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Disparition du penseur musulman allemand Murad Hofmann

Le penseur musulman allemand Murad Wilfried Hoffmann nous a quittés ce lundi 12 janvier, à l’âge de 89 ans, laissant derrière lui un ensemble d’œuvres au service de l’Islam et de l’humanité qui en font un Juste, à la mémoire duquel nous avons le devoir de prier et de témoigner pour que son appel en faveur de la paix et de l’entente entre les peuples résonne enfin dans un monde traumatisé par les injustices et les guerres.

La conversion à l’islam d’un juriste diplômé de la célèbre université d’Harvard, qui embrassa une carrière diplomatique prestigieuse ( il fut notamment directeur de l’information de l’Otan de 1983 à 1987, ambassadeur d’Allemagne en Algérie de 1987 à 1990 et au Maroc de 1990 à 1994), relève avant tout du parcours personnel d’un homme qui a trouvé dans la foi musulmane une nouvelle raison de vivre et d’espérer, alors qu’il était tourmenté par la sécheresse d’une civilisation matérialiste dont le consumérisme ostentatoire était loin de satisfaire l’âme exigeante d’un homme que l’ouverture à l’art a très tôt prémuni contre les différentes figures de l’ « individu éphémère ». 

Oui, la conversion de Mourad Wilfried Hofmann à l’islam, en 1980, fut avant tout artistique au sens plein du terme. La lecture du Coran l’a d’abord frappé par son harmonie et sa beauté qui subjugue le cœur et les sens avant de devoir y revenir par la suite pour une lecture approfondie. Une lecture qui a nécessité la mobilisation de tout son savoir philologique après avoir appris la langue arabe, mais aussi son savoir philosophique et anthropologique qui était immense. C’est ce qui lui a permis de découvrir et d’apprécier à sa juste valeur la logique de la ratio islamica qui habite le corpus coranique. 

Mourad Hofmann était donc doublement armé, par le cœur et l’esprit, quand il a dû affronter les campagnes insidieuses déclenchées par les médias mainstream contre l’islam au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Tout en dénonçant les errements de ceux qui justifient au nom de la religion musulmane des actes que la doctrine musulmane réprouve, comme les attentats suicide qui tuent des innocents, Murad Hofmann a eu le courage de rappeler les racines de ce déchaînement de violences. Il n’a pas hésité à commettre l’irréparable blasphème qui consiste à mettre en accusation l’enfant gâté de l’occident impérialiste dans la région du Moyen Orient (l’Etat d’Israël) comme il l’a déclaré dans un entretien à  Islamische Zeitung  en janvier 2002 : « On ne peut pas expliquer ou analyser le 11 septembre sans tomber sur Israël. Tant que ces gens ne reconnaissent pas la justice, il y aura des Ben Laden. L’ONU ratifie des résolutions qui ne sont appliquées que si elles s’appliquent contre un pays islamique tel que l’Iraq. On n’a jamais vu s’appliquer des résolutions qui seraient bénéfiques aux musulmans. Au Cachemire, un référendum aurait dû avoir lieu il y a 40 ans déjà ! Mais dans le cas de la Palestine et d’Israël, jusqu’à présent aucune résolution n’a encore été appliquée »

La Justice : tel est le concept axial qui permet d’expliquer comment un intellectuel catholique bavarois, attiré d’abord par le rapport de l’islam à l’art, va finir par embrasser la foi musulmane dans sa quête de l’équilibre et de l’unité. Cette quête passe nécessairement par la révolte contre les manifestations les plus visibles de la crise d’une civilisation qui est passée presque naturellement de la « mort de Dieu » à la « mort de l’Homme ». Les déséquilibres de toutes sortes, sociaux et écologiques, engendrés par la crise de la civilisation capitaliste et les mutilations de l’homo oeconomicus ne sont pas des accidents de parcours comme voudraient le faire croire tous ceux qui cherchent à sauver le Système. Ils sont plutôt le signe que l’Homme « maître et possesseur de la nature », inauguré par la modernité capitaliste postcartésienne, ne pouvait que finir dans le spectacle désolant de l’Homme solitaire et impuissant face à la catastrophe écologique à venir.  

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L’intelligence de Murad Hofmann est d’avoir su établir un rapport subtile entre cette déchéance de l’Homme postmoderne et la perte de sens engendrée par l’expulsion de la Transcendance de l’horizon de la civilisation capitaliste contemporaine. Une civilisation qui a fini par dénaturer le principe d’immanence qui était pourtant censé jeter les bases d’un humanisme nouveau dans l’élan émancipateur de la Renaissance. Le lien indiscutable existant entre ce principe d’immanence des Modernes et le principe d’incarnation contenu dans la trinité chrétienne ne pouvait pas échapper à Murad Hofmann et c’est sans doute le facteur intellectuel qui a précipité sa conversion à la religion de la Transcendance absolue.

Le principe de Transcendance permet à l’Homme de se remettre complètement à Dieu. Il permet de retrouver la sérénité et la confiance en soi. Mais en islam, contrairement au bouddhisme par exemple, la remise de soi ne cherche pas la sérénité et la confiance seulement dans la méditation et la prière. L’islam appelle les croyants à l’action. Mais pas n’importe quelle action. Une action fondée plutôt que le savoir. C’est ce que Murad Hofmann a retenu du corpus coranique et il n’a pas cessé de le rappeler dans toute son œuvre d’intellectuel musulman engagé. 

Interrogé sur les spécificités de l’islam américain, Murad Hofmann a relevé l’importance du facteur sociologique de « la vitalité de la communauté afro-américaine » qui compte de nombreux convertis à l’islam mais il a également insisté sur le fait que la communauté musulmane aux Etats-Unis est une des communautés les mieux éduquées, ce qui constitue selon lui un motif d’espoir remarquable :  « Si je prends l’exemple de l’Islam aux USA, dont les perspectives me donnent beaucoup d’espoir, l’Islam là-bas bénéficie de toute l’influence afro-américaine, de toute la vitalité et de toute l’intensité de la foi de la communauté noire. Puis, il y a aussi aux Etats-Unis d’Amérique une composante hautement intellectuelle, car presque tous les musulmans émigrés aux USA sont venus en tant qu’étudiants. Ceci signifie que la part des universitaires est plus élevée dans la Oumma américaine que dans toute autre religion. Ainsi, un médecin sur cinq aux USA est un musulman. Et beaucoup d’entre eux se sont fait la promesse en tant qu’étudiants de dépenser 10 % de leur revenu pour l’Islam ».

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10 commentaires

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  1. J’ai eu la chance de lui avoir parlée à la mosquée de Stalingrad rue de Tanger (lors des grandes conférences dans les années 90) .. vraiment un grand homme sincère et authentique!
    Allah I rahmou wai i Rahamme Mousslim Jemii Amine

  2. @M. Bensaada.

    Petite rectification. Le bouddhisme ne se réduit pas à vivre retiré du monde, en se consacrant à la contemplation. L’action est au coeur même de la pensée bouddhiste. La loi du karma est appréhendée d’ailleurs comme un principe d’action / réaction : en gros, on récolte ce que l’on sème. Voilà pourquoi les bouddhistes doivent cultiver la compassion en la traduisant en pensées, en paroles et en actes pour accumuler des “mérites” en vue de l’Eveil. Le bouddhisme marche ainsi sur 2 jambes dans cette perspective : la compassion et la connaissance de la nature ultime de l’esprit, à travers des “moyens habiles” comme la méditation. La compassion est un mouvement extrêmement large qui amène à embrasser le vivant (les humains, les animaux, les végétaux) comme une grande famille. C’est le fil des réincarnations qui connecte en effet les êtres. Enfin, la méditation des bouddhistes les plus avancés est censée se pratiquer de manière permanente, pas seulement en position assise à un certain moment de la journée mais dans l’action quotidienne, y compris endormi (voir la notion de yoga du rêve). Même les arts martiaux dans leur sens le plus profond sont censés être un support de méditation. Je vous conseille notamment de lire Yoshikawa (“La Pierre et le Sabre”, “la Parfaite lumière”) qui met en scène un samouraï mythique au Japon, Musashi, et son dialogue avec maître Takuan. Tous les 2 ont existé. Le premier a écrit “le Traité des 5 roues” où il montre comment il transcende l’art du sabre suivant le Zen. Le second a écrit un classique du Zen : “les Mystères de la Sagesse Immobile”. Je vous conseille également la lecture d’un allemand, Herrigel, qui lui a été initié à l’art du tir à l’arc au Japon et a écrit plusieurs livres dont le très beau “Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc”. Bref le bouddhisme avec sa pratique de la méditation est loin d’être déconnecté de l’action.

    Le non agir vous le retrouvez surtout dans le taoïsme. En fait, il ne s’agit pas d’inaction mais de se conformer aux variations du Tao, si bien que l’on n’a pas le sentiment d’agir puisqu’on suit le cours du Tao, sans effort.

      • Bonsoir Yasmina,

        Je pense que la Oumma est censée être transnationale par définition, comme le disait Souareba qu’on ne voit plus (je le regrette et le salue s’il venait à lire ses lignes, en espérant son retour), comme les communautés religieuses en général. Je pense notamment aux juifs. J’ai été impressionné de voir qu’un de mes collègues, avec qui j’aimais bien parler de judaïsme (son père était un érudit), avait rencontré dans l’avion des coreligionnaires qui lui apportaient de la nourriture casher à l’hôtel durant un de nos séminaires d’entreprise. Il y a une solidarité apparemment très forte. Mais c’était peut être un évènement assez anecdotique. Je ne sais pas s’il en est de même chez les musulmans.
        Les américains en revanche me semblent unis par une fierté nationale assez importante. Le patriotisme joue beaucoup, je pense. Ce qui n’empêche pas la société américaine d’être traversée par des clivages assez monstrueux. Pour y être allé en visite dans de la famille, je ne me vois pas y vivre.
        Pour vous avoir lu, il me semble que vous disiez être non française. Etes vous américaine ? Réponse non requise si indiscrète, mes excuses en prime.

        Bien à vous

      • Bonjour Yasmina,

        Ma réponse n’est pas parue. Elle n’avait rien de polémique.
        La Oumma comme toute communauté religieuse est transnationale pour moi. Les américains sont au contraire pour moi dans une logique nationale, patriotique très forte en dépit des clivages qui traverse la société, multi ethnique et pluri confessionnelle. Sans doute la fierté basée sur la conscience plus ou moins fondée d’être la nation la plus puissante du monde. Ça aide à se voir comme le centre du monde.

        Bien à vous

  3. Malheureusement, ce M. Hoffmann s’éteint dans l’Amérique de Trump. Comme quoi ses espoirs ne se seront pas vraiment réalisés de son vivant. Qu’il repose en paix et que son discernement appelle à méditer.

    En tout cas, cet article pourrait susciter des candidatures à une traversée de l’Atlantique pour vivre le rêve américain si certains s’estimaient déclassés, voire opprimés en France. Je ne peux que soutenir cette initiative également pleine de discernement.

    • Le défunt Hoffmann s’éteint aux USA, mais dît ” On ne peut pas expliquer ou analyser le 11 septembre sans tomber sur Israël. Tant que ces gens ne reconnaissent pas la justice, il y aura des Ben Laden. L’ONU ratifie des résolutions qui ne sont appliquées que si elles s’appliquent contre un pays islamique tel que l’Iraq. On n’a jamais vu s’appliquer des résolutions qui seraient bénéfiques aux musulmans. Au Cachemire, un référendum aurait dû avoir lieu il y a 40 ans déjà ! Mais dans le cas de la Palestine et de l’Israël, jusqu’à présent aucune résolution n’a encore été appliquée”.

      Z, lui, il vit en France, et trouve NORMAL que ce pays par excellence laïque (comprendre, institutions laïques), abrite le … CRIF (Centre Représentatif des Institutions …. Juives de France -Allez comprendre !-), centre prônant le sionisme.

      Alors Z …. Vivre aux USA, en France ou dans un autre pays, …. je vous laisse terminer la phrase !

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