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Détermination du Mois de Ramadân. Enseignements du Hadîth (2 sur 2)

“A chaque Communauté nous avons institué son rite afin qu’elle l’observe. Qu’ils ne te contestent donc pas sur ce point [Ô Muhammad ]. Appelle à ton Seigneur car, tu es, certes, bien guidée, en toute rectitude.” S22.V67.

Comme chaque année la controverse fait rage et nous ne souhaitons pas participer au « je pense que », ni opposer conservatisme à modernisme ou science et foi, ces faux débats ne faisant qu’occulter une réalité autrement plus fâcheuse. L’Islam est religion de référence scripturaire, et notre objectif est uniquement de donner à tout un chacun un accès direct à la signification du Coran et du Hadîth.

Nous aurons constaté au précédent volet que l’analyse littérale précise des versets du Coran concernant la détermination du mois de Ramadân s’opposait à la possibilité de la dite détermination par le seul calcul astronomique tout comme à l’idée du jeûne « universel ». Le Coran est ici extrêmement explicite, la détermination du mois de Ramadân dépend de l’observation du croissant, observation strictement visuelle et non généralisable à d’autres régions.

Nous avons souligné par ailleurs une réalité indéniable : à l’heure actuelle l’enjeu de la détermination du mois de Ramadân est, avant toute chose, “politique”, les ulémas, les spécialistes, plus largement les musulmans, payent ici de bonne intention ou pas.

Cependant, et nous ne pouvions en faire l’impasse, il est régulièrement fait recours au Hadîth pour légitimer ces volontés hégémoniques ou ces rêves d’unification, ces deux penchants concourant, le premier à l’insu du deuxième, aux mêmes erreurs.

CE QUE L’ON PRÉTEND AU NOM DE LA SUNNA.

1- Premier principe dit relevant de la Sunna : « On doit suivre le premier pays musulman qui voit le croissant. »

Si un tel principe avait été énoncé par le Prophète, nous aurions là une preuve irréfutable, mais aussi une contradiction flagrante d’avec le Coran. Il est donc malgré tout régulièrement mentionné un propos attribué à Ibn Abbas : « Un bédouin se présenta au Prophète et lui dit : J’ai observé le nouveau croissant de lune. Alors le Prophète lui demanda : Attestes-tu de l’unicité de Dieu et de la prophétie de Muhammad ? » L’homme répondit par l’affirmative. Le Prophète dit alors : Informez les gens qu’ils devront jeûner demain. »

L’analogie repose sur la venue d’un bédouin, donc d’un non-résident à Médine, et de la généralisation supposée contenue dans l’ordre du Prophète : « Informez les gens qu’ils devront jeûner demain. » On en déduit le principe ci-dessus mentionné. Inutile d’épiloguer, car « hadith » rapporté par At-Tirmidhî, Abû Dâwud et An-Nasâ’î est inauthentique, da’îf.

Il en est de même pour tous les propos équivalents mettant en scène un témoin musulman ainsi que de ceux faisant intervenir deux témoins musulmans. Tous sont nettement frappés au coin du juridisme qui les engendre. Leur inauthenticité ne leur confère aucune valeur décisionnelle. Ainsi, aucun hadîth ne permet de prétendre à la collectivisation du jeûne.[1]

L’on pourrait, qui plus est, opposer à ces textes un hadîth rapporté par Muslim, An-Nasâ’î, Abû Dâwud, At-Tirmidhî, Ibn Hanbal, Ibn Khuzayma. Il met en scène Kurayb qui débuta Ramadân en « Syrie » et qui, de retour à Médine vers la fin de ce mois, fut interrogé par Abdullâh ibn Abbâs : « Quand avez-vous vu le croissant, al hilâl ? Je répondis : Nous l’avons vu au soir du vendredi. Il me demanda alors : L’as-tu vu personnellement ? Je répondis par l’affirmative et ajoutais que les gens le virent de même et jeûnèrent ainsi que Mu‘âwyya. Il dit alors : Quant à nous nous l’avons vu samedi, et nous poursuivrons donc le jeûne jusqu’à compléter trente jours à moins que nous ne voyons le croissant du nouveau mois. Je lui demandais alors : Ne te suffit-il pas que Mu‘âwyya l’ait vu et ne suivras-tu pas son jeûne ?

Ibn Abbâs me répondit : C’est ainsi que le Prophète, SBSL, nous ordonna, de pratiquer. »

Ce hadîth, quoique en phase avec le sens du Coran tel que nous l’avons rappelé, est toutefois assez délicat à valider : Il est uniquement sahîh âhâd et pour At-Tirmidhî hasan gharîb. Son caractère âhâd, ou isolé, ne lui confère pas pour nous une grande valeur et, qui plus est, l’on peut faire les remarques suivantes : Al Bukhârî ne l’a pas cité alors même que l’Ecole Chaféite l’a retenu.[2] Il ne rapporte pas un avis du Prophète, SBSL, mais celui de Ibn Abbâs qui ne cite pas pour autant à quel propos du Prophète il se réfère, il est donc assez difficile de prouver que sa compréhension des choses soit juste.[3] Signalons qu’il a été retenu avec moins de réserve par les ulémas en faveur de la thèse spécifiant que le jeûne n’est valable qu’en fonction d’une observation locale. Quoiqu’il en soit, l’argument décisif imposant le jeûne « local » et invalidant le jeûne « universel » est coranique, nous l’avons montré au précédent article, et rien dans la Sunna ne vient le contredire, la suite le confirme.

2- Deuxième principe dit relevant de la Sunna : « Le Prophète a indiqué implicitement que l’on pouvait recourir au calcul. »

A cette fin l’on cite régulièrement un hadîth authentifié, sahîh, rapporté par l’Imâm Mâlik, An-Nasâ’î et, selon des variantes, par Al Bukhârî, Muslim, Ibn Hanbal et ibn Hibbân.

 Selon Abdullâh ibn Umar, le Prophète, SBSL, a dit au sujet de Ramadân : « Ne jeûnez pas tant que vous n’avez pas vu le croissant de lune, al hilâl. De même, ne terminez pas le jeûne du mois sans l’avoir vu. Si vous ne pouvez l’observer du fait qu’il vous est caché par les nuages, estimez-le. »

Lorsque un hadîth est authentifié il est toujours possible de « jouer sur les mots ». Il est alors ici exploitée la fin du propos : « Si vous ne pouvez l’observer du fait qu’il vous est caché par les nuages, estimez-le.  » Plus précisément, on vise le segment « estimez-le » en arabe « fa-qdirû lahu », en affirmant que cette estimation inclut par défaut le calcul astronomique. Le Prophète aurait employé dans cette perspective le verbe « qadara » qui, dit-on alors, peut signifier « déterminer une mesure par le calcul ». Or, en arabe, « qadara », apprécier, estimer, déterminer, décréter, ne peut vouloir dire « déterminer une mesure par le calcul ». Il s’agit d’une “erreur” évidente, et il est ici “confondu” avec le verbe « qaddara » qui, si on le stimule énormément, pourrait avoir le sens souhaité : « déterminer une mesure par le calcul ». Il n’ y a donc aucune indication directe du Prophète en faveur d’un mode de détermination par le calcul.

3- Troisième principe dit relevant de la Sunna : « Seule l’ignorance des Arabes en la matière les empêchait d’utiliser le calcul pour la détermination de Ramadân. »

Il s’agit à l’heure actuelle de l’argument majeur militant en faveur de la détermination astrologique de Ramadân.

 Le hadîth, sahîh, est bien connu : D’après Ibn Umar le Prophète a dit : « Nous sommes une Communauté non-lettrée, nous n’écrivons pas et ne comptons pas. Les mois sont ainsi : parfois de 29 jours, parfois de 30. »

L’on cherche ici à renforcer l’opinion précédente ; ce ne serait que du fait de l’ignorance des Arabes qu’il ne fut pas procédé à l’estimation astronomique à l’époque du Prophète. Le Prophète, SBSL, avouerait l’insuffisance de l’état culturel de son temps en attendant, en quelque sorte, que la science nous éclaire.

Il est connu que les Arabes ne possédaient guère de culture écrite, mais qui prétendrait qu’ils ne savaient pas compter ! A moins que nous ne sachions plus lire ! Ainsi, à l’évidence, le Prophète, SBSL, ne parle pas ici du fait de compter mais, comme le faisait très justement observer Ibn Hajar al ‘Asqalânî [4] en son temps, il désigne en réalité l’usage du calcul astronomique, c’est-à-dire la détermination théorique des mois lunaires versus observation visuelle.

Nous allons revenir sur la lecture juste de ce hadîth clef en infra mais, d’ors et déjà, nous pouvons retenir que ce propos du Prophète, SBSL, loin de célébrer l’on ne sait pour quelles obscures raisons l’ignorance des Arabes, invalide en réalité le recours au calcul astronomique. Ce n’est donc point, comme on le prétend, l’ignorance ou l’insuffisance technique qui fit préférer au Prophète l’observation directe et nous allons encore une fois le démontrer.

En résumé :

– Le premier principe : « On doit suivre le premier pays musulman qui voit le croissant. » est fondé sur une série de hadîths tous da’îf ou apocryphes.

– Le deuxième principe : « Le Prophète a implicitement indiqué que l’on pouvait recourir au calcul. » est fondé sur grossière erreur de sens.

– Le troisième principe : « Seule l’ignorance des Arabes en la matière les empêchait d’utiliser le calcul pour la détermination de Ramadân » relève d’une erreur de lecture, compréhension erronée du texte. Le hadîth en question signifie en réalité le contraire, le refus du calcul pour la détermination des mois lunaires au détriment de l’observation visuelle.

 

 

CE QUE LA SUNNA DIT RÉELLEMENT.

• En premier lieu, il convient de revenir sur le hadîth ci-dessus cité. Il est effectivement au cœur du débat et a été récemment rappelé sur Oumma avec insistance par Khâlid Chraïbi sous l’autorité d’un avis de Shaykh Ahmad Shâkir publié en 1939. Selon lui, et selon les ulémas qui le suivent actuellement, l’on trouve en ce texte le fondement du troisième principe : «  Seule l’ignorance des Arabes en la matière les empêchait d’utiliser le calcul pour la détermination de Ramadân. » A contrario les avancées scientifiques en la matière seraient donc légitimes. Ce discours s’articule autour du hadîth sahîh précédemment mentionné ; en voici à nouveau le texte :

إنا أمة أمية لا نكتب ولا نحسب الشهر هكذا و هكذا يعني مرة تسعة وعشرين ومرة ثلاثين.

D’après Ibn Umar le Prophète a dit : « Nous sommes une Communauté non-lettrée, nous n’écrivons pas et ne comptons pas. Les mois sont ainsi : parfois de 29 jours, parfois de 30. »

Notre traduction est littérale et nous pouvons en réaliser l’analyse pas à pas :

1- « Nous sommes une Communauté non-lettrée », si le Prophète par le terme « ummyy » a voulu désigner l’illettrisme alors il commet une répétition inutile en disant « nous n’écrivons pas et ne comptons pas » ! De plus, il serait faux de dire que les Arabes ne savaient pas écrire même si cet art était imparfait et très peu répandu chez eux. Mais, pire encore, il serait stupide de prétendre qu’ils ne savaient pas compter ! Toute société illettrée sait parfaitement compter et, devrais-je le rappeler, les Arabes d’alors étaient souvent commerçants. C’est donc à dessein, et conformément à l’étymologie même du terme « ummyy », que nous avons traduit par « non-lettrée ».

2- Il ressort de ces remarques que la phrase « nous n’écrivons pas et ne comptons pas » ne peut signifier un constat d’ignorance. Or, la fin du hadîth dit : « Les mois sont ainsi : parfois de 29 jours, parfois de 30. », c’est donc que l’objectif visé par le Prophète en disant « nous ne comptons pas » concerne spécifiquement la détermination des mois lunaires comme l’avait fort justement observé al ‘Asqalânî.

3- Les Arabes, de par leurs contacts avec les civilisations voisines,[5] connaissaient l’existence du calcul astronomique et c’est ce qu’indique ce hadîth. Pour autant, le Prophète a maintenu, conformément au Coran, une règle issue de l’observation directe : un mois ne peut comporter en pratique que 29 ou 30 jours. Ainsi, les termes « nous n’écrivons pas et ne comptons pas » rejettent l’établissement de tables de calcul astronomique et renvoient à l’obligation coranique d’observation visuelle.

4- « Les mois sont ainsi : parfois de 29 jours, parfois de 30.  » signifient aussi que le calcul astronomique, fût-il au centième de seconde près, ne change rien au fait que les mois lunaires en pratique, c’est-à-dire à l’observation de visu, ne ferons jamais moins de 29 jours ou plus de 30 ! Qui donc jeûnerait 29jrs.12 hrs.15mn.5 sc. et romprait son jeûne en plein midi ! Cette délimitation concrète implique, de même, qu’il n’ y ait pas à avoir recours au calcul.

5- L’objectif de ce hadîth est donc bien de conforter la détermination par l’observation visuelle du croissant qui, rappelons-le, est une règle coranique concernant uniquement l’établissement du calendrier des occasions religieuses, Ramadân, le Pèlerinage, l’Aïd Adhâ. Il n’ y a donc pas à inclure au débat les difficultés occasionnées par l’organisation civile des sociétés musulmanes qui, depuis fort longtemps déjà, ont adopté dans les faits le calendrier de type occidental, ou ont proposé une détermination préétablie par le calcul astronomique.

6- Pour conclure, nous pouvons retourner aux premiers termes du hadîth : « Nous sommes une Communauté non-lettrée ». Observons que le Prophète, SBSL, a employé le mot « umma » et qu’il l’a renforcé par la particule « innâ » dans « innâ ummatun », ce qui se traduit exactement par : « Nous sommes, en vérité, une Communauté ». L’emploi de « Umma-Communauté » donne à son propos une portée générale et intemporelle ; il s’agit de désigner la Communauté des musulmans. Si le Prophète, SBSL, avait limité son propos à son époque et à la situation d’indigence supposée de son peuple, il aurait dû utiliser le terme « qawm », « peuple, gens » : « Nous sommes un peuple de non-lettrés ». Ceci confirme à nouveau qu’il ne s’agissait pas pour le Prophète en ce hadîth de traiter de l’illettrisme des musulmans du VIIème siècle, mais bien de réfuter l’utilisation du calcul astronomique par la Umma des musulmans conformément à l’énoncé coranique et, en tout état de cause, ce propos nous concerne encore directement. Il ne sera donc pas possible de le reléguer à l’âge de pierre ou aux oubliettes de l’histoire comme d’aucuns le pensent.

7- J’ajouterais que dans cet exact contexte de compréhension, le terme « ummyy » peut être compris plus justement, toujours en conformité avec les possibilités de l’étymologie, comme signifiant « gens de principes  », « gens s’en référant aux sources ». Ce hadîth du Prophète, SBSL, lue avec précision signifie donc : « Nous sommes, et serons, une Communauté de principes, nous ne faisons pas recours au calcul astronomique pour la détermination du mois lunaire mais à l’observation visuelle. Les dits mois sont et seront en pratique de 29 ou 30 jours. »

Devrais-je avoir à le préciser ; loin de moi l’idée de discriminer les autorités citées ou même à m’y opposer. Je ne cherche pas exposer mes convictions mais seulement à comprendre les textes. C’est-à-dire à rechercher leur signification réelle et exacte. Mes arguments sont donc littéraux et, conséquemment, en rien polémiques. Le Droit, le décisionnel, ont toujours montré leur exceptionnelle capacité à s’accaparer les textes en fonction des besoins. La démarche vraie me semble inverse : nous adapter au Message.

Ceci étant, le sens bien compris de ce hadîth n’interdit pas le recours à l’utilisation du calcul tel que certains le prônent raisonnablement : déterminer la non possibilité de visibilité d’observation du hilâl à l’œil nu par zone géographique. Au contraire, il s’agit là d’un progrès réel qui, tout en ne s’opposant pas à l’esprit et la lettre des textes, permet de garantir les musulmans contre toute « erreur volontaire » d’observation ( ?) à l’œil nu.

• Ensuite, reprenons rapidement le hadîth cité pour étayer le deuxième principe : « Le Prophète a indiqué implicitement que l’on pouvait recourir au calcul ». Nous l’avons montré, l’interprétation qui en est faite est erronée, mais le texte est porteur d’autres informations : « Ne jeûnez pas tant que vous n’avez pas vu le croissant de lune, al hilâl. De même, ne terminez pas le jeûne du mois sans l’avoir vu. Si vous ne pouvez l’observer du fait qu’il vous est caché par les nuages, estimez-le. »

La première partie du hadîth, pourtant négligée, est explicite : le Prophète y emploie à deux reprises le verbe « voir », « raâ » et le hilâl n’est pas chose théorique mais le croissant de lune tel qu’il apparaît à l’horizon en début et en fin de mois lunaire.[6] De plus, il est dit : « Ne jeûnez pas tant que vous n’avez pas vu », la précision « hattâ », « tant que vous n’avez pas », interdit de facto toute autre possibilité de procéder, le calcul y compris, ce que confirme en fin de hadîth l’emploi du verbe « qadara », « estimer » et non pas « qaddara », « calculer », comme nous l’avons précédemment signalé.

• Enfin, le point de vue du Prophète est donc parfaitement cohérent et il n’est pas le fruit d’un archaïsme. Sa position est explicite, elle se trouve logiquement synthétisée et confirmée en un hadîth fort connu : « Jeûnez à la vision du croissant de lune, hilâl, et, de même, terminez le mois de jeûne à sa vision. Si vous ne pouvez l’observer, du fait des nuages, comptez trente jours. »

Ce hadîth, ici selon la version de An-Nasâ’î, est aussi rapporté par Al Bukhârî, Muslim et d’autres. Il est sahîh mutawâtir et, au sujet de la détermination de Ramadân, il est le seul qui atteigne ce haut grade de fiabilité, il est donc prépondérant. Il confirme l’obligation, « jeûnez », d’observation visuelle, « à la vision » et, par la formulation « Si vous ne pouvez l’observer, du fait des nuages, comptez trente jours  », il conjoint explicitement le refus du calcul astronomique remplacé par un principe simple et logique : Si l’observation ne peut être réalisée du fait des conditions météorologiques il suffit de compter trente jours pour le mois précédant Ramadân, sha‘bân, soit la durée maximale d’un mois lunaire. Le décompte de Ramadân sera par la suite réajusté.[7]

Signalons, pour être complet, que l’on utilise parfois ce hadîth en version tronquée : « Jeûnez à la vision du croissant de lune, hilâl, et, de même, terminez le mois de jeûne à sa vision. » en affirmant que le pluriel ici employé par le Prophète implique que toute la Umma doive jeûner dès lors qu’un seul témoin a vu le hilâl. La connexion logique est ici plus qu’aléatoire mais typique du littéralisme…[8]

Ainsi donc, cette simplicité de procédé n’est en rien due à un carence technologique ou conceptuelle, bien au contraire, elle se fonde directement sur l’interprétation du Coran par le Prophète. Répétons-le, là encore, la conformité d’avec le Coran est parfaite, le Hadîth ne s’oppose pas au Coran. La sagesse présidant à cette mesure divine et prophétique est évidente : interdire à ce que les hommes s’arrogent la religion comme source de pouvoir et de domination…

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Nous aurons pu, encore une fois, constater la cohérence entre le Hadîth sahîh et le Coran, bien lu et bien compris. La convergence du Hadîth et du Coran élimine donc ici toute spéculation quant au mode de détermination du mois de Ramadân par le calcul et quant à la prétention « politique » d’un jeûne “universel”, à moins que l’homme ne préfère sa propre prise de parole à celle de Dieu et de Son Prophète…

EN RÉSUMÉ.

– Le Coran est extrêmement explicite quant aux critères de détermination du mois de Ramadân et son champ lexical, conforté par les hadîths authentifiés, est précis et sans ambiguïté aucune ; la règle est donc intangible : c’est l’observation concrète, de visu, qui signe le début et la fin du mois de Ramadân.

– Les hadîths, lorsqu’ils sont authentifiés, confirment avec rigueur le propos coranique.

– Ils confirment que l’observation est visuelle, et que le calcul astronomique ne peut y être directement substitué.

– Le Coran et le Hadîth ne prônent ni n’autorisent le jeûne universel, c’est-à-dire l’alignement sur la première nation qui annoncera le début de Ramadân.

– Les divergences entre les doctes et les moins doctes sur ces textes ne relève pas de la nature des textes mais bien de l’ambiguïté inhérente à la raison humaine.

– Il apparaît évident que les textes sont lus et “mésinterprétés” sous l’influence d’un modernisme, ici pourtant inutile, mais censé être la panacée de tous nos maux, croyance vaine mais croyance certaine.

– Il apparaît tout aussi évident que la réactivation du « débat » à l’heure actuelle est essentiellement politique et en rien théologique ou exégétique. Ces démarches et approches ne relèvent que de la triple erreur qui marque cette problématique : vision politique réductrice et réduite de la Oumma, lecture superficielle ou orientée du Coran et du Hadîth, foi mahdiste en la modernité.

– Nous ne rejetons pas, bien évidemment, la validité théorique du calcul astronomique, mais uniquement le fait de vouloir en légitimer l’usage au nom du Coran ou de la Sunna. Sachant, nous l’avons démontré, que ces calculs ne peuvent en rien se substituer à la confirmation par observation visuelle.

– Ce type de calcul est donc très utile pour encadrer les dérapages politico-islamiques dont on nous gratifie chaque année. Nous rejoignons ici la position de ceux qui, nous semble-t-il, il font appel à l’usage du calcul non pour imposer une date à tous les pays, mais pour permettre de vérifier scientifiquement l’absurdité des décisions de ceux qui se prétendent diriger le monde islamique…et aussi, bien évidement, pour que chacun puisse savoir s’il jeûne en Ramadân ou en chimère…

EN PERSPECTIVE.

A la veille de Ramadân nous entendrons quatre sons de cloche :

Ceux qui disent que l’on doit jeûner en fonction du premier pays qui l’observe.

Ceux qui disent que l’on doit jeûner en fonction de leur suprématie supposée.

Ceux qui disent que l’on doit se baser sur le calcul.

Ceux qui osent malgré tout dire que chaque région ou pays doit se déterminer en fonction de l’observation visuelle.

Pour cette année 2010 la carte présentée par Mr Guessoum[9] extraite du site « islamic crescents’ observations project  », sera particulièrement pertinente et démonstrative.

Car au soir du 10 Août, aucun pays musulman ne pourra voir le hilâl sauf, avec quelques difficultés, la lointaine Patagonie. De fait, aucun de ces pays ne devrait prétendre l’avoir vu. Par une étonnante conjonction, cette année, que se soient les partisans du calcul ou ceux de l’observation, les chantres du jeûne planétaire ou de l’identité nationale, tous devraient aboutir aux même conclusions : le « jeûne universel » est en toute impartialité astronomiquement possible cette année le croissant s’invitant le même jour pour toutes les zones concernées.

Or, ce ne sera vraisemblablement pas le cas, les intérêts politiques pousseront les plus âpres et les plus stupides à se réserver la primeur de l’annonce de Ramadân…en l’absence totale de croissant. Au soir du 11 Août la situation sera exactement inverse, la totalité des pays musulmans pourront observer le croissant, mais nous constaterons que certains pays prétendront ne pas l’avoir vu, signifiant ainsi leur désir de non alignement concurrentiel…

Nous aurons donc malgré tout cette année, au minimum, 3 dates différentes pour le début de Ramadân… le ciel sera toujours révélateur…à moins que Dieu n’en décide autrement…

Ainsi donc, si aucun des arguments des tenants du calcul et du jeûne universel ne repose sur une analyse juste des textes fondateurs, Coran et Sunna, tous achoppent sur la volonté de manipulation des états dits musulmans.

A l’inverse, l’observation visuelle locale, c’est-à-dire actuellement au moins pour une nation, respecte la lettre et l’esprit des texte tout en court-circuitant efficacement l’infect jeu des hégémonies par la manipulation du jeûne, ce à quoi, dès l’origine, c’est-à-dire la Révélation, l’Islam révélé s’efforçait. C’est le seul cas de figure qui permette aisément aux musulmans d’échapper à cette entreprise, le plus aisé en mettre en œuvre aussi, le seul qui soit logiquement et textuellement conforme au Coran et à la Sunna, l’Islam visant à libérer l’homme de l’emprise de l’homme…

Nous comprendrons, à présent, dans le contexte, les versets que nous avions respectivement placés en exergue des volets 1 et 2 de cette analyse :

“ En vérité, votre Communauté est une et Je suis votre Seigneur ; Adorez-Moi !

Or, ils se disputent les uns les autres le commandement. Cependant que tous, vers Nous, retournent.”S21.V92-93.

“ A chaque Communauté nous avons institué son rite afin qu’elle l’observe. Qu’ils ne te contestent donc pas sur ce point [Ô Muhammad]. Appelle à ton Seigneur car, tu es, certes, bien guidée, en toute rectitude.” S22.V67.

EN PRATIQUE.

– Nul ne doit accepter de jeûner avant le début théorique du mois de Ramadân.

– A cette fin, le calcul astronomique est utile pour déterminer l’impossibilité de vision du hilâl pour telle ou telle zone géographique.

– Dès lors qu’il est astronomiquement possible d’observer le premier croissant, al hilâl, de Ramadân en la zone où l’on réside, l’on peut accepter l’annonce de Ramadân.

– Si, en cette zone, Ramadân est annoncé avec retard par les « autorités » il est possible de commencer à jeûner dès avant les dites déclarations.

– Ces mêmes conclusions peuvent être portées pour la détermination de la fin de Ramadân.

– Dans la mesure du possible il faut compléter le mois de jeûne lorsque le calcul astronomique atteste que pour la zone où l’on vit le mois de Ramadân aura été de 30 jours et que, pour des raisons « mystérieuses », il aura été déclaré clos au 29ème jour.

Je ne prétends par là à aucun juridisme, jeûner pour la quête de la Face de Dieu est infiniment au-dessus de ces contingences. Si nous appartenons spirituellement à la même Oumma, Ramadân, au concret, réunit, sans pour autant les unifier, les musulmans vivant en un même pays. Il faudra donc rechercher un subtil compromis entre la recherche de l’unité et le refus d’une erreur manifeste de détermination du mois de Ramadân.

Je ne ferais pas non plus de vœux pieux pour appeler nos auto-représentants à plus de sérieux, il me semble plus sûr d’inviter chacun d’entre-nous à ne craindre et n’espérer que de Dieu. Tout au plus aurons nous voulu délimiter les bornes exactes permettant de respecter ce que Dieu et son Prophète nous ont enseigné tout comme de nous protéger de que les hommes trament. En ce mois de bénédiction, toute sagesse sera amplifiée et toute polémique aussi.

Dr Al Ajamî.

 


[1]  A vrai dire, ce genre de pièce à conviction n’a pas été fabriqué pour servir une quelconque volonté de pouvoir centralisé, mais pour alimenter les divergences entre les Ecoles de Droit qui, comme toute casuistique instrumentée, n’ont eu cesse de se différencier les unes des autres. Avons-nous encore à consommer le poison de ces fruits !

[2]  Il faut savoir que bien souvent il est possible de constater une convergence marquée entre les choix par Al Bukhârî de hadîths à caractère juridique et les orientations particulières à l’Ecole de Droit Shaféite. Cette Ecole est celle à laquelle Al Bukhârî a été formé ; présentement, le fait qu’il n’ait pas retenu ce hadîth ne peut donc être du à ce qu’il en ignorait l’existence mais, l’on peut logiquement alors le supposer, à ce qu’il douta de sa validité technique. Les critères de sélection de Al Bukhârî, le fait est bien connu, étant plus précis et strict que ceux de Muslim.

[3]  Nous ajouterons à cette analyse que le texte est par trop précis, c’est-à-dire trop bien ciblé sur la problématique, pour ne pas être suspecté. De plus, tout hadîth pro ou anti-califal, ou en faveur ou défaveur d’un mouvement dogmatico-politique est de principe à considérer avec moult précautions.

[4]  Le grand commentateur du Sahîh Al Bukhârî, IXème siècle H.

[5] Le calcul relatif aux lunaisons est connu au moins depuis les Babyloniens.

[6]  Le terme arabe hilâl désigne exactement le croissant de lune observable au couchant durant les deux ou trois premiers jours du mois ainsi que l’état de la lune observable au levant aux 26ème ou 27ème nuits du mois.

[7]  A ce propos, il est parfois affirmé que ceci est source d’erreur, et que si l’on ne calculait pas la longueur réelle des mois lunaires l’on finirait par cumuler un décalage lorsque, par exemple, plusieurs mois consécutifs ne comporteraient effectivement que 29 jrs et que, ne pouvant observer le croissant du fait du mauvais temps, l’on totaliserait à chaque fois 30 jrs comme le conseillait le Prophète. Nous aurions donc là un argument complet pour imposer la détermination programmée par le calcul. Ce qu’ignorent ces astronomes de salon et pourtant connu du moindre paysan : trois occasions sont données dans un mois lunaire pour constater le décalage avec une précision de 100%, le premier quartier, la pleine lune, et le dernier quartier. Ces trois moments indiquent clairement J7, J14 et J21, l’on peut ainsi réajuster chaque mois ! Regarder la lune semble néanmoins moins valorisant que de théoriser en angles et minutes ! Le ciel nous deviendrait-il incompréhensible…

[8]  C’est le cas, par exemple, en Fiqh as-Sunna de Sayyd Sâbiq.

[9] Article du 16-07-10.

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