesure de leur foi et de leur unité. S’éloignant de leur religion et de ses valeurs morales, les dissensions et les conflits seraient alors apparus, poussant les musulmans à s’entretuer.
Le caractère uchronique et revisité de ces récits se manifeste tout d’abord par l’absence de toute forme de chronologie : aucune date, ni événement fondateur (de paix et de guerre), ni bataille, ni dissension, ni de nom de dynastie… Ce genre de développement s’articule fréquemment sur une présentation binaire et antagoniste : l’islam, système de lumière et d’équité succède aux ténèbres et à la tyrannie ce qui permet de poursuivre une démonstration a contrario.
L’exil mémoriel comme échappatoire
On est tenté de considérer cette trame qui fait florès dans les discours djihadistes comme une façon subtile et détournée de fuir une communauté musulmane telle qu’elle se présente aujourd’hui dans son égarement.
Cette démarche s’apparente à une Hijra mémorielle (3), à une démarche de dépaysement voire à une tentative de quitter la réalité sociale dans laquelle évolue le fidèle au profit d’une réalité plus conforme à un idéal islamique fantasmé et nécessairement réducteur d’une période où l’Empire musulman, dès la mort du Prophète, souffrait pourtant de divisions politico-religieuses fratricides (fitna), de luttes intestines en même temps qu’il faisait face à un ennemi extérieur.
Or, à chaque fois que l’adepte djihadiste se remémore l’Andalousie médiévale, il a le sentiment, par un bond dans le temps et l’espace, de construire une sorte de décor virtuel de pièce de théâtre comme une façon de se réapproprier les siècles glorieux d’un islam d’origine en opposition symétrique aux dernières générations (« khalaf ») désignant les héritiers indignes et corrupteurs du legs de leurs aînés.
L’histoire mutilée
L’histoire des musulmans « en diaspora » en Occident telle qu’elle est évoquée par ces faussaires aujourd’hui, relève certes d’une lecture bricolée de l’histoire mais annonce les crispations d’une communauté exilée devant se préparer à faire face aux défis de la modernité, au mépris de cette terre qui a vu naître « la fertilité des confluences entre les deux rives de la Méditerranée ».
Car si l’Espagne musulmane était en effet l’espace de tous les possibles, elle était d’abord terre d’Europe, terre de sciences et terre d’ouverture aux antipodes des velléités djihadistes lourdement chargées en termes de lisibilité de symboles et de fantasmes mortifères.
Notes:
(1) Al-Andalus
(2) http://www.cuatro.com/noticias/espana/Amenaza-yihadist
http://www.elmundo.es/internacional/2016/01/31/56adefc1268e3e5d0d8b4580.html, http://www.rfi.fr/moyen-orient/20160131-irak-video-execution-etat-islamique-jihadiste-francophone-menace-france-espagn, a-castellano_2_1821255087.html
(3) Cf. divers ouvrages d’Henry Corbin sur la géographie spirituelle. Cf. également définition rapportée par Jean Moncelon : « La géographie spirituelle tient un rôle éminent dans la pensée d’Henry Corbin. Très justement, Jean Moncelon retient le « mundus imaginalis […] la Terre des visions […] le monde où “ont lieu” les événements spirituels réels ». Ceux-ci échappent à la condition historique. » http://www.moncelon.com/cordavy.htm
 

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2 commentaires

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  1. La vérité sur al-Andalus est qu’elle n’a duré que quatre siècles, non pas sept. Son effondrement n’est pas tant dû à la fameuse “reconquista” (elle même porte ouverte sur les Croisades) qu’à la faiblesse des musulmans eux-mêmes, qui soit ont versé dans la corruption et l’obscurantisme, soit se faisaient la guerre entre eux. Par exemple, il est bien connu et vérifié que des califes musulmans espagnols se sont associés à Charlemagne pour faire la guerre à d’autre califes espagnols. Il faut arrêter avec l’Âge d’Or, le multiculturalisme idéal, les bibliothèques magnifiques, et tout le baratin. Oui, al-Andalus fut un pont de lumière entre Orient musulman et Occident chrétien. Mais du point de vue intellectuel par exemple, chaque savant travaillait dans son coin: la faiblesse de la pensée musulmane dans al-Andalus est qu’elle n’a jamais fait école, il n’y a jamais eu de mouvement, disons, en mathématiques, philologie, etc. Les Éuropéens ont su -sur les ruines de al-Andalus- construire la Renaissance.
    Quant à Cordoba, Sévilla ou Granada, il suffit d’y aller pour voir de ses yeux à quel point les vestiges de l’ère musulmane (sauf pour l’Alhambra) ont été défigurés par des cathédrales (la mosquée de Séville a tout simplement disparu!) grotesques et grandiloquentes. Même à Lisbone, qui se targue d’avoir le plus ancien quartier musulman (Alfama), il n’y a plus de traces architecturales du type mosquée ou alcazar.
    Dernier point. C’est vrai qu’on a le sentiment que l’Espagne resiste à la vague européenne des populismes et autres mouvements d’extrême droite. La vérité est que les Espagnols gardent tout d’abord à l’esprit les quarante ans de franquisme.

    • Désolé Abraham, mais il n’y a pas de “haine de soi” ici. Les faits sont têtus et apparemment dérangent votre vision de la réalité. Ensuite, pour peu que vous fassiez attention, je suis un de rares sur ce site qui insiste à longueur de messages sur la nécessité d’être fier d’être musulman dans toute circonstance, de ne pas courber l’échine devant les pouvoirs temporels et les excès de tous horizons. De même pour la dénonciation de la condition postcoloniale en France et son islamophobie institutionnalisée. Mais tout cela vous passe au-dessus de la tête: les raccourcis médiocres, les commentaires par le petit bout de la lorgnette sont plus rassurants…
      PS: vous vouliez sans doute dire “sept siècles”. En fait le génocide judéo-musulman avait commencé bien avant 1492, la chute de Grenade (sans coup férir!).

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